Paraphrasant Mark Twain, Emmanuel Macron était visiblement soulagé, samedi, quand il s’est rendu à la préfecture de police de Paris, pour féliciter et remercier les forces de sécurité pour la qualité de leur travail lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.
Soirée magique, originale, grandiose, fête sublime, les qualificatifs manquaient, un peu avant minuit, vendredi soir, pour exprimer le ressenti des spectateurs après le bombardement, j’allais écrire la pluie, d’images, qu’ils venaient de recevoir. Un spectacle conçu et réalisé, avant tout, pour les vingt-deux millions de téléspectateurs français et, paraît-il, près de deux milliards, dans le monde.
Le projet d’organiser la cérémonie d’ouverture de la 33e Olympiade des temps modernes, sur la Seine, sur 6 km, avec douze tableaux et des animations plus surprenantes et grandioses les unes que les autres, était sans précédent. C’était donc un défi, un risque, que les Cassandre ne manquèrent pas de qualifier de « folie irresponsable », de « faute impardonnable ». Les professionnels de la mise en garde, se reconnaîtront. Les risques étaient réels. Les menaces sérieuses.
Pour ce qui concerne le thème de la cérémonie, la difficulté n’était pas moins grande. Comment intégrer le sport, les valeurs universelles, l’identité française, en pleine évolution, Paris, son Histoire, son patrimoine, dans un spectacle de cette nature ? Comment être à la hauteur de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 et du Bicentenaire de la Révolution française en 1989 ?
Dans une France divisée, fracturée, à bout de nerfs, il était impensable de satisfaire tout le monde, sauf à offrir de l’eau tiède, triste comme la pluie.
Dès le début de la cérémonie, les commentaires, les critiques, ont fusé. « Les grands artisans de ce spectacle ont pris en otage la beauté de Paris, le plus bel écrin du monde. Mais ces gens ne sont pas nous. Ils ne nous représentent pas. Ils sont étrangers à ce que nous sommes. Ennemis de ce que nous fûmes. Ils veulent nous imposer une vision de l’Homme qui n’est pas la nôtre. Une vision de la France qui n’est pas la nôtre, que nous rejetons, que les étrangers eux-mêmes découvrent avec stupéfaction, ou tristesse. Ma grand-mère aurait conclu : même le ciel en a pleuré ! », a écrit Éric Zemmour qui s’efforça de faire preuve d’un « bon esprit ». « La Cène avec les drag-queens et la décapitation de Marie-Antoinette ajoutent l’infamie à la laideur », a hurlé Philippe de Villiers. Un « Puy du fou de la gauche« , pour la journaliste Eugénie Bastié. Marion Maréchal, dans un tweet en anglais, s’est adressée aux « chrétiens du monde ». « Ce n’est pas la France qui parle, c’est une minorité de gauche prête à toutes les provocations ».
J’assume tout (…) C’est comme ça qu’on va vivre ensemble » a répondu crânement Patrick Boucheron, l’historien en charge de la cérémonie d’ouverture. En conférence de presse avec Tony Estanguet, le président du Comité d’organisation des Jeux de Paris et des représentants du CIO, le metteur en scène, Thomas Jolly, samedi matin, s’est justifié. Il a cité Sénèque, le philosophe romain : « La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, mais c’est d’apprendre à danser sous la pluie. » « C’est ce que j’ai vu hier, des gens qui ont dansé », s’est-il réjoui en parlant du sentiment du « devoir accompli » malgré les difficultés techniques supplémentaires dues à la pluie, qui ont notamment contraint à annuler des scènes de danse et de musique sur les toits de Paris. « Tout le monde était sous la pluie. On a tenu ensemble pour cette humanité partagée dans laquelle chacun a pu se reconnaître, se retrouver et dire : oui, nous sommes tous différents mais nous sommes toutes et tous ensemble. C’était vraiment l’idée de cette cérémonie ». Toute la soirée, dans tous les tableaux, j’ai voulu dire : on croit que ça ne va pas ensemble, on veut mettre des choses dans des cases, mais en réalité quand ces cases se rencontrent, ça crée de la beauté, ça crée de l’émotion, ça crée de la joie, ça crée du partage », a expliqué le metteur en scène.
Dans un monde fracassé par les guerres, Thomas Jolly assume la dimension politique de son spectacle, « pas au sens politicien, au sens du mot grec polis, la cité. On parle de nous, à partir du moment où on parle de nous, pour moi on est politique. Hier soir, c’était des idées républicaines, c’était des idées d’inclusion, c’était des idées de bienveillance, de générosité, de solidarité dont nous avons follement besoin ». Thomas Jolly veut aussi croire dans la magie des instants partagés devant 22 millions de Français en direct à la télévision. « J’ai eu envie d’envoyer un message d’amour, d’inclusion, pas du tout de diviser justement ». « Ma volonté n’est pas de me moquer. J’ai voulu célébrer « la diversité » et « l’altérité ».
