L’éruption caractérise généralement les volcans avec ce qu’ils ont de terrifiant dans la mémoire de l’humanité et de spectaculaire, au présent, quand ils se réveillent. Je lisais, il y a quelques jours, qu’une « éruption volcanique massive en Alaska aurait contribué au destin de l’Empire romain. » Une étude récente publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States, révèle « le rôle majeur que le changement climatique a joué dans un des bouleversements politiques les plus célèbres de l’histoire de la civilisation occidentale. S’appuyant sur des récits historiques et des données climatiques, une équipe internationale de chercheurs a découvert que l’éruption du volcan Okmok en Alaska, survenue en 43 avant Jésus-Christ, avait entraîné d’importantes perturbations climatiques à l’origine des troubles politiques et sociaux ayant finalement changé le cours de l’Histoire ancienne. Cette éruption à haute latitude aurait entraîné des changements significatifs du régime hydroclimatique, incluant des températures saisonnières plus basses dans certaines régions méditerranéennes au cours des deux années ayant suivi l’éruption. Cette éruption volcanique aurait, notamment, affecté le bassin-versant du Nil. »
Je n’ai pas entendu dire qu’un volcan en éruption serait actuellement capable de causer des bouleversements sur notre planète. Des astrologues avaient bien prédit que 2 020 serait une année de grande mutation, mais les conjonctions astrales n’annoncent-elles pas, chaque année, des mutations de grandes envergures ! Il faut pourtant se rendre à l’évidence : Notre planète est en éruption, au sens métaphorique du terme, bien entendu.
Les volcans, pour poursuivre dans la métaphore, surgissent de toutes parts. Le virus, le coronavirus, responsable de la Covid19 qui a déjà fait 500 000 morts dans le monde depuis le début de l’année, n’est pas le seul élément perturbateur qui déstabilise le monde. Ils surgissent de partout, dans un monde en plein désordre. En voici quelques exemples de nature très différente.
Chine et Inde – Les deux pays les plus peuplés au monde, possesseurs de l’arme nucléaire, viennent de s’affronter pour la première fois depuis quarante-cinq ans. Le monde s’interroge. Est-ce que ce conflit peut dégénérer ? Déjà, John F. Kennedy craignait que le duel entre Chine et Inde dans l’Himalaya – avec une frontière commune de près de 3 000 kilomètres – n’aboutisse à « une guerre totale entre les deux nations les plus peuplées au monde ». Ce ne fut pas le cas. La guerre de 1962 s’est conclue par des alliances : l’Inde avec les États-Unis, le Pakistan avec la Chine et….les Américains.
Libye – Neuf ans après la chute du régime de Kadhafi, la Libye est devenue le terrain de jeu d’Ankara et de Moscou. Jean-Yves Le Drian a dit clairement ce qu’il pense : « La crise s’aggrave puisque, je n’ai pas peur du mot, nous sommes devant une “syrianisation” de la Libye ». Le risque qu’un nouveau foyer de crise en Méditerranée orientale avec des répercussions dans la région est réel. Le pétrole, toujours le pétrole ! L’immigration aussi…
Le président français Emmanuel Macron a accusé hier à Meseberg, en Allemagne, la Turquie d’avoir dans le conflit libyen une « responsabilité historique et criminelle » en tant que pays qui « prétend être membre de l’Otan ». Au moment où l’UE a la volonté d’assurer elle-même sa sécurité, cette situation a valeur de test. L’Europe est-elle capable de démontrer sa capacité à contrer la politique de puissance de la Turquie et à défendre ses intérêts. Qui, comprend ce qui se passe en Libye ? Qui, s’intéresse vraiment à ce qui s’y passe, alors que la sécurité de l’Union se joue en Libye ; menace djihadiste, vagues de migrations illégales, capacité des Européens à assurer la souveraineté de la Grèce, de Chypre et de l’Italie en Méditerranée.
Israël – Benyamin Netanyahou s’apprête à mettre en œuvre son projet d’annexer la vallée du Jourdain et les colonies implantées, soit la moitié de la Cisjordanie. Le « deal du siècle » imaginé par Donald Trump et Benyamin Netanyahou, constitue une nouvelle violation des droits des Palestiniens qui ne résoudra aucun problème et ne fera qu’aggraver la situation pour les Palestiniens et pour le peuple israélien. Ce plan n’est pas conforme au droit international. Il enterre la solution à deux États, constitue un coup de force et ne fera qu’attiser les tensions et fabriquer de la violence dans une région. Dans le monde, mais aussi en Israël, des voix s’élèvent pour empêcher l’annexion et l’application du projet que soutient D. Trump, le fauteur de troubles. « L’esprit de Venise », écrivait Alain Frachon dans Le Monde, il y a quelques jours, « commanderait un geste fort. Seulement, les Vingt-Sept sont divisés. » Ils jouent leur crédibilité en matière de politique étrangère. Ils jouent gros ! Alain Frachon faisait allusion au Sommet de Venise qui, il y a quarante ans, avait fait entendre la voix de l’Europe au Proche-Orient. « Les 12 et 13 juin 1980, les neuf chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique européenne (CEE) avaient pris position dans le conflit israélo-palestinien, comme ils ne l’avaient jamais fait. Sans se soucier des réactions en Israël, aux États-Unis, en URSS ou ailleurs. L’Europe existait au Moyen-Orient, au moins sur le plan des principes. » L’UE, qui avait sanctionné la Russie pour l’annexion de la Crimée, a rendez-vous avec l’Histoire !
