Déjà, le 23 juillet 2012, j’avais, sous ce titre, rappelé que « le 18 mars 1972, Georges Pompidou avait rendu visite à Edward Heath aux Chequers. Les deux hommes partageaient la même analyse de la situation internationale. Ils constataient que les Américains raisonnaient toujours en fonction de leurs seuls intérêts. En confidence, le chef d’État français avait révélé au Premier ministre britannique que Richard Nixon venait de lui écrire, au sujet du système monétaire international qui préoccupait le monde entier, cette phrase étrange : « Je fais ce qu’il faut pour que l’économie américaine prospère et cela devrait suffire à tout le monde. » Georges Pompidou espérait que, pour résister à cette hégémonie américaine, les Européens seraient capables de définir une attitude commune. Pour bien se faire comprendre, il cita La Fontaine : « Les souris s’étaient réunies pour décider d’attacher un grelot au cou du chat. Elles étaient unanimement d’accord, mais quand le chat parait, elles fuient et le chat continue à les prendre à sa guise ». Le chef d’État français espérait que la fable ne s’appliquerait pas à la situation.
Depuis un an, les deux hommes s’entendaient admirablement bien. Georges Pompidou considérait, en effet, que « l’Europe avec l’Angleterre serait difficile, mais que, sans elle, elle était impossible. » Sur la base de cette conviction, il avait ouvert la porte de la Communauté européenne à la Grande-Bretagne. Tout s’était joué les 20 et 21 mai 1971 à Paris. Edward Heath et Georges Pompidou ne se connaissaient pas, ils se rencontraient pour la première fois ce jour-là. Pourtant, un courant de sympathie s’était immédiatement installé entre les deux hommes. Dans un contexte international difficile, notamment sur le plan monétaire, les deux chefs d’État et de gouvernement faisaient la même analyse : Une Europe forte, dans laquelle la France et la Grande-Bretagne sont d’ailleurs les seuls pays qui ont une vocation mondiale, est indispensable pour éviter que les USA et l’Union soviétique règlent seuls les affaires du monde. C’est la seule solution pour reconquérir une puissance que l’Europe a perdue. Georges Pompidou savait que le statut de monnaie de réserve de la livre sterling était un problème ; il savait que l’Europe, avec la Grande-Bretagne, poserait des problèmes ; il n’ignorait pas que la Grande-Bretagne a toujours cherché à diviser les Européens, mais le proeuropéen Edward Heath le rassurait et réussissait à le convaincre.
C’est dans ce contexte que Georges Pompidou décida d’appeler les Français à se prononcer, par la voie du référendum, sur sa politique européenne. Un référendum est toujours risqué. Celui-là n’échappa pas à la règle. Le débat s’enlisa, l’opposition se divisa, la majorité aussi. Le 23 avril 1972, le oui l’emporta, mais rue du Faubourg Saint-Honoré, la déception fut grande. Georges Pompidou en fut très affecté ; pour lui, ce succès était un échec en raison du taux d’abstention et du fait que l’approbation de sa politique n’avait réuni que 36,11 % des inscrits.
L’attitude des Anglais a, en permanence, été conforme à ce que Georges Pompidou avait imaginé. « Les Anglais sont les Anglais, systématiquement opposés aux projets auxquels ils n’ont d’ailleurs pas l’intention de participer » ! Dix ans après Edward Heath, la « Dame de Fer », se rendit célèbre avec son « We are simply asking to have our own money back » (Nous voulons récupérer notre argent). Conservatrice, libérale, eurosceptique, Margaret Thatcher, qui avait pourtant approuvé l’adhésion à la CEE, considérait que la Communauté économique européenne ne devait être qu’un moyen de mettre en place le libre-échange et de garantir la concurrence. Ses relations avec Jacques Delors, le président de la Commission européenne furent épouvantables et sa conception de l’Europe en décalage complet avec l’évolution de l’Union européenne. En 2005, Gordon Brown, le chancelier de l’Echiquier, futur Premier ministre britannique, avait, sans s’embarrasser de considérations inutiles, nié purement et simplement la nécessité d’une Europe politique dans un texte rendu public à la veille d’un Conseil européen délicat au lendemain du NON au référendum. À la question : « A quoi sert l’Europe face à la mondialisation ? », Gordon Brown avait répondu « A rien, puisqu’elle est bien trop grande pour faire face à des problèmes locaux, et bien trop petite pour affronter des enjeux mondiaux ».