La Conférence des évêques de France a immédiatement déploré des scènes tournant en dérision le christianisme, notamment en parodiant la Cène, le dernier repas du Christ. Sur les réseaux sociaux, tes thuriféraires, qui justifient le tableau, affirment que la référence n’est pas la Cène de Léonard de Vinci, mais le Festin des Dieux de Jan Harmensz van Biljert, peint vers 1635 et conservée au Musée Magnin à Dijon. Les dieux de l’Olympe célèbrent le mariage de Thétis et Pélée ; au centre de la table, ce n’est pas le Christ, mais Apollon couronné. Bacchus-Dionysos est allongé au premier plan.
Les étranges oublis historiques, la malle géante LVMH, sponsor du spectacle, la tête de Marie Antoinette, la place excessive accordée au wokisme, ont, à juste titre, étaient vivement critiqués. La mémoire collective retiendra cependant que vendredi, sous une pluie battante, « Paris a émerveillé le monde ». La presse internationale, dans l’ensemble, a salué la performance à l’honneur de la France qui occupe toujours une place particulière dans le monde. Les télévisions du monde entier ont retransmis la cérémonie, à l’exception de la télévision russe qui a qualifié les Jeux de Paris 2024, de « simples compétitions provinciales ».
Le Los Angeles Times, a été élogieux. Los Angeles accueillera les Jeux de 2028, « la France a placé la barre très haut ». Les superlatifs ne manquent pas. « Paris est magique, féerique, olympique. Ce vendredi soir, l’écrin exceptionnel de la Seine et de ses quais d’orfèvre a été le théâtre de la cérémonie d’ouverture des Jeux 2024. Une première inédite hors d’une enceinte sportive. Ou quand l’audace et le génie de nos voisins parviennent à emmener le plus grand événement du monde au stade d’après », juge la Tribune de Genève. « Une chose est sûre : ce spectacle restera dans l’histoire », résume la Frankfurter Allgemeine Zeitung.En Espagne, Marca salue la « meilleure cérémonie de l’histoire ». En Italie, le Corriere de la Sera qualifie la cérémonie de « révolutionnaire ».Le journal conservateur polonais Rzeczpospolita salue la performance : « Les Français ont rendu possible l’impossible » avec un « spectacle à couper le souffle ».Olympic Broadcasting Services avait déployé plus de cent systèmes de caméras ainsi que huit drones, trois hélicoptères et quatre bateaux stabilisés et équipés sur mesure.
Malgré la pluie qui perturbait les prises de vues, il y eut de très grands moments de télévision. Le grand cheval de fer qui galopait sur l’eau, l’acrobate qui courrait sur les toits en portant la flamme olympique, grimpant jusqu’à la flèche de Notre-Dame. Qui se cachait derrière ce masque encapuchonné ? Vêtue d’or, Aya Nakamura, tant contestée, a enflammé la Seine avec Pookie, un de ses tubes, au milieu des gendarmes de la Garde républicaine qui se déhanchaient. Passant sous le pont Notre-Dame, les athlètes algériens ont jeté des roses rouges à l’endroit où plusieurs centaines de leurs compatriotes étaient morts noyés dans la Seine, le 17 octobre 1961.
Toujours sous une pluie battante, les légendes du sport, Zinedine Zidane, Rafael Nadal, Serena Williams, la gymnaste roumaine Nadia Comaneci, le sprinteur américain Carl Lewis et plusieurs autres champions, dont Charles Coste, plus vieux champion olympique français encore en vie, dans un fauteuil roulant, ont porté la flamme jusqu’au jardin des Tuileries. Pour allumer la vasque, avant que celle-ci ne s’envole, il fallait, pour la première fois, un homme et une femme. Ce fut le judoka Teddy Riner et Marie-José Pérec. À 23 h 24, la vasque s’est transformée en un anneau de feu qui s’est élevé vers le ciel. La voix, unique, émouvante, de Céline Dion a, alors, retenti, avec L’Hymne à l’amour, d’Édith Piaf, Les 33es Jeux olympiques pouvaient maintenant être ouverts.
Voilà, chacun conservera le souvenir qu’il voudra de cette cérémonie originale, unique, donc historique.
Tout le monde disait que c’était impossible. Ils l’ont fait !
Maintenant, place au sport !
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