En cette fin d’été, le désordre est à son comble. Le doute s’installe. Les institutions de la Ve République sont-elles encore adaptées à l’exercice du pouvoir ? Ne sont – elles pas une source de blocage de l’action politique ? Pour remédier à l’instabilité gouvernementale de la IVe République, à la faiblesse de l’exécutif, le général de Gaulle a voulu un mode de scrutin majoritaire à deux tours pour les élections présidentielles et législatives. Avec ce régime, les coalitions gouvernementales sont impensables, alors que tout le monde – ou presque – s’accorde pour reconnaitre que, pour certaines réformes indispensables, seule une majorité d’idées, un gouvernement d’union nationale, permettrait à l’exécutif d’agir. Il faudrait que la représentation politique soit plus large pour être plus légitime. Dans la situation actuelle, nonobstant les erreurs et maladresses de l’exécutif, la crise de défiance, qui s’accentue de jour en jour, traduit une rupture profonde avec une très grande partie de la population qui exprime son mécontentement avec des mots empruntés au langage constitutionnel : « dissolution », « cohabitation », article 49/3, « révocation ». Cette situation a diverses conséquences. L’excès de sondages et l’utilisation qui en est fait, par exemple, se substitue peu à peu aux institutions qui fondent le régime politique de notre pays. La légitimité du chef de l’Etat ne réside pourtant pas dans les sondages, mais dans l’élection présidentielle. La presse, en général, et la presse d’opposition, en particulier, ont, amplifié par internet et les réseaux sociaux, un pouvoir de destruction qui dépasse tout ce qu’il est possible d’imaginer La légitimité du chef de l’Etat se trouve, de ce fait, assise, en temps réel, sur un indice de popularité avec les conséquences qui en découlent : manque de respect pour la fonction, insultes qui fusent lors de ses sorties en public, doute sur la sincérité de ses propos, de ses convictions. La Constitution de la Ve République, dans ces conditions, ne protège plus l’exécutif et laisse la population à sa colère, au sentiment d’être abandonnée par des élites qui peuvent, en toute impunité, abuser de leurs pouvoirs et ne s’en privent pas avec une inconscience qui semble n’avoir aucune limite. Le président Georges Pompidou, en son temps, disait déjà : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites »
Les contraintes économiques accentuent encore le mécontentement d’une population sans culture politique, prête à se laisser séduire par un « national-populisme » qui, n’étant pas aux responsabilités, échappe aux critiques et promet des « lendemains qui chantent ». La désillusion des Français atteint un niveau préoccupant et ce n’est peut-être qu’un début.
L’opinion publique, s’il l’on considère qu’il en existe une, mais surtout « les engouements qui se détruisent l’un l’autre, comme une onde de la mer effaçant l’onde qui la précédait » dont parlait Stendhal, ont toujours existé, mais c’était avant les instituts de sondage, avant internet, avant la civilisation de l’information, qui écrasent littéralement la politique alors que gouverner, c’est agir dans la durée, sans se laisser distraire par l’écume des jours. Les partis politiques, dans ce contexte, ne parviennent plus à « concourir à l’expression du suffrage ». Ils ont perdu leur sens et, plus encore, leur vocation qui était, notamment, de former à une culture politique. Inutile de rappeler que le parti actuellement majoritaire est totalement déboussolé et en décalage complet avec la politique que le chef de l’Etat, et son Premier ministre, s’efforcent de mettre en œuvre. La droite, dite de « gouvernement », est déchirée par les « affaires », les règlements de comptes et les rivalités de personnes en prévision de la prochaine élection présidentielle. Comme programme de gouvernement, ce n’est pas très séduisant !
