Sur le coup de 19 heures, le dimanche 15 juillet, c’est sous l’orage, la pluie et des confettis dorés, qu’eut lieu sur la pelouse du stade Loujniki de Moscou, la remise du trophée et des médailles ? Les caméras ont capté le chef de l’État français regardant le ciel menaçant. Il n’imaginait pas, à cet instant, que le ciel allait lui tomber sur la tête quelques jours plus tard !
Le 18 juillet, le journal Le Monde révèle qu’Alexandre Benalla, un chargé de mission à la Présidence de la République, coiffé d’un casque de police, est intervenu de façon violente auprès de deux manifestants, le 1er Mai dernier.
« Observateur » autorisé de l’action des forces de l’ordre, il aurait été sanctionné par son supérieur hiérarchique à l’Elysée après que celui a visionné une vidéo de la scène en question. Deux mois après cet incident, ce fait divers classé sans suite, les victimes n’ayant pas porté plainte et n’ayant d’ailleurs pas été identifiées, prend, à la faveur de cette révélation par le journal du soir, une autre nature pour devenir une « affaire » révélatrice d’un dysfonctionnement au sommet de l’État suivi d’une dissimulation.
Le président de la République, encore tout à la joie suscitée par la victoire des Bleus et la célébration de ce trophée, néglige l’effet produit par l’enquête d’Ariane Chemin, la journaliste du Monde. Les premières réactions ne prennent absolument pas en compte la gravité de la crise que cet article a le pouvoir de provoquer.
L’intéressé, M. Alexandre Benalla, est licencié le 20 juillet. L’affaire, si affaire il y a, aurait dû ou aurait pu, s’arrêter là. Le chef de l’État ne se rend pas compte qu’une alliance objective entre les médias, en général, et l’ensemble des partis politiques d’opposition, qui ne parviennent pas, depuis un an, à contrarier la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron, a enfin trouvé un angle de tir qui peut faire mal. Calomnier, calomnier, il en restera quelque chose ; répéter, répéter, répéter sans cesse que cet incident est une affaire d’État, et l’incident le devient. Il faut dire que l’Elysée, le ministre de l’Intérieur, la Préfecture de police de Paris, ont facilité la tâche de cette alliance objective.
Dans l’affaire Benalla, la loi, les règles, les usages, les procédures, n’auraient pas été respectés. La justice aurait dû être saisie, elle ne l’a pas été. Au fil des jours, la majorité parlementaire est déstabilisée. Des commissions parlementaires sont constituées. Le Parquet ouvre une enquête. Des mises en examen sont notifiées. Agacés par le comportement du chef de l’État à leur égard, les médias se frottent les mains, se félicitent d’avoir constitué un contre-pouvoir, signe d’une vie démocratique saine. Se rendent-ils compte qu’ils viennent de contribuer à « fabriquer » une affaire d’État, ce qui n’est pas du tout pareil ou était-ce leur but ?
Dans l’organisation administrative de la France, de ses Institutions, État, communes, Régions, départements, il y a chaque jour des anomalies, des dysfonctionnements, qui, mises à jour, exploités, en remontant les chaînes de commandement, prendraient vite le caractère d’affaire d’État, si celui-ci se dérobe. Ne serait-ce pas plutôt, volontairement ou non, une sorte de tentative de « coup d’État » soigneusement préparée et déclenchée au moment opportun, deux jours après un rare moment de bonheur dans la communauté nationale ?
À l’hystérie provoquée par la victoire de l’équipe de France de football, a succédé une hystérie du même ordre dans les rangs des diverses composantes de l’opposition à la majorité présidentielle. Les mots employés, les excès de langage, sont à peu près de même nature, c’est-à-dire excessifs. L’adage dit que ce qui est excessif, est insignifiant !
À l’évidence, le comportement coupable d’un chargé de mission a été instrumentalisé. Entendre des chiraquiens et des sarkozystes, déçus de ce long séjour dans l’opposition, parler des « barbouzes » de l’Elysée, c’est à exploser de rire !
Cela étant, ce qui est fait, est fait. Cette crise, puisque crise il y a, une semaine après les révélations du journal Le Monde, ne manque pas d’intérêt. Les interminables auditions des commissions parlementaires ont au moins une vertu. Elles révèlent, au moment où nous nous y attendions le moins, toute la complexité et la multiplicité des entités administratives de toutes sortes, toutes les lourdeurs de la technocratie à la française, avec son langage, son jargon, devrais-je dire, ses hiérarchies, ses codes, ses jalousies, ses petites guéguerres entre services.
Emmanuel Macron veut transformer la France. Très bien, il devrait, à la faveur de cette affaire, ouvrir le chantier de l’organisation de l’administration française d’un autre âge. Si les entreprises les plus performantes avaient ce modèle d’organisation, elles ne dureraient pas longtemps. Les hommes – et les femmes – aux commandes desdites administrations ne sont pas en cause. Ils – et elles – ont le sens de l’État, du bien public et ont droit au respect. Ces hauts fonctionnaires n’ont pas mérité d’être traduits, comme ils le sont, devant un tribunal populaire par des députés irresponsables qui n’ont rien fait depuis des décennies et les interrogent souvent sur un ton inadmissible.
