« Citius, altius, fortius », aurait été lancé par un Père dominicain, Henri Didon, directeur de l’internat Albert-le-Grand, à Arcueil, à l’issue d’une compétition sportive en 1891. « Plus vite, plus haut, plus fort… Vers le Christ « , fut, selon l’historien Patrick Clastres, récupéré par le fondateur des Jeux olympiques de l’ère moderne, le baron Pierre de Coubertin, ami du Père, qui s’empressa de débarrasser la devise de son sens religieux pour en faire la maxime olympique universellement connue.
J’ai raconté, en août 2021, les circonstances dans lesquelles l’idée fut émise, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, en 1884, d’organiser les premiers Jeux olympiques de l’ère moderne à Paris en 1900, dans le cadre de l’Exposition universelle. C’était trop loin. À la demande de la Grèce, les premiers Jeux se déroulèrent à Athènes en 1896.
Le sport n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Les Jeux de Paris eurent lieu en 1900, mais les épreuves se déroulèrent dans la pagaille. Les critiques furent vives et le sujet si sensible que le président Alexandre Millerand fit à peine allusion aux Jeux olympiques, qui venaient de se dérouler, dans son discours de clôture de l’Exposition universelle.
Paris accueillera, du 26 juillet au 11 août 2024, les Jeux de la XXXIIIe olympiade de l’ère moderne pour la troisième fois, cent ans après ceux de 1924. Deux ans avant cet événement, nous ne pouvons qu’espérer que les bruits de botte, les menaces sur l’économie mondiale, la, pour ne pas dire, les, pandémies, ne ruineront pas les espoirs de créations d’emplois induits, le tourisme, le commerce, les investissements dans les infrastructures de transport, le développement du Grand Paris et la création de quartiers nouveaux dans le nord et l’est de la capitale, et n’empêchent pas les Jeux de 2024 d’être une bonne affaire pour Paris, pour la France. Nous avons un devoir d’optimisme. En 2024, la France sera en fête. Paris sera à nouveau la lumière du monde. La France n’est plus la grande puissance qu’elle était en 1900, mais, pendant la durée des Jeux, toute la planète regardera la France, ce pays de cocagne, et Paris, en particulier.
Michel Dalloni, le journaliste qui avait signé la deuxième des 21 questions que posait « L’Avenir », le numéro de collection consacré au XXIe siècle conçu par les rédactions du Monde et de France Info, en 1999, qui avait pour titre : Plus haut, plus vite, plus fort ? Les sportifs ivres de records et d’argent, craignait que le XXIe siècle consacre le remplacement de la belle devise de Pierre de Coubertin par une autre, moins glorieuse : « Plus seul, plus riche, plus puissant ». Je n’avais pas relu son article depuis sa publication le 26 novembre 1999. Sa vision était pessimiste, parce que les éducateurs et responsables qu’il avait interrogés, l’étaient.
Pierre de Coubertin voulait que les Jeux olympiques soient « débarrassés de toute ingérence politique ». La règle 50.2 de la Charte Olympique stipule qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». C’est beaucoup demander. De nombreux athlètes s’agenouillent en soutien au mouvement Black Lives Matter pour obtenir plus de justice raciale, comme Tommie Smith et John Carlos, aux Jeux olympiques de Mexico en 1968, qui avaient levé le poing en hommage à la lutte des Africains Américains contre le racisme aux États-Unis. Les deux athlètes avaient été exclus à vie des Jeux olympiques mais ils font partie de l’histoire des Jeux comme l’Éthiopien Feyisa Lilesa, qui, à Rio, en 2016, avait franchi la ligne d’arrivée du marathon, les poignets croisés au-dessus de la tête, en signe de protestation contre la politique menée par le gouvernement éthiopien à l’encontre des Oromos, une ethnie de son pays.
Le baron fondateur ne se faisait probablement pas d’illusions sur ce que deviendrait l’esprit olympique. Il était impossible d’éviter la marchandisation de l’athlète, l’exploitation commerciale et financière des dieux du stade. L’amateurisme n’a jamais été qu’une « vieille et stupide histoire ». Les Jeux ne pouvaient que devenir de gigantesques « machines à sous. »
Le 11 août 2012, lors des Jeux de Londres, j’écrivais ceci, sous le titre « Les Jeux : Valeurs du sport ou manipulation des peuples ? » :
Il y a longtemps que l’essentiel n’est plus de participer mais de disputer, à tout prix, une « course aux médailles » frénétique et passionnée. Frénétiques, les Chinois le sont, pour démontrer leur puissance. Ils « fabriquent » leurs athlètes comme le faisait, en son temps, l’Union soviétique. Passionnés, les Anglais, depuis leur désignation, utilisent tous les moyens, c’est peu dire, pour obtenir un maximum de médailles dans l’espoir que celles-ci cachent au monde leur puissance perdue. Le recours à des moyens techniques et matériels de plus en plus sophistiqués et coûteux, l’escalade des dépenses et investissements mobilisés pour « fabriquer » des athlètes, aurait pu tuer les Jeux et le Tour de France ; ce n’est pas le cas. L’olympisme demeure une philosophie. L’esprit olympique, même un peu cabossé, existe encore. Les athlètes y sont très attachés, malgré un certain nombre de décisions arbitrales qui peuvent être qualifiées de discutables, voire partiales pour ne pas dire étranges.
