Tout ça pour ça !


Publié

dans

par

Retraité, depuis vingt-quatre ans, j’ai souvent hésité avant d’évoquer le sujet des retraites dans ce blog. Je trouvais cela un peu indécent. La division du pays sur ce sujet explosif, les contradictions des partis politiques, les mensonges, l’hypocrisie, l’idéologie, le déni, les ambiguïtés, la cacophonie à l’Assemblée, la violence du débat, me conduisent aujourd’hui à rappeler l’esprit qui avait présidé à l’instauration du système de retraite auquel les Français sont, à juste titre, attachés. Son architecture est fragile. En 1991, déjà, Michel Rocard disait que toucher aux systèmes de retraite avait « de quoi faire tomber cinq ou six gouvernements dans les prochaines années. » C’est encore plus vrai aujourd’hui, au lendemain d’une pandémie qui a eu pour conséquence de modifier le rapport que les jeunes ont au travail et aux dépenses publiques, après le « quoi qu’il en coûte ». Pourquoi reculer l’âge de la retraite ? Les milliards ne manquent pas !

Le concept de retraite par répartition, la plus grande conquête sociale du XXe siècle avec la Sécurité sociale, est simple : les cotisations des salariés servent à financer les pensions des retraités. La mise en œuvre, au fil des années, avec les régimes spéciaux, les cas particuliers, les contributions de l’État, les concessions accordées, les inégalités, a transformé ce concept simple, en monstre qui a petit à petit monté les Français les uns contre les autres.

« La Sécurité sociale et les retraites étendues à toutes les catégories de salariés » figuraient dans le programme du Conseil National de la Résistance (CNR), l’organisme qui dirigeait et coordonnait les différents mouvements de la Résistance intérieure française pendant la Seconde Guerre mondiale. La Sécurité sociale et un nouveau système de retraites, d’inspiration socialiste, furent donc intégrés dans les ordonnances de 1945 prises à la Libération par le gouvernement du général de Gaulle. Le maréchal Pétain, avant lui, le 14 mars 1941, dans une allocution à la radio, avait annoncé que « pour alléger les dures conditions de vie de nombreuses personnes âgées, le gouvernement vichyste allait puiser dans les réserves des caisses de retraites des travailleurs, abondées, avant la guerre, par la capitalisation. » « Je tiens les promesses, même celles des autres », disait le vieux maréchal qui expliquait : « La retraite des vieux travailleurs repose sur la solidarité de la nation. Solidarité des classes, solidarité des âges. Solidarité des classes, puisque les pensions sont constituées par les versements des assurances sociales, et que ces versements proviennent à la fois des patrons et des ouvriers. Solidarité des âges, puisque ce sont les jeunes générations qui cotisent pour les vieilles. » ! C’était une revendication de la gauche devenue une idée « nationale socialiste » ! Cette réforme ne concerna qu’une partie des retraités de l’industrie et du commerce.

Le 20 avril 1946, les membres du gouvernement se réunirent en Conseil des ministres à l’hôtel Matignon, sous la présidence de M. Félix Gouin. Le projet de loi portant généralisation de la Sécurité sociale fut adopté à la demande de M. Ambroise Croizat. La  » retraite des vieux  » pour toutes les catégories de Français âgés de plus de 65 ans, à l’exclusion seulement de ceux qui touchent déjà une retraite ou une pension (fonctionnaires, cheminots, mineurs, etc.) et de ceux qui possèdent des ressources suffisantes, était née. Le nombre des bénéficiaires était estimé à environ 3 500 000. L’espérance de vie, à cette date, était de 65 ans pour les femmes et à 60 ans pour les hommes en France métropolitaine.

Le choix de la répartition plutôt que de la capitalisation, en vigueur depuis 1910, tenait au fait qu’il fallait immédiatement servir des pensions, ce qui n’aurait pas été possible avec la capitalisation que l’inflation menaçait.

La loi du 22 mai 1946 donna immédiatement une allocation à tous les « vieux », qu’ils aient été ou non, salariés. Elle institua le régime de base de tous les assurés sociaux, quelle que soit leur profession, et encadra la création des régimes de retraite complémentaire obligatoires.

