« Voyons, vous ne pouvez pas dire non à de Gaulle ! »


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J’ai raconté, le 5 juillet dernier, sous le titre « Les carottes sont cuites », les circonstances, à la fois dramatiques et rocambolesques, dans lesquelles le général de Gaulle, nommé président du Conseil, par le président de la République, René Coty, le 30 mai 1958, a été investi par l’Assemblée nationale, le dimanche 1er juin à 15 heures, par 329 voix pour et 224 voix contre.

Dans ses mémoires, le général de Gaulle a résumé ainsi l’entretien qu’il a eu avec le président de la République, le 29 mai : « Coty se range à mon plan : pleins pouvoirs, puis congé donné au Parlement, enfin Constitution nouvelle à préparer par mon gouvernement et à soumettre au référendum. J’accepte d’être investi le 1er juin. »

Georgette Elgey dans « de Gaulle à Matignon », le 4e tome de son « Histoire de la IVe République », raconte ce qui s’est passé dans les heures qui ont suivi. Après l’opération « Résurrection », le début de coup d’État militaire, qui a précipité la nomination du général, de Gaulle entame l’opération « séduction » avec les principaux dirigeants des partis politiques.

Dans sa chambre de l’hôtel La Pérouse, il consulte pour constituer rapidement son gouvernement, « sans y attacher beaucoup d’importance », selon Olivier Guichard, mais avec une idée « très précise » de sa composition. Il convainc Antoine Pinay, le ministre des finances le plus populaire de la IVe République, de prendre en charge les Finances du pays. Avec les représentants du monde du travail, il n’a guère de succès. Il n’en a pas plus avec le maire de Marseille, Gaston Defferre, à qui il propose les Travaux publics et la Reconstruction. Avec les hauts fonctionnaires, c’est plus simple. « Trouvez-moi le préfet le plus ancien et le plus élevé dans son grade », demande-t-il à ses proches. C’est ainsi qu’Émile Pelletier devient ministre de l’Intérieur. Pierre Guillaumat, haut commissaire à l’Énergie atomique, se voit confier le ministère des Armées. Pour les Affaires étrangères, il y a longtemps que de Gaulle pense à Maurice Couve de Murville, ambassadeur à Bonn. Dans sa volonté de rassembler tous les Français, il maintient Félix Houphouët-Boigny dans ses fonctions, mal définies, de ministre d’État. Il fait de même avec Louis Jacquinot. Pierre Pflimlin, humilié, commence par refuser, puis finalement, accepte. « Voyons, vous ne pouvez pas dire non à de Gaulle ! »

Avec Guy Mollet, il menace : « Si vous refusez, je n’accepterai pas de former le gouvernement ». Guy Mollet, fasciné, accepte. Michel Debré est furieux. Il pense que de Gaulle va rater son gouvernement « avec tous ces hommes issus des partis ». À l’Éducation nationale, il veut un « normalien ». Pompidou lui propose René Billières, son condisciple de la rue d’Ulm. René Billières, profondément choqué par ce qui s’est passé pour que de Gaulle revienne au pouvoir, refuse. Devant l’insistance de Pompidou, il accepte de se rendre à l’Hôtel La Pérouse. Billières persiste dans son refus. De Gaulle, dans la séduction, lui dit : « J’ai peu de temps. Il faut m’aider. » René Billières décline l’offre du général, mais lui recommande Jean Berthoin, qui accepte.

C’est ainsi que le général de Gaulle constitua le dernier gouvernement de la IVe République, un gouvernement de rassemblement, d’union nationale, dans l’esprit de compromis et de confiance « qu’exigeait le salut de la France, de l’État et de la République ».