Aujourd’hui, David Cameron est enfermé dans le « corner ». Une loi votée en 2011 lui impose de soumettre à référendum toute nouvelle délégation de pouvoir au profit de l’Union européenne. Autant dire que le projet d’Angela Merkel qui veut plus d’Europe, plus de gouvernement économique, plus d’harmonisation budgétaire, plus d’union politique, n’est pas près d’être approuvé par une majorité de Britanniques. Pragmatique, plus qu’eurosceptique, David Cameron cherchera donc à négocier, à obtenir de nouvelles concessions, peut-être même un statut de simple association, comme la Norvège ou la Suisse, qui ont l’accès au marché unique sans en avoir les inconvénients. Les dirigeants britanniques, à l’exception de Tony Blair, ont toujours été réservés, voire opposés à l’euro. Ils n’en veulent pas ; sur ce sujet, comme sur bien d’autres, ils ne veulent prendre en compte que leurs intérêts. Or l’intérêt de la City, leur place financière, est que l’euro demeure une monnaie forte. Les Anglais craignent par-dessus tout une Europe à deux vitesses, dans laquelle un groupe de pays plus solidaires dominerait et pourrait marginaliser la Grande-Bretagne.
L’heure de vérité approche. Les principaux responsables conservateurs et travaillistes, ne souhaitent pas que leur pays sorte de l’Union européenne, mais, si les institutions de l’Union européenne devaient changer de nature, la Grande-Bretagne pourrait, quarante et un an après les conversations Pompidou-Heath, sortir de l’Union européenne. »
Voilà ce j’écrivais le 23 juillet 2012.
Un Conseil européen est convoqué aujourd’hui et demain à Bruxelles. Une nouvelle fois, un compromis sera probablement trouvé, mais l’image de l’Europe n’en sortira pas grandie. Tout le monde a peur qu’un « Brexit » provoque l’implosion de l’Union européenne. Nombreux sont ceux qui sont prêts à tout accepter au motif que tous les pays demandent… et obtiennent des exceptions. L’Europe à la carte conviendrait à de nombreux dirigeants – pour des raisons de politique intérieure – mais, sans l’esprit européen, il n’y a plus d’Europe.
La date du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE) approche. Pour que le Premier ministre britannique fasse campagne pour le oui, il faut qu’il obtienne de ses partenaires des concessions significatives. Nombreux sont ceux qui en ont assez des caprices des Britanniques qui réclament sans cesse des exceptions qui dénaturent l’Europe. Le Royaume-Uni a refusé d’entrer dans l’espace Schengen ; il a refusé l’union économique et monétaire. Il n’a pas ratifié la charte des droits fondamentaux de l’UE, et, en juillet 2013, s’est retiré d’une grande partie des instruments de coopération dans le domaine de la police et de la justice pénale. Sans parler du traitement particulier de sa contribution au budget de l’Union.
Alors, « Brexit or not Brexit » ?
Le chantage de David Cameron intervient au plus mauvais moment. Le compromis de trop peut provoquer la fin de l’Union européenne, cette « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », ainsi définie dans le préambule du traité de Rome.
Au Royaume-Uni, les partisans – nombreux – de la sortie de l’UE sont convaincus que le pays, avec sa langue et le Commonwealth, serait plus puissant hors de l’Union. Si, en juin, les partisans de cette thèse venaient à l’emporter, les dirigeants européens qui, par peur, vont sans doute accepter les demandes de David Cameron, auront l’air de quoi ? Le gouvernement ultraconservateur en Pologne et le Premier ministre Viktor Orban en Hongrie, se sentiront encouragés à prendre encore plus de libertés avec Bruxelles et à exiger toujours plus.
Certes, le pire n’est pas certain, annoncer la mort de « Schengen » est prématuré, comme l’était le « Grexit » en 2015, mais « l’Europe puissance » n’est plus qu’un rêve.
Pendant ce temps, la Bosnie-Herzégovine est le sixième pays – avec la Turquie – à poser sa candidature à une adhésion à l’UE. Pourquoi ? Pour avoir accès aux fonds communautaires ? Tout pays qui répond aux critères d’adhésion peut poser sa candidature. Les « critères de Copenhague » concernent l’économie de marché, la démocratie, l’État de droit et l’adoption de la législation européenne et éventuellement de l’euro. Pendant la tempête, la Commission européenne examine les dossiers et émet des avis !
L’ordre règne à Bruxelles. Ainsi va l’Histoire.
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