Juste et généreuse, cette loi suscita beaucoup de scepticisme. La mesure allait coûter très cher. Mon grand-père répétait, à qui voulait l’entendre : « Ça ne pourra pas durer ! C’est un impôt nouveau. Que deviendront ces cotisations ? Est-ce qu’il sera même possible de les recouvrer ? » Ambroise Croizat, reconnaissait qu’il faudrait  » une période assez longue pour que les obligations nouvelles entrent dans les mœurs « . Avec une inflation très élevée, cette assurance vieillesse était une redistribution des revenus qui ne disait pas son nom ! Nombreux étaient ceux qui craignaient que cette mesure sociale ait des conséquences économiques, freine la production, ne soit pas supportable ?

Le 1er février 1950, le Haut comité à la population, sous la présidence de M. Paul Bacon, fut convoqué pour examiner la situation démographique du pays qui révélait une réduction du rythme des naissances et le vieillissement de la population. L’âge moyen de la mortalité avait doublé depuis un siècle, passant de trente à soixante. Il importait donc, selon le haut comité, d’envisager une refonte de la législation en matière de retraite !

Depuis le début des années 1990, sous l’effet cumulé de la hausse du chômage, du papy-boom et de l’augmentation régulière de l’espérance de vie, le déficit du régime a conduit à des réformes successives pour remédier à la charge de plus en plus lourde qui pèse sur le travail. Dès lors que la population vieillit, le système par répartition rend inéluctable le report régulier de l’âge de départ la retraite. De quatre actifs pour un retraité, on est passé à 1,7 et sans doute demain à 1,2. Le choix est simple. Pour maintenir un niveau socialement admissible de pensions, sans augmenter le montant des cotisations, il faut augmenter les charges sociales ou augmenter la durée de cotisation. Les salariés ont compris depuis plusieurs années déjà qu’il faudrait travailler plus longtemps ou recevoir moins, une fois à la retraite et que leur retraite des régimes obligatoires ne suffirait pas,

Dénaturer le système de retraites par répartition en finançant le déficit croissant, véritable tonneau des Danaïdes, avec d’autres ressources que les cotisations, n’a de sens que du seul point de vue idéologique (abandonner une partie des exonérations de cotisations sociales, majorer les cotisations sociales, mettre à contribution l’épargne-retraite fortement défiscalisée, contraindre les grandes entreprises, dont les dividendes versés aux actionnaires n’ont jamais été aussi élevés, de partager cette valeur ajoutée au profit des salariés, etc.) Les idées ne manquent pas. La France est l’un des pays les plus généreux de l’Union européenne en matière de pensions. Les dépenses de retraites pèsent 13,8 % de la richesse produite. Préserver le système, que dis-je, le sauver, est essentiel, mais avec des idées simples, compréhensibles, ce qui n’est pas encore le cas.

Le projet présenté en Conseil des ministres, le 23 janvier, après l’abandon, en raison de la pandémie et du confinement, de la réforme des retraites dite « systémique » adopté avec l’aide du 49.3, suscite de très vives oppositions et une mobilisation inhabituelle de toutes les organisations syndicales. Une nette majorité de Français refuse par principe tout report de l’âge légal du départ à la retraite, au motif qu’il ne serait pas juste et serait contestable du point de vue démocratique.

Michel Rocard n’avait pas tort ! Ce sujet est une malédiction! Le 7 février dernier, dans le journal Le Monde, une trentaine de personnalités affirmaient que « d’autres réformes sont possibles pour redonner du sens au travail, veiller à la justice sociale et préparer l’avenir dans la confiance. Le projet du chef de l’État est avant tout budgétaire, ignorant de bien des aspects de la vie collective. Finalement technique et financier, il se pare de la raison, que, pour notre part, nous ne réduisons pas à de telles expressions. Nous voulons une autre réforme, porteuse de plus de justice et de confiance, et nous voulons qu’elle soit construite en prenant le temps de débattre, sans occulter aucun de ses pans. »

C’est sans doute vrai ! Trop compliqué, donc difficile à plaider, le projet de réforme du gouvernement, qui ne dispose pas d’une majorité à l’Assemblée nationale, voit fondre, au fil des jours et des concessions faites, l’objectif financier de 17,7 milliards d’euros d’ici 2030, qui était sa principale raison d’être. Il est urgent, en effet, de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État après le « quoi qu’il en coûte » extrêmement coûteux, mais pas de cette façon.

Mon grand-père avait raison. « Ça ne pouvait pas durer » ! En pervertissant l’esprit du système, la retraite par répartition a tenu depuis 1946. Il est temps de revenir à la raison, si l’on ne veut pas être responsable de la lente, mais inéluctable, paupérisation des retraités  !


Publié

dans

par

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.