Toutes les grandes villes veulent un jour ou l’autre, organiser les Jeux, malgré les risques financiers que cette ambition fait courir. Les Jeux olympiques de Munich (1 972) et ceux de Montréal (1 976) s’étaient traduits par de lourdes pertes. Ceux de Los Angeles (1 984), de Barcelone (1 992) et d’Atlanta (1 996) auraient été bénéficiaires, si la comptabilisation des dépenses engagées par le pays a bien pris en compte toutes les charges, ce qui est peu probable.
Des esprits chagrins, insensibles aux valeurs du sport et aux émotions que suscitent les compétitions, instruisent, tous les quatre ans, le procès des Jeux. Ruineux, tout juste bons à attiser les nationalismes, les Jeux ne seraient que « la forme exacerbée et mondialisée du triomphe de la société du spectacle ». Le panem et circenses (pain et jeux du cirque) des Romains, servirait toujours à étouffer la révolte des populations exploitées. Le principe même de la compétition est jugé cruel et décadent par ces « beaux esprits » qui n’hésitent pas à l’ériger en idéologie pour mieux la dénoncer. Ils auront bien du mal à gâcher le plaisir d’une très grande partie de l’humanité qui, le temps des Jeux, a besoin d’oublier les soucis, de respirer et d’admirer les exploits des sportifs de très haut niveau.
Les valeurs du sport seraient-elles un mythe ? Vecteur d’éducation et d’éveil à la citoyenneté pour certains, vecteurs des valeurs dominantes de notre époque, la compétition, la recherche de la performance, l’individualisme, les objectifs économiques ou politiques ne seraient, pour les autres, que des perversités du sport. Où se situe la vérité ? En réalité, le sport n’a pas de valeurs spécifiques, les valeurs dont il s’agit, sont communes à la famille, à l’école ou à l’entreprise. Le dépassement de soi, l’esprit d’équipe, la performance individuelle, le goût de l’effort, ne caractérisent pas seulement le sport. Ils doivent s’accompagner des valeurs universelles que sont : l’honnêteté, la modestie, le courage, la tolérance, l’honneur. Force est de constater, malheureusement, que le racisme, le dopage, le nationalisme, la corruption, la tricherie, sont trop souvent l’autre face de la médaille.
Les Jeux sont ce qu’ils sont, une grande et belle fête du sport. Pour le reste, il ne faut pas être trop exigeant !
Le 21 juillet 2021, président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, a annoncé que la devise « Plus vite, plus haut, plus fort » avait été modifiée pour inclure le mot « Ensemble », dans un souci de solidarité. « Nous devons adapter la devise à notre époque », a-t-il déclaré.
Les enjeux, commerciaux, financiers, mais aussi politiques, sont tels qu’il arrive que les Jeux olympiques ne soient plus une fête, mais un événement qu’il faut mener à bien “par tous les moyens”. Les Jeux de Pékin 2022, au plus fort de la pandémie Omicron, en ont été l’illustration. Pékin et le CIO ont maintenu les Jeux dans une bulle et des conditions d’isolement contraire à l’esprit olympique. Un esprit olympique bien malmené quand Pékin a fait savoir le 18 janvier, que toute critique “sur l’esprit olympique, en particulier envers les lois et règlements chinois”, serait passible de poursuites pénales.
Évidemment, il y a le problème de l’argent dans un monde dominé par la loi de l’offre et la demande. Pierre de Coubertin n’avait pas moins d’illusions sur les dangers de l’argent, que sur les autres risques. Il serait surpris s’il pouvait avoir connaissance des chiffres révélés. Les dieux du sport ne sont plus seulement des athlètes talentueux, ce sont des entreprises, des start-up, qui font l’objet de véritables « fusions acquisitions ». L’offre est limitée, la demande ne l’est pas !
La demande, il suffisait, pour en prendre la mesure, de voir, ces dernières semaines, la foule, considérable, tout le long du parcours de la 109ᵉ édition du Tour de France cycliste et l’accueil réservé au vainqueur, le Danois, Jonas Vingegaard, revêtu de son maillot jaune, au balcon de l’hôtel de ville sur la Grand-Place de Copenhague. Le Tour de France 2 022 a été suivi par près de 41,5 millions de téléspectateurs. Quelques jours plus tard, le Tour de France Femmes, interrompue depuis 1989, a connu un grand succès.La Néerlandaise Annemiek van Vleuten, championne olympique du contre-la-montre, a brillamment succédé à la Française Jeannie Longo au palmarès de cette compétition.
