Cette formule fut souvent donnée comme sujet au concours d’entrée à Sciences Po. Elle est gravée dans la mémoire de très nombreux étudiants devenus journalistes, cadres supérieurs, dirigeants d’entreprises, hauts fonctionnaires, en un mot, de nombreux Français. « Paix impossible, guerre improbable » est le titre du premier chapitre d’un ouvrage de Raymond Aron, intitulé : « Le grand schisme », publié en 1948. Le professeur Aron, le politologue, avait utilisé cette formule pour nommer le début de la Guerre froide. La formule est employée à chaque fois que les rapports entre la Russie et les pays occidentaux traversent une période de tension. C’est dire qu’elle était à la fois d’actualité et prémonitoire.
Depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale et l’apparition des armes nucléaires, les périodes de tension se sont le plus souvent déroulées de la même manière : Accroissement des potentiels militaires de part et d’autre, gesticulations militaires, montée aux extrêmes jusqu’à un équilibre de la terreur, puis, conversations, propositions de détente et baisse de la tension… Jusqu’à la prochaine fois.
Ce qui est nouveau dans le monde d’aujourd’hui, c’est la concomitance d’une poussée de nationalisme, accompagnée d’autoritarisme politique et d’un risque sérieux de guerre commerciale sur l’ensemble de la planète.
De nombreux signes font penser que, depuis l’annexion de la Crimée et l’ingérence de la Russie dans le Donbass ukrainien en 2014, nous sommes à nouveau engagés dans une escalade inquiétante avec des dirigeants imprévisibles, des postures nationalistes inquiétantes et des provocations, d’un genre nouveau, qui se multiplient.
L’ancien ministre de la Défense, Paul Quilès, sur son blog (http://paul.quiles.over-blog.com/) propose de relire ou d’écouter quelques extraits du discours prémonitoire de Jean Jaurès à Vaise le 25 juillet 1914. Une semaine avant son assassinat, qui précéda de deux jours la déclaration de guerre, le député du Tarn alertait l’opinion sur le drame qui se préparait. Il dénonçait le rôle des dirigeants des États, des responsables politiques, des diplomates. Il mettait en garde contre les erreurs pouvant conduire à une guerre qu’il décrivait comme une immense boucherie. Il répétait que ce ne sont pas les peuples qui veulent la guerre, mais ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas chercher et construire la paix ».
Paul Quilès ajoute : « Certes, nous ne sommes pas en 1914 et les désordres du monde actuel ne sont pas de même nature que les conflits et les tensions de l’époque. Et pourtant, la lecture de ce texte peut faire réfléchir aux conditions de préservation de la paix, d’autant plus qu’aujourd’hui, toute conflagration majeure risque d’entraîner l’utilisation de l’arme nucléaire. Seuls les inconscients et les irresponsables ne réalisent pas que, contrairement à ce que l’on entend trop souvent, un conflit nucléaire ne pourrait pas être « limité » et conduirait à une catastrophe planétaire ! »
Les temps ont changé, mais l’histoire nous apprend qu’un incident, apparemment anodin, peut rapidement dégénérer. L’affaire de la « dépêche d’Ems » en est l’illustration la plus connue et la plus caractéristique.
En 1870, la France, craignait d’être encerclée entre les zones d’influence de la Prusse et de l’Espagne. Elle manifesta donc son opposition la plus ferme au projet qu’avait le prince Léopold de Hohenzollern de se porter candidat au trône d’Espagne, vacant depuis la révolution de 1868.
Le 12 juillet 1870, sous la pression française, le prince retira sa candidature mais cette décision devait être officialisée. Le roi de Prusse Guillaume 1er, qui séjournait dans la ville d’Ems, une ville d’eau proche de Coblence, fit savoir à l’ambassadeur qu’il n’y avait pas lieu de revenir sur ce qui venait d’être décidé. Il informa son chancelier Bismarck, dans ce qu’il est convenu d’appeler la « dépêche d’Ems », de sa décision à la suite de la conversation avec Bernadotte. Le chancelier comprend le parti qu’il peut en tirer, il modifie le texte et, après une conversation avec ses généraux, prend l’initiative d’une provocation en l’adressant aux journaux français et allemands le 13 juillet. La dépêche habilement caviardée par Bismarck a soulevé les opinions publiques en Allemagne et en France. Il n’en fallut pas plus pour déclencher un funeste enchaînement qui a changé l’Europe, jusque-là prospère et qui vivait en paix. Comment était-ce possible ?
