Les vœux du chef de l’Etat, le 31 décembre, n’avaient pas passionné les Français.
Intuition, prémonition, le chef de l’Etat avait appelé les Français à se ressaisir, à retrouver confiance, à se rassembler, à s’unir, à écarter « les discours qui trompent et qui abusent le peuple », à « en finir avec le dénigrement et le découragement (…) La France, ce n’est pas une nostalgie, c’est une espérance (…) Devant les menaces qui montent et qui inquiètent, qui s’appellent terrorisme, communautarisme, fondamentalisme, ce n’est pas en nous divisant, en stigmatisant une religion, en cédant à la peur que nous nous protégerons, c’est en défendant fermement nos valeurs (…). C’est quand la France oublie ses principes qu’elle se perd, qu’elle se noie (…). C’est déjà arrivé dans l’Histoire. Dans l’Histoire en France comme en Europe, ne l’oublions jamais », avait-il martelé. Il avait également évoqué les missions du « service civique » destinées à renforcer la cohésion nationale autour de la valeur d’engagement. « C’est une vertu pour la nation, c’est ce qui nous rassemble dans une même patrie », avait-il déclaré. Il appelait ses concitoyens à être « fiers d’être Français ».
Rassembler était le mot le plus employé en ce début d’année. Nicolas Sarkozy, de son côté, s’est engagé à créer un mouvement » dans lequel tous les Français sans exception, quelles que soient leurs origines, leur histoire, quel que soit leur milieu social, pourront se reconnaître (…), un lieu où le monde de la culture rencontrera le monde de l’entreprise, où le monde juridique échangera avec le monde économique, où le fonctionnaire discutera avec le salarié du privé, où l’ouvrier parlera au patron, l’ingénieur à l’agriculteur « . Un mouvement « pour » et non un mouvement « contre » comme « La Manif pour tous ». Tous les dirigeants de l’opposition tiennent le même langage : « Rien n’est possible sans le rassemblement de chacun. Rassemblés, nous pourrons alors construire l’alternative pour la France ».
Les services de renseignement ne savaient pas quand, où et contre qui auraient lieu des attaques terroristes mais elles étaient inévitables. Les frères Kouachi ont accompli une mission, un contrat annoncé par Al-‐Qaeda depuis plusieurs mois.
Les Français le savaient, ils en parlaient, ils en étaient conscients ; ils se demandent comment, et pourquoi, des individus qui ont la nationalité française peuvent commettre des actes d’une telle violence. Ils s’interrogent : qui sont ces individus ? Des délinquants convaincus, en prison, qu’ils n’ont plus qu’un seul « ami », capable de leur offrir une vie meilleure : Allah ? Des faibles d’esprit qui n’ont que la violence comme mode d’expression et sont donc faciles à endoctriner ? Des déclassés aigris qui espèrent compenser leur incapacité à trouver leur place dans la société en réalisant des actions de violence fortement médiatisées ?
Les régimes totalitaires ont, de tout temps, recruté leurs sbires dans cette population. Les crises économiques constituent un terreau particulièrement fertile, surtout quand elles s’accompagnent de crises d’identité et de valeurs comme c’est le cas actuellement. Ceux qui prêchent la « haine de la société » ont alors toutes les chances d’être entendus par les individus les plus fragiles, les plus violents et les plus révoltés. L’Etat islamique se révèle encore plus habile et plus dangereux qu’Al Qaeda pour recruter des volontaires attirés par une aventure, des activités guerrières, des femmes, bref, une autre vie. Pour eux, le Califat, c’est autrement plus excitant que la vie dans leur pays d’origine. Comme le rappelle Olivier Roy, un des meilleurs spécialistes de cette région du monde : « Ce qu’ils veulent, c’est faire peur aux gens qui les ont humiliés ou ne les ont pas compris ». Le meurtre, la torture, le viol, le mariage forcée, le racket, constituent leur définition de la liberté.