L’alliance objective de la France insoumise et du Rassemblement national éclate au grand jour pour empêcher la transformation de la France. C’est infiniment plus grave que la faute impardonnable d’un jeune chargé de mission un peu trop pressé, trop brutal, qui se défend aujourd’hui dans le même journal du soir avec un étrange argument juridique : « Art 73 du code de procédure pénale : tout citoyen a qualité pour appréhender l’auteur d’un délit… J’ai appréhendé quelqu’un et l’ai remis aux policiers »
Cette affaire dévoile la vie à l’Elysée, altère l’image du Président et met en lumière le malaise qui règne à l’Assemblée nationale. Le Parlement ne doit pas être considéré par le Gouvernement comme un empêcheur de réformer en rond et le Parlement doit faire preuve d’un esprit plus constructif et moins polémique, ce qui n’est pas le cas avec un abus systématique de toutes les possibilités d’obstruction. La commission des lois de l’Assemblée nationale, transformée en commission d’enquête parlementaire, a offert le spectacle désolant d’une cour de récréation dominée par des petits caïds peu soucieux des dispositions de la Constitution sur la séparation des pouvoirs, mais bien plus décidés à ébranler le pouvoir qu’à contribuer à faire jaillir la vérité dans une affaire de règlement de comptes entre services à l’Elysée.
Existerait-il un projet de « secret service » sur le modèle américain, accompagné d’une promotion de M. Benalla, qui aurait rendu urgente la révélation de la vidéo du 1er mai ? C’est possible.
Le virage à 180° du journal Le Monde, qui avait plutôt tendance à soutenir l’action et la personne d’Emmanuel Macron, a paru étrange. Trois jours de suite, l’affaire Benalla a fait la une du Monde sur cinq colonnes. C’est beaucoup ! Personne ne conteste qu’Ariane Chemin a fait une excellente enquête. Elle s’en est d’ailleurs expliquée sur France Culture le 26 juillet. Elle feint d’être étonnée que son article ait pu provoquer tant de réactions politiques. Jusque-là elle pensait qu’il ne s’agissait que d’une bavure policière. Seulement, voilà, une bavure policière commise par un chargé de mission à la présidence de la République, ce n’est pas une « simple » bavure policière ! Nul n’ignore que le chef de l’État a pris le pouvoir comme un aventurier. Les Français découvre qu’il a, auprès de lui, des petits aventuriers qui ont une fâcheuse tendance à abuser d’un pouvoir qu’ils n’ont pas et d’une autorité qu’ils se donnent. Et ça, c’est une autre histoire !
Qui a intérêt à affaiblir durablement le chef de l’État en dehors des divers courants populistes ? Le populisme se nourrit du dénigrement. Il n’est donc pas étonnant que les partis populistes de droite, comme de gauche, se délectent ces jours-ci. Que de leçons de morale, de sermons, plus indécents les uns que les autres, de la part de ce qui ressemble, chaque jour un peu, à une conjuration de tous ceux qui ont perdu dans les urnes, il y a un an. Cette affaire peut-elle empêcher le chef de l’État de poursuivre la transformation de la France ? Il est trop tôt pour le dire. Si ce devait être le cas, alors cette malheureuse affaire resterait dans l’histoire et pourrait constituer un tournant dans le quinquennat.
Valéry Giscard d’Estaing, en 1974, avait conquis le pouvoir dans des circonstances un peu analogues. Une sale affaire de diamants sans valeur a suffi, sept ans plus tard, à l’affaiblir au point de lui faire perdre le pouvoir. L’expérience politique, qu’Emmanuel Macron n’a pas, sert à éviter et à gérer des situations susceptibles d’embraser le pays. Les petits marquis sont souvent les maillons faibles, ce n’est pas nouveau.
La principale conclusion à tirer de cette affaire, c’est que notre pays a un problème institutionnel depuis 1962, depuis que le président de la République, élu au suffrage universel, est à la fois le chef du gouvernement et le chef de la majorité sans être responsable devant le Parlement. Le régime politique de la France est malade. Ce n’est pas le premier incident de cette nature. Le comportement d’Alexandre Benalla est regrettable, coupable, mais ce n’est pas le problème. L’hyperpuissance du chef de l’État en est un, à l’évidence, mais Emmanuel Macron n’en est pas responsable, pas plus que ses prédécesseurs, portés à de nombreuses reprises, eux aussi, à abuser de leurs pouvoirs.
En attendant, la parenthèse inattendue qu’a constituée la victoire de l’équipe de France de football a été de courte durée ! C’est dommage, car les Français préfèrent Kylian Mbappé, à Alexandre Benalla !
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