Comment résister à l’envie de reproduire une partie de l’éditorial de Camus dans le journal Combat du 5 avril 1945 ?
L’écrivain répond à un professeur qui lui a écrit : « Je suis professeur et j’ai faim… »
Comment défendre encore ce monde insensé où un agrégé gagne dix fois moins d’argent que le barman le plus déshérité et où l’intelligence, ni le travail qualifié ne reçoivent le prix qui leur est dû ? On nous dit qu’il faut patienter et donner confiance au capital. Mais c’est ici le professeur qui doit patienter, et non le ministre, ce qui ôte du sérieux au raisonnement, et dans le restaurant de province où tous les jours le professeur a faim, l’absurde inégalité des revenus met des côtelettes sur une table et des légumes à l’eau sur l’autre……
Baudelaire prétendait qu’on avait oublié deux droits dans la déclaration des droits de l’homme : celui de se contredire et celui de s’en aller. Mais si certains de nos ministres abusent du premier, leur discrétion dans l’emploi du second a de quoi laisser rêveur. M Ramadier ne s’en ira pas, le collectage ne sera pas remanié, l’inertie fera valoir sa force et le professeur aura encore faim. Nous ne nous lasserons pas de donner l’alerte et de dire qu’il n’y a pas de petits problèmes. La France sera demain ce que seront ses ouvriers et ses professeurs. S’ils ont faim, nous devrons avoir honte. Mais s’ils reçoivent le pain et la justice qu’ils demandent, nous pourrons avoir une conscience libre. M. Pleven nous excusera de penser que cette liberté-là passe avant celle des capitaux. »
Je recommande à ceux qui ne connaissent pas « Camus à Combat » publié chez Gallimard en 2002 de se le procurer. Les colères et l’espérance de Camus, exprimés au jour le jour, dans une période où la France était à reconstruire, sont prophétiques.
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