Qui sont les responsables ? Evidemment, ceux qui les endoctrinent et les poussent à commettre des actes barbares. Ce sont le plus souvent des imams radicaux autoproclamés et des dirigeants d’organisations terroristes étrangères. Le Pape François disait dimanche que « ces fondamentalistes relèguent Dieu au rang de pur prétexte idéologique ». Comme le font toutes les sectes, ils donnent une légitimité aux actes les plus barbares et poussent leurs adeptes au martyr. Le Qatar et l’Arabie saoudite, soutiens du salafisme et des Frères musulmans, ne sont pas exempts de reproches. Ils pourraient avoir des comptes à rendre dans l’avenir. La Turquie, favorable, depuis peu, à l’instauration du Califat, emprunte également, pour des raisons de puissance régionale, un chemin inquiétant. Le Premier ministre, Manuel Valls, a clairement affirmé aujourd’hui, devant la représentation nationale que la lutte contre le terrorisme est une guerre avec tout ce que cela suppose.
Le 11 janvier, les Français ont montré qu’ils pouvaient se rassembler, dans le calme, dans la dignité, quand le pays est menacé. C’est un signe de bonne santé dont la France avait le plus grand besoin. Les élus, les représentants, se sont peu manifestés. Ils étaient sidérés qu’un tel rassemblement soit possible sans qu’ils en soient les instigateurs ; un rassemblement sans revendications, sans surenchères verbales, sans invectives, sans banderoles. La vie démocratique, soudain, s’organisait sans eux, indépendamment d’eux. Certains dirigeants politiques reconnaissaient que ce moment d’émotion rare, très rare, dans l’histoire de notre pays, peut constituer un tournant, sans bien savoir ce qu’il y aura derrière ce tournant.
Ce qui est certain, c’est que le peuple, par l’exemple qu’il a donné, a élevé le niveau d’exigence. Les politiques devront désormais se montrer à la hauteur. La plupart d’entre eux semble l’avoir compris. La protection des citoyens était, le 11 janvier, le principal sujet de préoccupation, mais, à cette occasion, le système éducatif est montré du doigt. A l’évidence, l’école ne remplit pas son rôle dans la construction de la citoyenneté. Elle se révèle incapable, notamment, d’avoir une influence suffisante pour qu’internet ne soit pas un danger. L’école manque, depuis trop longtemps, à son devoir de transmettre les valeurs de la République. J’ai consacré récemment plusieurs articles à ce sujet. Je n’imaginais pas que les responsables de l’Education nationale seraient placés devant leur responsabilité dans des circonstances aussi dramatiques. Le principal ennemi de la liberté, c’est l’ignorance.
Et maintenant, écrit le journal Le Monde dans l’éditorial de son édition du 14 janvier ? « Que faire du choc provoqué dans le pays par le déferlement de violence et de fanatisme religieux qui a abouti à la mort de dix-sept personnes entre le 7 et le 9 janvier en région parisienne ? Comment rebondir sur la formidable réaction populaire suscitée par ce traumatisme dont l’empreinte sur la communauté nationale est et restera profonde? »
En Irak, en Syrie, au Pakistan, au Yémen, en Libye, dans une partie du Sahel, en Afghanistan, le djihadisme se développe, se répand et entend instaurer le califat un peu partout. Que faire ? Ou mettre le curseur entre les nécessaires mesures de sécurité à prendre et la protection des libertés individuelles pour la sauvegarde desquelles 4 millions de personnes ont marché le 11 janvier ? La tâche est immense, complexe, globale. Sans un sursaut de courage et d’intelligence, sans un minimum d’union nationale des partis de gouvernement, le problème parait insoluble. Comme l’année 1945 fut l’année zéro dans notre pays en ruines, formons le vœu que l’année 2015 soit l’année zéro du renouveau de la vie démocratique. Le chef de l’Etat réclamait de l’audace, il va en effet en falloir.
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