Est-ce qu’il suffit de rire, souvent et de bon cœur, pour considérer qu’une pièce de théâtre est une réussite ? Vaste question. Bon public, j’ai tendance, dans ce cas, à considérer que j’ai passé un bon moment, puisque j’ai souvent ri. Mais, est-ce que j’ai ri parce que l’acteur principal, Fabrice Luchini me fait toujours rire, parce que l’esprit soufflait sur la pièce de Florian Zeller ou parce qu’un vaudeville est simplement fait pour déclencher le rire ? Les critiques qui écrivent que Fabrice Luchini « fait des merveilles avec du banal » ou que Florian Zeller use et abuse de « l’inépuisable principe des fâcheux » de Molière, ont sans doute raison, mais il n’y a que le résultat qui compte. La salle est comble tous les soirs, et quand je dis comble, c’est que, les strapontins occupés, il reste à peu près autant de place que dans une boite de sardines à l’huile. Devant moi, j’observais, de temps en temps, un homme d’âge mur, qui, manifestement, économisait ses muscles zygomatiques. Peut-être entendait-il mal ou considérait-il que rire est vulgaire et que se laisser aller à rire pour des situations trop souvent prévisibles, des répliques dépourvues de style et de subtilité, n’était pas digne de sa condition.
En clair, les avis sont partagés. Ceux – nombreux – qui aiment Luchini, cet acrobate des mots, cette citation faite homme, cet incomparable conteur, passent une bonne soirée et tolèrent une certaine faiblesse des seconds rôles et le côté léger – ou un peu lourd – du Théâtre de Boulevard. Fabien Luchini donne l’impression de beaucoup s’amuser, il jubile en permanence, déguste ses propres mimiques. La salle, dès lors, ne peut que l’accompagner. Les lecteurs du Monde ou de Télérama, eux, ne sont pas dupes. Ils sont là pour être exigeants, pour critiquer. Ils sont donc sévères. « Mais que donc allait-il faire dans cette galère…? Ils préfèrent Fabien Luchini « seul en scène », pour dire des textes plus fins, plus travaillés. Dans « Une heure de tranquillité », de Florian Zeller, ces honorables critiques professionnels trouvent que « le trait est outré et les situations peu subtiles, on est souvent dans la caricature. »
De quoi s’agit-il ? Michel (Fabrice Luchini) rêve d’une heure de tranquillité, ce n’est quand même pas trop demander, pour écouter un 33 tours de jazz – très rare – qu’il vient, par hasard, de découvrir aux Puces. Un enchainement de circonstances l’empêche d’écouter son disque. Une femme dépressive, un fils punk, alias « Fucking Rat », un voisin très envahissant, un ouvrier apparemment polonais, mais en réalité portugais, qui s’acharne à détruire l’immeuble, sous prétexte de le rénover, l’entourent en permanence. Comme si ce n’était pas suffisant, la maîtresse de Michel, qui n’est autre que la meilleure amie de sa femme, débarque sur la scène, décidée à tout révéler à son amie. C’est du Théâtre de Boulevard, nous sommes venus pour rire et voir Fabrice Luchini comme nous l’aimons : agacé, égoïste, de mauvaise foi, des rôles qui lui conviennent parfaitement. Quand sa femme commence à évoquer la tromperie, il répond : « Une crise de jalousie ? Oui, mais rapide, alors », sur un ton sec et ahuri qu’il interprète mieux que personne.
Ceux qui, en sortant, se déclarent déçus, ne peuvent s’en prendre qu’à eux. C’est du Théâtre de Boulevard dans la grande tradition et, dans le genre, c’est à mon avis, plutôt pas mal.
Une heure de tranquillité, de Florian Zeller. Théâtre Antoine, 14, boulevard de Strasbourg, Paris 10e. Mo : Strasbourg-Saint-Denis. Tél. : 01-42-65-35-02.
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