Chaque année – ou presque – depuis que ce blog est en ligne, je célèbre – à ma façon – la journée de l’Europe, le 9 mai. A quelques jours des élections européennes, cette journée est un peu particulière. La campagne a tardé à prendre son envol, comme si tout le monde craignait d’y participer. Les sondages – nombreux – se multiplient et la stimule un peu. Les Français se déclarent à la fois désireux que leur pays demeure dans l’Union (60% environ), conserve la monnaie unique (59%), mais déplorent, dans la même proportion, que les contraintes, notamment économiques, soient aussi grandes. En clair, leur opinion est contrastée, pour ne pas dire contradictoire. Face aux institutions européennes, comme face aux institutions nationales, les Français souhaitent à la fois plus d’intervention (emploi, croissance) et moins de tracasseries, normes et autres contraintes qui se multiplient.
Il faut dire que l’extrême complexité de la crise traversée et des solutions apportées, a fabriqué un « euroscepticisme » sans précédent. Les Européens, pour des raisons diverses, sont, dans l’ensemble, déçus et blasés. « La paix entre nous » n’a plus la même force, n’est plus suffisante pour cimenter l’Union. A tort ou à raison, un certain sentiment de déclin, de déclassement, s’est peu à peu installé. Il est difficile à admettre et à vivre. L’impression que l’Europe n’est plus la première puissance mondiale et que la France n’est plus la « lumière du monde », n’est pas supportable. Il faut un bouc émissaire. C’est Bruxelles, la Commission, qui ne serait pas élue démocratiquement, les institutions jugées trop technocratiques et trop lointaines, les dirigeants, jugés trop faibles, sans imagination créatrice, trop experts en complexité, jugés incapables de relever les défis.
Pourtant, les chiffres sont là. Les 500 millions d’Européens représentent 7% de la population mondiale, 25% de la production mondiale font de l’Europe le plus grand PIB du monde, un quart des échanges mondiaux, 50% des prestations de sécurité sociale distribuées dans le monde. Le reste de la planète aspire au mode de vie des Européens. Un modèle économique et social qui respecte l’homme comme nulle part ailleurs. Un compromis entre la liberté individuelle et l’intérêt général exceptionnel. Dans le classement de l’égalité sociale, les dix-huit premiers pays sont membres de l’Union européenne. Le rêve européen demeure très fort dans le reste du monde où aucune autre construction d’un espace politique supranational n’est aussi avancée.
Cependant, le cœur n’y est plus. La défiance l’emporte petit à petit sur « l’esprit européen ». Les Européens ne savent plus très bien ce qu’ils font ensemble. Il est indéniable que des erreurs ont été commises. Instituer l’euro sans un minimum de coordination économique a été plus qu’une erreur, une faute commise par les successeurs de Jacques Delors qui avait mis en garde sur cette absence et fait des propositions qui n’avaient pas été suivies. Le « chacun pour soi » et l’irresponsabilité n’ont pas tardé à l’emporter dès la première grave crise. Des engagements non respectés et une surveillance insuffisante ont fait le reste. Pour éviter l’éclatement, ceux, c’est-à-dire les classes moyennes majoritairement, qui n’avaient aucune responsabilité dans les causes de la crise, ont été mis à contribution dans le cadre de plans d’austérité plus ou moins drastiques. L’esprit européen ne pouvait pas ne pas en souffrir. Les partis politiques, qui surfent en permanence sur l’état de l’opinion, n’ont cessé d’amplifier le mécontentement en hurlant : « C’est la faute à Bruxelles ».
Bref, la situation est ce qu’elle est. Il faut maintenant refonder, reconstruire le projet européen. Se réjouir de sa désintégration, vouloir revenir en arrière, est criminel. Le malheur se répandrait sur l’Europe. La mise en garde de François Mitterrand, dans son dernier discours à Strasbourg est en permanence à conserver en mémoire : « Le nationalisme, c’est la guerre ».
Dans son dernier ouvrage (1), remarquable, Pascal Lamy, qui sait de quoi il parle, formule des propositions. Il faut, et c’est possible, « civiliser la mondialisation ». L’article 2 du traité qui organise l’Union, et que les Etats membres ont signé, exprime clairement cette mission, mais ne l’applique pas pleinement : « L’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur la croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique. »
Pascal Lamy déplore que le sentiment d’appartenance, l’esprit européen, l’affectio societatis, soit tombé en déshérence. Il n’est pas impossible que la participation aux prochaines élections le 25 mai, ne représente que 50% de ce qu’elle était lors des premières élections en 1979. Faute d’avoir suffisamment conscience des enjeux, les citoyens européens votent en fonction de considérations partisanes nationales dans un mode de scrutin qui favorise les partis protestataires aussi peu représentatifs qu’ils soient. La défiance s’exprime alors dans les urnes : « L’Europe ne nous a pas épargné la crise », « L’Europe est mal dirigée », elle coûte trop cher pour ce qu’elle fait. D’ailleurs, que fait-elle ? Ces citoyens ne connaissent pas les institutions. Ils ne savent pas que l’Europe, c’est eux.
Il faut dire que la croissance, en Europe, est trop faible, insuffisante pour que soit recréé un cercle vertueux qui permette de diminuer le chômage. Les dirigeants donnent l’impression d’être incapables de comprendre les préoccupations des citoyens. Les conflits de compétences, les chamailleries médiatisées, les compétitions d’ego, nourrissent l’idée qu’il faudrait un « grand coup de balai » pour remettre l’Europe dans le sens de la marche en avant.
Les Européens sont las d’attendre. Ils veulent une autre Europe. Ils souhaitent que la proclamation solennelle de Robert Schumann, le 9 mai 1950, trouve à nouveau son application quotidienne : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »
C’est cet esprit qu’il faut d’urgence retrouver ainsi qu’une vision et un sens élevé du courage politique et de la responsabilité. Passer enfin de « l’Europe des principes » à « l’Europe pratique » en quelque sorte.
Si nous ne voulons pas que l’Union européenne connaisse un recul de son niveau de vie, se désagrège sous nos yeux et, à l’instar de ce qui se passe à l’est, voit certains de ses membres, reprendre les armes, il faut que les politiques consacrent un peu plus de temps à expliquer à leurs concitoyens l’importance de l’Union européenne au lieu de dénigrer, comme il le font régulièrement les institutions européennes.
Le 25 mai, il faut voter pour que l’Europe ait un avenir.
Pascal Lamy « Quand la France s’éveillera » Odile Jacob – 17€90 ISBN 978-2-738I-2992-5
Sur Robert Schumann et la déclaration du 9 mai 1950 :
http://www.robert-schuman.eu/fr/page-speciale-9-mai
http://europa.eu/about-eu/basic-information/symbols/europe-day/schuman-declaration/index_fr.htm
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