L’opinion publique est agitée de tous les vents. Elle assiste, impuissante, à une comédie des apparences qui, si la conjoncture était flamboyante, pourrait faire sourire. Ce n’est pas le cas. La catastrophe qui s’annonce sur le plan de la gestion des comptes publics se mêle, au quotidien, aux nouvelles de la Cour. L’exploitant agricole, sur son tracteur, le professeur des écoles, devant ses élèves, le peintre, sur son échafaudage, ont d’autres soucis, d’autres problèmes, qui, pendant ce temps restent sans réponse. Tous ces impôts et taxes supplémentaires n’ont donc servi à rien puisque les finances du pays continuent de se dégrader. Ils auraient fait les efforts demandés inutilement ? Le roman d’amour d’un ancien ministre de l’économie et de l’ancienne ministre de la culture, le cas pathologique d’un secrétaire d’Etat qui « oublie » systématiquement de payer tout ce qu’il doit, le roman d’amour qui tourne mal entre le chef de l’Etat et son ancienne compagne ou les « crottes » d’une « plume » licenciée , ils n’en ont rien à faire. Les déclarations des éventuels candidats à une élection présidentielle – et de leurs supporters – qui, sauf événement particulier, n’aura lieu que dans trois ans, ils n’en ont rien à faire non plus. Ils en ont par-dessus la tête du cynisme des uns, du narcissisme des autres. Apprendre que « Merci pour ce moment (320 pages, 20 euros), de Valérie Trierweiler, s’est écoulé à 131 000 exemplaires en quatre jours et se place en compétition avec Astérix chez les Pictes, le dernier volume d’Harry Potter ou Cinquante nuances de Grey, est un peu triste. Ces misérables petites histoires donnent l’occasion à Gérard Courtois, d’écrire dans sa chronique pour le journal Le Monde : « On aimerait en rire ou en faire des chansons, comme disait Beaumarchais ».
Il existe heureusement d’autres « engouements », plus ludiques, moins dangereux. La présentation, à Cupertino, des nouveautés de la marque (nouveaux iPhone, nouveau système, » Apple Pay « , le paiement sans contact) et l’annonce surprise du PDG d’Apple, Tim Cook, du lancement d’une montre « intelligente » (l’Apple Watch), a fait la Une de tous les journaux. Ce qui est remarquable, dans cet événement, c’est qu’au siège de la firme, dans la Silicon Valley, ce n’est pas comme au Palais de l’Elysée, les personnels savent garder un secret. Comme des militaires, ils sont habilités, sous peine de sanctions, à accéder à des produits et documents classifiés. La communication est parfaitement verrouillée. Dans l’entreprise la plus secrète du monde, le secret est une composante essentielle de la culture d’entreprise. Les badges ne sont pas de la décoration. Rien à voir avec certaines « pétaudières » auxquelles le lecteur est autorisé à penser ! Le succès est à ce prix.
Le Figaro, aujourd’hui, rapporte les propos du directeur général de l’agence Havas de Paris sur ce sujet : « La modernité de la démarche de l’entreprise est d’accepter que des milliards de gens parlent de la marque sans son contrôle, tout en contrôlant l’information qu’elle émet. Toutefois, après avoir fait monter à ce niveau la pression, le risque de déception est évident si le produit présenté n’est pas à la hauteur des attentes. Mais dans les faits, la politique de communication d’Apple a un énorme avantage : c’est une stratégie de création de valeur absolument terrible. »
Heureusement, et pour finir, The Zero Marginal Cost Society, la traduction française du dernier ouvrage de l’essayiste américain Jeremy Rifkin, devrait être en librairie le 24 septembre. Aura-t-il autant de succès que le livre de Valérie Trierweiler ? C’est peu probable ! Le sujet devrait pourtant susciter beaucoup plus de curiosité que le journal d’une femme trompée ! De quoi s’agit-il ? La thèse que soutient Jeremy Rifkin est la suivante :
La révolution numérique pourrait précipiter la fin du capitalisme et faire émerger une nouvelle économie fondée sur le partage des biens. L’essayiste américain part du constat que les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent de réduire drastiquement le » coût marginal de production « de nombreux produits et services. Jeremy Rifkin pense que les individus pourront bientôt les produire eux-mêmes ou y avoir accès pour un prix modique. La possibilité d’imprimer en 3D est un début. L’auteur pense que les grandes entreprises ne sont pas adaptées au monde digital et que l’évolution sera très rapide (une cinquantaine d’années). Futurologue, chercheur, utopiste, peu importe, la démarche est intéressante. Le système que nous connaissons n’est pas là pour l’éternité. Un nouveau système émergera sous la pression de l’innovation, des besoins, des relations sociales. Les nouvelles technologies provoqueront un changement des modes de gouvernance. Les enjeux sont encore difficiles à recenser, à imaginer, mais le progrès technologique, économique et social devra, tôt ou tard, marcher du même pas. Vaste sujet, mais si un engouement peut ne pas partir comme l’onde de la mer, ce serait un progrès !
- (1) J’emprunte cette citation à l’excellente revue « Commentaire » qui, dans son numéro 141 de mars-avril-mai 2013, l’avait fait figurer en dernière de couverture.
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