Le 2 juin 1958 un projet de loi relatif aux pleins pouvoirs, fut déposé par le gouvernement à l’Assemblée nationale avec l’exposé des motifs ainsi rédigé et un article unique :

 » La crise que traverse la France menace l’unité de la nation, l’autorité de l’État, la vie de la République, les libertés des citoyens. Elle risque de conduire à la guerre civile. Pour y faire face les moyens normaux ne suffisent pas et le gouvernement doit disposer des pouvoirs les plus étendus. »

ARTICLE UNIQUE

 » Pendant une durée de six mois à dater de la promulgation de la présente loi le gouvernement de la République prendra, par voie d’ordonnances, les mesures législatives nécessaires au redressement de la nation.

 » Ces ordonnances devront respecter les libertés publiques fondamentales.

 » Sauf en cas d’urgence spécialement constatée, elles seront prises en Conseil des ministres, après avis du Conseil d’État.

 » Elles entreront en vigueur par leur publication au Journal officiel.

 » À l’expiration du délai prévu à l’alinéa premier ci-dessus elles seront déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale à fin de ratification. « 

Ce projet porte les signatures de : MM. C. de Gaulle, président du Conseil des ministres ; Félix Houphouet-Boigny, Guy Mollet, Louis Jacquinot et Pierre Pfimlin, ministres d’État, et Michel Debré, garde des sceaux, ministre de la justice.

Le même jour, le général de Gaulle obtient les pleins pouvoirs de l’Assemblée pour six mois et peut légiférer par ordonnance. Une loi constitutionnelle du 3 juin 1958 lui confie la mission d’élaborer une nouvelle Constitution dont le projet sera soumis à référendum.

Le 3 juin, l’Assemblée nationale s’ajourna pour six mois. Le 28 septembre, les Français approuvèrent par référendum, avec près de 80 % de oui, la Constitution de la Cinquième République qui porte la date du 4 octobre 1958.

Ainsi prit fin la IVe République

Depuis près de deux mois, les institutions flottent. Le chef de l’État réfléchit, consulte, donne l’impression de procrastiner. « Maître des horloges », il cherche surtout le meilleur moyen de rester le maître de l’exécutif, alors qu’il a perdu trois consultations électorales successives. Le président de la République dispose de pouvoirs importants, nommer le Premier ministre, décider de recourir à un référendum, dissoudre l’Assemblée nationale dans moins d’un an. Le gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes. L’Assemblée nationale attend la nomination d’un Premier ministre pour reprendre ses travaux ou une convocation en session extraordinaire. Autour de lui, les acteurs politiques s’agitent, mais sont impuissants. L’élection présidentielle, en 2027, gèle les positions des uns et des autres. C’est elle, et le mode de scrutin aux élections législatives, qui bloque les institutions. Personne, de ce fait, n’a mis à profit ces deux mois, pour chercher à rapprocher les points de vue, construire une coalition d’union nationale pour « le salut de la France, de l’État et de la République ».

Faut-il donc toujours, dans ce pays, une révolution, la menace d’un coup d’État militaire, un « sauveur » et être au bord du précipice, pour que la raison et l’esprit de responsabilité l’emportent sur les mesquineries, la médiocrité, la petite tambouille, dans une petite casserole ?

Sévère, Nicolas Beytout, le patron de L’Opinion, vient d’écrire dans un récent éditorial : « Mais après tout, peut-être est cela qu’il faut pour la France ? Ne pas être gouvernée puisqu’elle est, en l’état, ingouvernable. Thierry Beaudet, s’il était choisi, ne gênerait pas Emmanuel Macron – la qualité numéro un recherchée par le Président ! »

Si un Premier ministre obtenait une majorité pour ne rien faire dans les mois qui viennent, alors, ce serait pour la France, un grand malheur. Ce Premier ministre aurait toutes les chances d’entrer dans l’Histoire aux côtés du bon docteur Queuille, corrézien, président du Conseil au début de la quatrième République, réputé pour sa propension à l’immobilisme. Une caricature l’avait représenté, posant au milieu de son gouvernement, face aux photographes, le jour de son installation. Quand un des photographes s’exclama : « Ne bougez pas ! », le président Queuille répondit : « C’est bien notre intention ! »


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