Je me souviens que le 16 juin 2011, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient proposé aux 17 pays membres de la zone euro d’inscrire dans leur Constitution l’obligation de revenir à l’équilibre budgétaire et de proscrire les déficits budgétaires. L’explosion des dettes souveraines inquiétait à juste titre, mais cette proposition sentait la manœuvre politique destinée à jeter le discrédit sur les partis d’opposition qui pourraient être tenter de prendre des libertés avec l’orthodoxie budgétaire. Il fallait alors montrer du doigt ceux qui refusaient d’adhérer à cette règle d’or. Dénoncer ceux qui se préparaient à charger la barque des générations à venir. Quelques mois avant l’élection présidentielle de 2012, le débat, « pour ou contre la règle d’or », faisait quotidiennement la Une des médias
Les experts économiques et financiers des deux camps opposaient leurs arguments. Il n’était pas contestable que l’équilibre budgétaire permettrait de réduire progressivement la dette publique et de redonner des marges de manœuvre aux gouvernements vertueux. La fiscalité, dans l’avenir pourrait, progressivement, être allégée. Ceux qui étaient favorables à cette « règle d’or », rappelaient que le dernier budget voté à l’équilibre, dans notre pays, remontait à 1974. Raymond Barre, le « meilleur économiste de France », était alors Premier ministre.
Ceux qui étaient opposés à cette « règle d’or », rappelaient, de leur côté, que le traité de Maastricht, qui avait créé l’Union économique et monétaire, et le Conseil européen d’Amsterdam de 1997, avait déjà adopté le Pacte de croissance et de stabilité qui fixe à 3% du PIB le déficit autorisé, sauf circonstances exceptionnelles. La dette publique, quant à elle doit être inférieure à 60% du PIB. Nul ne pouvait dire pourquoi le chiffre de 3% avait été retenu. Les membres de la zone euro, y compris la France, avaient pris cet engagement qui n’a jamais été tenu. Nécessité fait loi, dit-on ; l’engagement, pourtant gravé dans le traité fondateur de l’euro, n’a pas empêché les gouvernements successifs, de droite, comme de gauche, de dépasser allégrement les 3 %. Quant à la dette publique française, elle est passé de 22% du PIB en 1981, lors de l’élection de François Mitterrand, à 55% en 1995 lorsque Jacques Chirac entra à l’Elysée, à 59% en 1997 quand le Pacte de stabilité fut signé. La suite est connue ! Sous Nicolas Sarkozy, elle a atteint 84,5% et François Hollande l’a portée à plus de deux mille milliards avec des taux quasiment négatifs. Pourquoi ne pas en profiter !
La règle d’or n’est pas dans la Constitution, mais elle figure dans un traité européen qui nous engage. Ce traité n’a pas empêché l’indiscipline budgétaire. Ceux qui étaient opposés à cet engagement, soutenaient qu’une telle contrainte, inscrite dans la Constitution, aurait eu plus d’inconvénients que d’avantages et aurait empêché tout soutien à l’économie, pourtant indispensable après la crise de 2008. L’avenir leur a donné raison. Les Etats sont heureusement intervenus sur les marchés, jouant leur rôle de prêteur en dernier ressort, se substituant aux banques pour soutenir l’activité et injectant dans la machine les liquidités qui faisaient défaut. Au fil des mois, on ne parlât plus de la règle d’or. Il est même évident, aujourd’hui, que si les gouvernements avaient été contraints, le système aurait eu encore plus de mal à se remettre de la crise.
Certaines dettes créent de la richesse. Dans le passé, des investissements financés par l’emprunt ont, dans les télécoms, le nucléaire, les transports ferroviaires, l’aéronautique, le spatial, fait de la France ce qu’elle est. C’est ce qu’il aurait fallu faire ces dernières années si cette règle idiote n’avait pas freiné tous les projets à l’échelle européenne et si l’Allemagne, vertueuse, n’avait pas fait systématiquement obstruction à toutes les initiatives. A contrario, le financement par la dette des dépenses de fonctionnement, est une faute de gestion impardonnable.
Nicolas Sarkozy, de nouveau en campagne, feint d’oublier les propos excessifs, comme c’est souvent le cas, qu’il tenait en 2011 sur ce sujet. A l’époque, il voulait avant tout adresser un message politique aux agences de notations et à l’Allemagne qui avait déjà inscrit une sorte de « règle d’or » dans sa Constitution. Aujourd’hui, il est le premier, mais il n’est pas le seul, à promettre, s’il était élu, de s’affranchir des règles budgétaires européennes et de tenter de les renégocier. Nos partenaires apprécieront ce changement de discours qui en dit long sur ses convictions profondes.
Au diable « l’austérité budgétaire et monétaire contenues dans les traités de Maastricht et de Lisbonne et qui ont enlisé la zone euro dans la crise et l’ont enfermée dans des règles absurdes, obsolètes et suicidaires », a lancé Arnaud Montebourg à Frangy, le 21 août.
Nicolas Sarkozy a la mémoire courte, mais il est plus prudent. Il promet une baisse d’impôts de 25 milliards d’euros minimum sur la durée du quinquennat, votée dès 2017, mais il sait bien que la diminution des dépenses publiques promise demandera du temps. D’ailleurs, le programme des Républicains, prévoit un déficit de 3,5 % en 2018 et ne parle pas de « règle d’or » !
Pour l’ancien chef de l’Etat, familier des négociations européennes, la contrainte du déficit n’en est pas une : les Européens feront preuve de compréhension face à un programme économique susceptible de relancer la croissance et comportant des baisses d’impôts significatives.
Quant à François Hollande, il avait dit clairement à Versailles, devant le Congrès, ce qu’étaient ses priorités. Les exigences de sécurité au sens large (défense, surveillance des frontières européennes, lutte contre le terrorisme, etc.), sont telles que l’Union européenne doit faire preuve de souplesse.
En conclusion, le pacte de stabilité est en train de tomber aux oubliettes. Les États membres et la Commission se révèlent d’ailleurs incapables d’appliquer les sanctions prévues par les textes vis-à-vis de l’Espagne et du Portugal notamment. La procédure de sanctions avait été déclenchée, mais la Commission a décidé d’annuler les amendes. Le ministre des Finances allemand, qui veut aider le Premier ministre conservateur espagnol, Mariano Rajoy, n’a pas insisté.
Nombreux sont les pays qui peinent à respecter les engagements budgétaires pris. CQFD ! La règle d’or était une très mauvaise idée. Il faut donc un changement de traités et la ratification des 28 Parlements nationaux. Bon courage. Dans le contexte européen actuel, ce n’est pas envisageable. Nicolas Sarkozy peut donc avoir la mémoire courte et changer de discours.
Il est convaincu, comme le dit imprudemment Jean-Claude Juncker, que la France continuera à obtenir des délais… « parce que c’est la France ».
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