Qu’avait donc réécrit Bismarck, alors que télégramme d’Ems racontait en termes neutres l’entrevue du matin entre le roi et l’ambassadeur ? Ceci : « Ems, 13 juillet 1870. Après que les nouvelles de la renonciation du prince héritier de Hohenzollern eussent été communiquées au gouvernement impérial français par le gouvernement royal espagnol, l’ambassadeur de France a exigé encore de Sa Majesté, à Ems, l’autorisation de télégraphier à Paris que Sa Majesté le roi s’engageait pour tout l’avenir à ne plus jamais donner son autorisation, si les Hohenzollern devaient à nouveau poser leur candidature. Là-dessus, Sa Majesté le roi a refusé de recevoir encore une fois l’ambassadeur et lui a fait dire par l’aide de camp de service que Sa Majesté n’avait plus rien à communiquer à l’ambassadeur »…
Les termes étaient humiliants pour la France comme pour l’opinion publique allemande. Le soir même, la dépêche fut distribuée dans les rues de Berlin. « Comment ose-t-on traiter ainsi notre roi ! » À Paris, le Conseil des ministres se réunit d’urgence. Le soir même, le ministre de la Guerre rappelle les réservistes. Le lendemain, Guillaume 1er signe un décret de mobilisation. Le 19 juillet enfin, la France déclare officiellement la guerre à la Prusse.
C’est ainsi que le 13 juillet 1870, la France tomba dans le piège tendu par Bismarck.
Autre exemple d’escalade après une pause, près de cent après. En 1956, trois ans après la mort de Staline, Nikita Khrouchtchev, conscient que la course aux armements est dangereuse, proposa ce qu’il appelait « une coexistence pacifique ». Inaugurant l’exposition américaine de Moscou avec Richard Nixon, vice-président américain, Nikita Khrouchtchev déclara, avec le culot et l’humour dont il était capable : « Dans sept ans, nous aurons le même niveau de vie que les États-Unis. Nous vous rattraperons et nous vous ferons un petit signe quand nous vous dépasserons » !
La « coexistence pacifique » fut de courte durée. Le 1er mai 1960, un avion de reconnaissance américain U2 fut abattu, au-dessus de l’URSS, et son pilote, Gary Power, fait prisonnier. En 1961, les Soviétiques construisent le Mur de Berlin ; en 1962, ce fut la crise de Cuba qui aurait pu conduire à l’apocalypse. Steven Spielberg, en 2015, a remarquablement raconté dans « Le Pont des espions » (Bridge of Spies) le rôle que joua James B. Donovan, un avocat Américain, avocat de Rudolf Abel, un espion soviétique qui œuvrait depuis plusieurs années aux États-Unis avant d’être arrêté. Les Soviétiques acceptèrent, au terme de négociations aussi dangereuses que rocambolesques, qu’Abel soit échangé contre Francis Gary Powers. La négociation se déroula à Berlin-Est, dans le plus grand secret, à l’intérieur de la zone contrôlée par les Soviétiques, sans protection diplomatique et pendant la construction du mur de triste mémoire.
La montée aux extrêmes verbale avec la Corée du Nord, les ambitions sans limites de la Chine, le caractère imprévisible du Président des États-Unis, la guerre sans fin au Proche-Orient et, comme si tout cela n’était pas suffisant, le discours inattendu de Vladimir Poutine le 1er mars 2018 devant les parlementaires russes, inquiètent ceux qui militent pour la Paix.
La comparaison avec les années trente est dans toutes les têtes.
À suivre…
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