Il était 14 h 45, heure de Londres, le jeudi 24 décembre 2020, quand, devant le 10 Downing Street, Boris Johnson a annoncé : « Deal is done ». Le Premier ministre a finalement cédé avant la dernière minute de l’année 2020. L’Histoire de cette folle décision qu’a été le Brexit, retiendra qu’il aura fait les ultimes concessions nécessaires à un accord de libre-échange avec les Vingt-Sept, avant la date limite. Il a ainsi échappé au jugement de l’Histoire sur sa promesse de donner au Royaume-Uni une « prospérité puissante » avec un « no deal« , comme il le prétendait encore en début de semaine.
La page du Brexit sera tournée à la fin de l’année, enfin, provisoirement tant les sujets de négociation et différends seront encore nombreux dans l’avenir. Les deux parties se déclarent satisfaites. C’est un « bon accord », ont immédiatement affirmé Britanniques et Européens. Un « bon accord, équilibré » et « juste » pour la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen. « L’accord a été trouvé », pour le Premier ministre britannique, Boris Johnson, avec en prime une photo de lui, bras écartés et pouces levés. « Nous serons votre ami, votre allié, votre soutien et, ne l’oublions pas, votre premier marché, parce que, même si nous avons quitté l’UE, ce pays reste culturellement, émotionnellement, historiquement, stratégiquement et géopolitiquement attaché à l’Europe », a-t-il commenté, soulagé. Ajoutant cependant, à l’intention des Brexiters : « Nous avons repris le contrôle de nos lois, de notre destin ». Soulagé, parce qu’il avait absolument besoin de cet accord après tant de mensonges et la gestion calamiteuse de la pandémie dans son pays. Il a vu passer le boulet !
Le chef de l’opposition, Keir Starmer, a donné son accord, mais avec ce commentaire : « Nous acceptons cet accord, mais ses conséquences sont les vôtres et rien que les vôtres ». Le président français est également satisfait : « L’unité et la fermeté européennes ont payé […] L’accord avec le Royaume-Uni est essentiel pour protéger nos citoyens, nos pêcheurs, nos producteurs. Nous nous assurerons que c’est bien le cas ». Ferme sur ses positions, il a remercié Michel Barnier, pour sa « ténacité ».
Soulagée aussi, la chancelière allemande, Angela Merkel, qui s’est dite « confiante » avec ce commentaire : « Je suis très confiante dans le fait que nous avons ici un bon résultat. Avec cet accord, nous jetons les bases d’un nouveau chapitre dans nos relations. Le Royaume-Uni continuera d’être un partenaire important pour l’Allemagne et pour l’Union européenne en dehors de l’Union européenne ».
Soulagé également, le Premier ministre irlandais, Micheal Martin, qui était très inquiet : « L’accord conclu aujourd’hui est la moins mauvaise version possible du Brexit, étant donné les circonstances ».
Si le deal est validé par les Parlements, il y aura donc un traité de libre-échange, sans taxes ni quotas, associé à une coopération en matière de sécurité. De là à dire que l’accord est « fantastique » est que « tout ce qui a été promis aux Britanniques durant la campagne du référendum de 2016 et lors de la campagne des élections générales de 2019 a été tenu », il faut tout le culot de « Bojo » pour l’affirmer. « Nous avons repris le contrôle de notre monnaie, de nos frontières, de nos lois, de notre commerce et de nos eaux », s’est exclamé le Premier ministre, grisé par ce match nul obtenu dans le temps additionnel. Au pays du football, on sait se contenter d’un bon match nul !
« Ma politique est d’avoir le beurre et l’argent du beurre », disait-il, dans une de ses blagues favorites. En fait, ce « caprice » pourrait bien coûter la bagatelle de quatre points de produit intérieur brut (PIB) sur dix ans, sans compter ce qui a déjà été perdu !
Comme on pouvait l’imaginer, la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon, est remontée comme une pendule. Elle a aussitôt déclaré : « aucun accord ne pourra jamais compenser ce que le Brexit nous enlève ». Il est temps pour elle que l’Écosse, province britannique, devienne une « nation européenne indépendante ». Bonjour le Royaume désuni !
Pour l’instant, personne ne connaît le texte de l’accord, mais la boutade de Jean-Dominique Giuliani, le président de la Fondation Robert Schuman, il y a un an, semble prendre tout son sens : « Les Britanniques ont un pied dedans et un pied dehors et maintenant, ils veulent l’inverse : un pied dehors et un pied dedans ! ».
En principe il ne pourra pas y avoir de la part des Britanniques, de concurrence déloyale et de dérégulation sociale, fiscale, environnementale à tout va et d’aides de l’État inconsidérées. Fini le rêve d’un « Singapour-sur-Tamise ». A voir ! Il faudra être vigilant.
Sur la pêche, qui ne représente que 0,1 % du PIB britannique et pas plus de 1,5 % de celui de l’UE, la négociation a été laborieuse et, sans doute disproportionnée avec l’enjeu. Les compensations coûteront plus cher que les intérêts en jeu, mais politiquement, c’était nécessaire pour « vendre » le deal aux « petits peuples ».
Ni la finance ni aucun service ne font partie de l’accord de libre-échange. La libre circulation des personnes se termine le 1er janvier. Le Royaume-Uni, sort du programme d’Erasmus, C’est navrant, alors que des pays comme la Suisse, la Turquie et la Serbie, non-membres de l’UE, font partie d’Erasmus. Trop cher pour Boris Johnson ! Il prétend vouloir faire encore mieux ! Les frais d’inscription vont fortement augmenter. Le tourisme aussi va en pâtir. Difficile de dire, dans ces conditions, que cet accord est « gagnant-gagnant ».
« Il n’y a pas de gagnant dans le Brexit, c’est perdant perdant, c’est un affaiblissement que de se séparer, surtout dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, qui est un monde dangereux et instable où nous devons être ensemble, je pense, pour peser face aux États-Unis et à la Chine« , a déclaré, soulagé, fatigué, Michel Barnier sur France 2. « Le Royaume-Uni a choisi d’être solitaire plutôt que d’être solidaire. Je le regrette, mais mon mandat était de mettre Brexit derrière nous le plus rapidement possible. Nous l’avons fait dans l’unité, dans la fermeté ».
À EuroDéfense, nous connaissons Michel Barnier depuis longtemps. C’est un homme de devoir, droit, patient, pédagogue, tenace, calme et déterminé, comme un montagnard, qui aurait pu présider la Commission européenne si le PPE, son parti, n’avait pas fait le choix de Manfred Weber qui, lui, ne faisait pas l’unanimité. En « Monsieur Brexit », il a accompli sa mission avec un esprit européen remarquable. Merci Michel Barnier ! C’est à lui que revient tout le mérite. Négocier avec des Anglais, n’est jamais simple. Ils n’ont pas gagné, on a fait match nul !
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