« Assez joué » ! Écrit Caroline Fourest, dans son éditorial du numéro 146 de Franc Tireur du 28 août 2024.
La Cinquième République est un régime parlementaire. C’est donc à l’Assemblée nationale, nouvellement élue, de prendre ses responsabilités et de se montrer capable de dégager une majorité suffisante au sein de laquelle le président de la République nommera un Premier ministre, comme la Constitution lui en donne le pouvoir et le devoir. Le président peut nommer qui il veut comme Premier ministre. Le chef de l’État a le devoir d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics (article 5 de la constitution). Il doit donc s’assurer que le Premier ministre qu’il va nommer ne sera pas immédiatement renversé par une motion de censure.
Rien, dans la Constitution, n’oblige Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre issu du bloc arrivé en tête aux législatives. Si la coalition arrivée en tête au deuxième tour des élections législatives voulait vraiment gouverner, elle aurait passé l’été à chercher à constituer une majorité suffisante pour garantir un minimum de stabilité au gouvernement qu’elle proposerait. Il n’en a rien été. Elle s’est acharnée à faire le contraire, à exiger que son programme, tout son programme, rien que son programme, soit mis en œuvre par une Première ministre sans expérience, non élue, radicale à l’extrême, désignée uniquement pour mettre le président de la République dans l’embarras. À l’évidence, cette coalition ne veut pas gouverner. Elle joue, elle fait semblant !
Le bloc central, qui comprend le parti qui soutient le président de la République, a perdu les élections législatives, après une défaite cinglante aux élections européennes. Désavoué par le corps électoral, il a passé l’été à faire ce que le Nouveau Front Populaire aurait dû faire, mais n’a pas voulu faire. Il a cherché à constituer, avec des élus sociaux-démocrates et ce qui reste de députés du parti Les Républicains, une majorité capable de s’entendre sur un certain nombre de mesures à prendre en priorité dans les semaines à venir de faire passer un budget 2025. Il n’a pas réussi. Les sociaux-démocrates, susceptibles de les rejoindre, pensent avant tout à la présidentielle de 2027, cause principale du déséquilibre des institutions, et à leur réélection dans l’hypothèse, probable, d’une nouvelle dissolution dans dix mois. Les Républicains, quant à eux, refusent catégoriquement de participer à cette coalition. Ils veulent jouer seuls !
Le problème qui fait débat, c’est que, confronté à une situation inédite sous la Cinquième République qu’il a provoquée avec une dissolution, décidée imprudemment, sur un coup de tête, le président de la République est sorti de son rôle d’arbitre. Il s’est comporté, pendant tout l’été, et continue de le faire, comme s’il était le Premier ministre pressenti chargé de constituer une majorité. Il le fait pour éviter une cohabitation ou pour s’assurer que le Premier ministre qu’il nommera, ne remettra pas en cause la politique qu’il met en œuvre depuis sept ans. Ce n’est pas ce que le corps électoral, appelé à « clarifier la situation », a voulu. Les Français, dans leur grande majorité, veulent un changement de politique, donc une cohabitation. Ils ne veulent pas que « tout change, pour que rien de change » ; « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! » disait Tancrède au Prince Salina, pour exprimer son opportunisme et son ambition, dans « Le Guépard », le film de Luchino Visconti d’après le roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Dans le même temps, 40 % des Français interrogés, garderaient bien Gabriel Attal comme Premier ministre ! « Il est bien le jeune Attal » ! À quoi jouent les Français ?
Enfin, le Rassemblement national, grand gagnant lors des élections européennes, à deux doigts de gagner les élections législatives et de pouvoir imposer son président, Jordan Bardella, comme nouveau Premier ministre, fait cependant bonne figure, malgré la frustration, mais il est hors-jeu. Un Front Républicain, qui était surtout un front anti-Rassemblement national, s’étant constitué entre les deux tours des élections législatives, pour empêcher, coûte que coûte, l’arrivée de la droite de la droite, au pouvoir. Hors-jeu, il se contente de demander qu’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale soit convoquée d’urgence et que les Français soient consultés par la voie du référendum sur les sujets prioritaires dont dépend, à ses yeux, l’avenir de la France.
Il n’est pas exclu que, dans quelques jours, les Français constatent que la situation politique et institutionnelle est bloquée. La France serait alors en marche vers une crise de régime. Les spécialistes du droit constitutionnel considèrent, avec cependant quelques nuances, que le président de la République respecte la Constitution. Certes, il aurait peut-être pu, ou dû, accepter de nommer la candidate au poste de Premier ministre proposé par le NFP, avec la conviction que son gouvernement tomberait très vite. Il aurait, à ce moment-là eu les mains plus libres. Pour éviter que des mesures qui remettent en cause sa politique, soient prises, il a considéré que c’était dangereux.
Benjamin Morel estime que l’argument « on est arrivés en tête » ne tient pas la route. « Une telle obligation de nomination ne figure dans aucun texte », dit-il. Il constate cependant que la Constitution « comporte des failles qui pourraient demain être exploitées par d’autres. On le sait depuis 1962 ! Le Président peut consulter, c’est son devoir, mais ce n’est pas à lui de construire une coalition, surtout avec des arrière-pensées ! Est-ce que ce n’était pas à l’Assemblée nationale, et notamment à sa présidente, Yaël Braun-Pivet, de tenter de construire une majorité, plutôt qu’au chef de l’État ?
« Assez joué » !
En ce qui concerne « l’expédition des affaires courantes », il y a débat sur la durée de cette période. En 1962, Georges Pompidou, Premier ministre, a géré les affaires courantes pendant six mois. Est-ce qu’un chef de l’État pourrait charger un gouvernement renversé par une motion de censure, d’expédier les affaires courantes sans limite dans le temps ? On peut espérer que dans ce cas précis, l’article 68 de la Constitution permettrait au Parlement de destituer un chef de l’État pour « manquement à ses devoirs ».
Enfin, une démission d’Emmanuel Macron ne changerait rien. Les institutions ont été construites sur le fait majoritaire. Une Assemblée nationale sans majorité met les institutions en situation de blocage.
Huit semaines après les élections législatives, aucune solution viable n’apparaît faute de hauteur de vue et d’esprit de compromis dans l’intérêt général. Il est temps que ce jeu cesse !
« Assez joué » ! Rien ne va plus !
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