Le 18 octobre 2005, date de l’ouverture de ce blog, je n’avais aucune idée de l’usage que je pourrais en faire. Il avait vocation à servir de support à mes passions : la lecture, l’histoire, la politique. Je me rends compte qu’avec le temps, la politique l’a trop souvent emporté. À ma décharge, les événements en sont la cause ; la crise de 2008, l’évolution de la construction européenne, l’élection étonnante d’Emmanuel Macron et de Donald Trump, la montée du populisme, les inconvénients de la mondialisation, l’inquiétante montée en puissance de la Chine, les effets du réchauffement climatique et le développement de nouvelles technologies, entre autres.
L’été est l’occasion pour moi de tenter de m’éloigner du commentaire politique et d’évoquer quelques souvenirs, le plus souvent professionnels, que j’ai réunis dans l’ouvrage que j’ai publié en 2010, sous le titre : « Avant l’oubli ».
Le premier qui me vient à l’esprit, sans doute parce que c’est celui dont je suis le plus fier, c’est le « 77 La Croisette » à Cannes.
Je présidais Cogedim Méditerranée, en 1994, quand l’opportunité se présenta de faire l’acquisition de l’hôtel Palma, au numéro 77 de la Croisette. Pour tous les promoteurs immobiliers, construire sur la Croisette était un rêve qui avait peu de chance de se réaliser. Les terrains y sont rares. Depuis 1965, date de la construction du Grand Hôtel, il ne s’était construit que le Palais de la Croisette, la Réserve Miramar et les deux résidences hôtelières, Le Gonnet de la Reine et le Noga Hilton.
Pour construire, il ne suffit pas d’acquérir un terrain. Il faut obtenir l’autorisation de construire. À Cannes, en particulier, les relations avec le maire n’étaient pas simples, c’est le moins qu’on puisse dire. La demande de permis de construire était bloquée malgré l’avis favorable de la commission de l’urbanisme. Je demandai un rendez-vous au maire. Après une longue attente, destinée sans doute à me mettre en condition, Michel Mouillot, apparemment de très mauvaise humeur, me reçut. Il me tendit une lettre que Pierre Cardin, le couturier, propriétaire du célèbre Maxims, lui avait fait parvenir. De tête, j’ai le souvenir que dans cette lettre, le couturier prétendait avoir un projet « génial » pour le » 77 La Croisette » et demandait au maire d’intervenir auprès du propriétaire de l’ancien hôtel Palma pour que COGEDIM lui cède ce terrain.
Depuis le début de cette affaire, nous avions beaucoup de mal à défendre l’idée de supprimer un hôtel et de le remplacer par un immeuble d’habitation de luxe. Je pensais que ce problème était réglé et qu’il n’y avait pas à revenir dessus. Je ne sais pas ce que Cardin avait promis au maire, mais, à l’évidence, cette lettre était destinée à faire pression sur moi. Bref, nous avons réussi, non sans mal à obtenir le permis de construire.
Pour Messieurs Brante et Vollenweider, les deux architectes retenus, la tâche était difficile. Le front de mer, à Cannes, est une sorte d’anthologie de l’architecture contemporaine. Ils ont fait preuve de beaucoup de talent pour donner, à l’intérieur des appartements, l’impression d’être en bateau. L’immeuble est léger, avec ses garde-corps en inox, ses mains courantes en teck et la voile que symbolise l’auvent.
Cogedim aimait l’architecture et les architectes. Nous avions bâti notre marque sur la qualité architecturale, de nos immeubles d’habitations et de bureaux. Les noms des plus grands architectes sont associés aux immeubles que nous avons construits : Richard Meier pour le siège de Canal Plus, Jean Nouvel pour la Fondation Cartier, Ricardo Bofill pour le marché Saint Honoré.
Le 27 mai 1994, en plein Festival de Cannes, comme nous l’avions programmé, la mise en vente du « 77 La Croisette » fut un succès. La moitié des appartements que composait l’immeuble fut placée en quelques heures
Mon ami Christian Guéry, spécialiste de l’immobilier au Figaro, n’avait pas été en mesure d’assister au lancement de la commercialisation. Je l’avais invité à Cannes, quelques jours plus tard, dans l’espoir qu’il parle de cet événement dans un prochain Fig Mag. Non seulement, Christian fut très agréablement impressionné à l’issue de sa visite, mais, en marchant sur le trottoir, il s’arrêta brusquement et me dit : « Michel, vous allez réussir ; je ne sais pas si vous le savez, mais dans la symbolique des chiffres, le 77 est un chiffre excellent ! » Je m’attendais à tout sauf à cet argument qui, sur moi, avait a priori peu d’effets, mais dont j’en ai conservé le souvenir.
En janvier 1995, les travaux ont commencé avec tout ce que cela signifiait du point de vue de la sécurité, de la circulation. En collaboration étroite avec la SNCF, il avait fallu surveiller minutieusement pendant le battage des parois des fondations, les appareils électroniques posés sur les rails afin d’éviter de déclencher le système d’alarme qui aurait provoqué l’arrêt des trains. L’exécution des fondations était difficile, compte tenu de l’eau, nous étions à 8 m au-dessous du niveau de la mer.
La construction du « 77 La Croisette » achevée, nous avions convié les principales personnalités cannoises à l’inauguration de l’immeuble comme nous avions l’habitude de le faire. Le 5 décembre 1996, 18 heures, dans l’appartement du dernier étage, qui bénéficie d’une vue époustouflante, un monde fou était déjà entassé quand nous arrivâmes. De nuit, l’immeuble était magnifique. La lumière qui éclairait les balcons donnait tout à fait l’impression d’être en bateau, en croisière. Quand je me suis avancé vers le pupitre pour prononcer mon discours, j’étais très fier. Oui, c’est certainement le programme dont je suis le plus fier.
Le 77 La Croisette, par sa situation, son architecture, la qualité de la construction, son succès commercial, fut une des plus belles pages de l’histoire de Cogedim Méditerranée.
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