La demande était là aussi pour “l’Euro féminin le plus regardé de l’histoire”. À Wembley, pour la finale, 87 192 amateurs de football étaient présents pour voir rugir « Les Lionnes d’Angleterre ». La reine d’Angleterre, à 96 ans, habituellement économe de ses paroles, a déclaré immédiatement que ce “succès va bien au-delà du trophée que vous avez tant mérité. Vous avez toutes montré un exemple qui sera une source d’inspiration pour les filles et les femmes d’aujourd’hui et pour les générations futures”.
Les dieux du stade, les superstars, sont peu nombreux. L’offre est rare. Elle vaut cher ! Les sportifs les mieux payés au monde ont gagné 992 millions de dollars durant les 12 derniers mois connus. Les revenus annexes, contrats de sponsoring, apparitions publiques, redevances de licence, revenus des sociétés qu’ils possèdent, se sont élevés à environ 500 millions de dollars. Lionel Messi, avec 130 millions de dollars de revenus bruts avant impôts est en tête du classement annuel Forbes des sportifs les mieux payés au monde. À la deuxième place, LeBron James, la star du basket, le joueur des Los Angeles Lakers, (Revenus sportifs : 41,2 millions de dollars | Revenus annexes : 80 millions de dollars). À la troisième place, Cristiano Ronaldo Revenus sportifs : 60 millions de dollars | Revenus annexes : 55 millions de dollars. Derrière les trois premiers, on trouve Neymar (Revenus sportifs : 70 millions de dollars, revenus annexes : 25 millions de dollars), Stephen Curry cette saison, et le joueur des Golden State Warriors (NBA). Revenus sportifs : 45,8 millions de dollars | Revenus annexes : 47 millions de dollars.
À 23 ans, le Français Kylian Mbappé, avec son nouveau contrat, va probablement prendre la première place au classement des salaires des joueurs les mieux payés de la Ligue 1 2022-2023 et une des premières places du classement Forbes avec 50 millions de dollars de revenus sportifs par an et des revenus annexes en forte augmentation.
Le Danois, Jonas Vingegaard, vainqueur du Tour de France cycliste a reçu 500 000 € ! Cherchez l’explication !
Le football, le golf, le basket-ball, la Formule 1, le tennis, dominent le monde du sport en popularité et surtout en recettes qu’ils génèrent. La fortune de ces superstars, pour ne pas dire de ces extraterrestres, donne également le vertige. Le magazine américain Forbes en a dressé le classement, qui, vingt ans après le début du XXIe siècle, donne raison à Michel Dalloni, le journaliste, auteur de l’article intitulé : Plus haut, plus vite, plus fort ? Les sportifs ivres de records et d’argent, qui craignait que le XXIe siècle consacre le remplacement de la belle devise de Pierre de Coubertin par une autre, moins glorieuse : « Plus seul, plus riche, plus puissant »
Le classement du magazine américain Forbes
- Michaël Jordan. L’ex-star de la NBA aurait accumulé 1,85 milliard de dollars de gains.
- Tiger Woods, la légende du golf, fortune estimée à 1,7 milliard de dollars.
- Arnold Palmer, ancienne gloire du golf, 1,4 milliard de dollars.
- Jack Nicklaus, golfeur, 1,2 milliard de dollars.
- Michaël Schumacher, l’ancien pilote de F1,1 milliard de dollars.
- Phil Mickelson, le golfeur américain, 815 millions de dollars.
- Kobe Bryant, l’ancien basketteur des Lakers de Los Angeles, 800 millions de dollars.
- David Beckham, joueur de football, 800 millions de dollars.
- Floyd Mayweather, le boxeur, 785 millions de dollars.
- Shaquille O’Neal, joueur de basket des Lakers, 735 millions de dollars.
- Lebron James. La star actuelle de la NBA, 730 millions de dollars.
- Cristiano Ronaldo, 725 millions de dollars.
- Greg Norman, joueur de golf Australien, 705 millions de dollars de gains.
- Mike Tyson, 700 millions de dollars.
- Roger Federer, 675 millions de dollars
- Lionel Messi, 600 millions de dollars.
- Alex Rodriguez, joueur de baseball, légende des Yankees de New York 575 millions de dollars.
- Jeff Gordon, pilote de NASCAR 525 millions de dollars
- Oscar De La Hoya. Le Golden Boy de la boxe, 520 millions de dollars.
- Manny Pacquiao, boxeur Philippin 510 millions de dollars.
Dans son article, Michel Dalloni citait Georges Vigarello qui, en avril 1987, avait écrit dans la Revue Esprit : « Si le sport est une vision du monde, le sport du XXIe Siècle nous promet un univers ultralibéral voué à la célébration bruyante de la performance ».
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