La nouvelle s’était propagée très vite dans les bureaux de la rue Roquépine. Gabriel Garcia Marquez venait de réserver un appartement à Montparnasse, dans l’immeuble que COGEDIM construisait rue Stanislas. Nous étions en 1979, je connaissais cet écrivain de nom, mais, à ma grande honte, je n’avais pas encore lu « Cent ans de solitude ». Il faut dire que ce roman, qui le rendit célèbre, fut publié en France, en mai 1968, dans l’indifférence la plus totale. Ma gêne était d’autant plus grande que nombreux étaient les membres du personnel qui en parlaient et connaissaient son œuvre. Nombreux aussi étaient ceux qui auraient voulu être à la place de Danielle Fertita, qui reçut l’écrivain au bureau de vente, et de Jackie Rambaud, chargée de représenter COGEDIM chez Me Ayrault, notre notaire. Robert Latour, président de COGEDIM VENTE, s’invita à cette formalité et eut ainsi le plaisir de s’entretenir quelques instants avec l’écrivain. C’était en effet un privilège, car Gabriel Garcia Marquez, timide, était alors considéré comme un homme inaccessible ; obtenir une interview était un exploit pour les journalistes.
Gabriel Garcia Marquez, décédé le 17 avril à Mexico, aimait Paris où il comptait des amis très chers, notamment Annie Morvan, sa traductrice aux Editions du Seuil, qui, pour Mediapart le 20 avril), a raconté « l’homme généreux, facétieux, timide et raffiné » qu’était Gabo. Cinquante millions d’exemplaires de Cent ans de solitude ont été édités dans le monde. La traductrice raconte, dans cet entretien, que « partant de son village natal d’Aracataca, transformé pour l’éternité en Macondo, et de ses souvenirs d’enfance, García Marquez avait créé un territoire et un univers où se bousculait le meilleur de la littérature de tous les temps : de la Bible à Rabelais et Cervantes, de la poésie du siècle d’Or au Yoknapatawpha de Faulkner, des contes des Mille et une Nuits à Flaubert et Victor Hugo, pour ne citer qu’eux. Et le miracle de la littérature s’était produit : tout à coup l’Amérique latine existait parce que quelqu’un l’avait écrite. »
Journaliste, avant d’être écrivain, Gabriel Garcia Marquez avait écrit plus de 2.000 articles et reportages sur la Colombie, les événements politiques qui s’y déroulaient, la violence qui y régnait, la corruption, la dictature, la condition ouvrière et paysanne, les massacres. Ecrire, était sa passion ; il écrivait sur tout : ses voyages en Amérique Latine, en Amérique du nord, en Allemagne, en Autriche, à Rome, Vienne, Paris, Berlin, Moscou, le cinéma, les livres, la musique, l’histoire, la politique. Il écrivait aussi – et surtout – pour condamner les dictatures, celles de Pinochet et Videla, notamment, où le nombre de disparus et de détenus politiques le révoltait.
Ceux qui le connaissaient particulièrement bien disaient de lui que, derrière « les verres de ses lunettes rondes, il était méfiant, sans doute en raison de sa célébrité, timide, malin, mais accueillant, curieux, observateur, bon vivant et, disait-il, lui-même, « un joyeux drille, un oisif contrarié ». Grand voyageur, il habitait à Mexico, mais avait vécu et écrit à Barcelone, Madrid, Bogota, La Havane et Paris…
Après avoir reçu le Prix Nobel, il avait découvert l’ordinateur : « une invention géniale » qui lui avait changé la vie. « Si j’avais possédé un ordinateur il y a vingt ans, j’aurais écrit le double de livres (…) L’ordinateur est magique, plus de papier déchiré, plus de routine. Il rend l’écriture réellement distrayante, car il élimine tout effort physique. »
Critiqué pour ses relations avec Fidel Castro, il était parfois dit de lui que la gloire l’avait empêché d’écrire l’œuvre qu’on pouvait attendre de lui et, qu’en définitive, Gabriel Garcia Marquez était l’auteur d’un seul livre. Roger Martin du Gard, prix Nobel également, avait, en son temps, entendu le même reproche. Il y avait répondu en déclarant que tout ce qu’il avait à dire, il l’avait écrit dans les « Thibault »…
Pour Gabriel Garcia Marquez, c’est passer un peu vite sur ses autres œuvres littéraires :
« Des feuilles dans la bourrasque » (La Hojarasca), le premier roman de García Márquez dans lequel tous les événements se déroulent dans une chambre, pendant une période d’une demi-heure, un mercredi 12 septembre 1928. C’est l’histoire d’un vieux colonel qui essaye de donner un enterrement chrétien convenable à un docteur français impopulaire. Le roman explore la première expérience de l’enfant avec la mort en suivant le cheminement de sa conscience.
« Cent ans de solitude », son plus grand succès commercial. Ce roman relate sur plusieurs générations l’histoire de la famille Buendía depuis la fondation du village fictif de Macondo, qui valut à García Márquez une notoriété mondiale, déterminante dans l’attribution du prix Nobel de littérature en 1982.
« L’Automne du patriarche », est un « poème sur la solitude au pouvoir.
« Chronique d’une mort annoncée » (Crónica de una muerte anunciada), publié en 1981, un an avant que Gabriel García Márquez ne remporte le prix Nobel de littérature. Ce roman a été adapté au cinéma par le réalisateur italien Francesco Rosi en 1987.
« L’Amour aux temps du choléra » (El amor en los tiempos del cólera), publié en 1985, est une histoire d’amour à « l’âge d’or ».
« Le Général dans son labyrinthe » , publié en 1989 est un roman sur Simón Bolívar. Le portrait romanesque prend quelques libertés avec les données historiques. Ce roman a été ressenti comme un outrage par certains lors de la publication du livre. Gabriel García Márquez se défendait en précisant que « c’est totalement un roman ».
Le 21 avril, au palais des Beaux-Arts de Mexico, en présence de milliers d’admirateurs qui ont défilé, pendant plus de quatre heures, devant l’ urne contenant les cendres de l’écrivain, entourée de roses jaunes (qui, pensait-il, le protégeait du mauvais sort), le président colombien, Juan Manuel Santos, a déclaré : « Gloire éternelle à celui qui nous a donné plus de gloire ! » (…)« le plus grand Colombien de tous les temps ». « Nous [la Colombie et le Mexique] nous unissons pour rendre hommage à celui qui, un jour de décembre 1982, depuis la glaciale Stockholm, a frappé le monde en parlant de la solitude de l’Amérique latine ».
Le président mexicain, Enrique Peña Nieto, quant à lui, a rendu hommage au « plus grand romancier d’Amérique latine de tous les temps (…) qui a « placé la littérature latino-américaine à l’avant-garde de la littérature mondiale ».
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