Hong Kong – La Chine avait promis, en 1997, que « rien ne changerait » dans l’ancienne colonie britannique pendant au moins un demi-siècle. Les Hongkongais étaient libres. Ils ne le sont plus. Pékin a décidé de précipiter la normalisation de sa « région administrative spéciale ». Cet état de fait vient s’ajouter aux provocations en mer de Chine du Sud et au durcissement des relations avec Taïwan. Les Chinois sont à l’offensive. Ils considèrent que le désordre mondial et la crise du Covid19 offrent de nouvelles opportunités pour avancer leurs pions et mettre la main sur des fleurons technologiques et industriels en Europe, et des d’actifs stratégiques en difficulté. Il y aura, en effet, des opportunités dans les domaines de l’espace, de la biotechnologie, de l’intelligence artificielle.
Allemagne – Le basculement de la stratégie de l’Allemagne est caractéristique de l’urgence qu’il y a à faire face à de très nombreuses incertitudes. Ce n’est pas la Chancelière ou de la classe politique allemande qui a changé, c’est le contexte et l’impérieuse nécessité de ne pas perdre des filières de production et des marchés essentiels pour l’industrie allemande. Le marché unique, qui constitue le principal ciment de l’Union européenne, doit être préservé quoiqu’il en coûte ! Au passage, si le Royaume-Uni était toujours membre de l’Union européenne, la Commission européenne n’aurait pas les mêmes marges de manœuvre.
Royaume Uni – L’économie britannique a connu en début d’année sa plus forte contraction depuis 1979, au moment où de graves décisions doivent être prises à la suite du Brexit.
Les institutions internationales – Le multilatéralisme, contesté, est en danger. L’OMS, en particulier. Le Conseil de sécurité est paralysé par le véto opposé continuellement par les Russes et les Chinois. Un monde désorganisé est fragile, alors que, dans le même temps, une hyperconnectivité de la planète offre d’immenses possibilités pour une « guerre hybride froide » dans laquelle se côtoient l’espionnage, la manipulation de l’information, la post-vérité, les mafias.
Covid19 – Nous ne saurons que dans plusieurs mois, ce que la Covid19 aura modifié sur le plan de la géopolitique. Ce qui est d’ores et déjà certain, c’est que cette pandémie a augmenté le nombre, déjà très élevé des incertitudes. Le dernier rapport de la Banque mondiale indique que la « contraction économique massive » résultant du Covid-19 aura des effets en profondeur et durables (d’autant plus durables en fonction de la pauvreté des pays considérés). Les pays producteurs de pétrole seront sans doute durablement affectés. L’Iran en particulier. Il est probable qu’aucune puissance ne sortira plus forte de la crise. Les BRICS (Russie, Brésil, Inde, Afrique du Sud) paraissent touchés. La hiérarchie des puissances pourrait être différente, dans quelques mois.
États Unis – Le 3 novembre 2020 se produira sans doute un tournant dans les affaires du monde. La crise économique, les relations avec la Chine et l’Europe et les manifestations antiracistes, rendent plus incertaine la réélection de Donald Trump. L’élection de Joe Biden ne modifierait la donne que sur la forme, au moins dans un premier temps. En revanche, il est probable que la réélection de Donald Trump signifierait la poursuite du démantèlement de l’ordre international, des menaces tous azimuts, du chantage permanent, des risques d’incidents graves et de guerres. Les États Unis ne retrouveront pas le poids qu’ils avaient dans les affaires du monde, il y a dix ou quinze ans ; l’Amérique ne sera plus la « nation indispensable » ; elle pourrait même devenir un facteur d’instabilité.
France – La crise a donné raison aux orientations que le président de la République défend avec constance et acharnement, la nécessité d’une plus grande coopération internationale et une plus grande « autonomie stratégique » de l’Europe, sur les questions de défense, de santé et autres sujets sensibles. L’élection présidentielle américaine du 3 novembre et la présidence française de l’UE du premier semestre 2022, après la présidence allemande de l’UE au second semestre 2020 et les élections générales allemandes l’année prochaine, seront des rendez-vous de la plus grande importance.
Europe – L’avenir de l’Europe va se jouer sur le succès ou non du plan de relance, sur les initiatives en matière climatique, l’innovation et les technologies de pointe. L’Europe n’existera que si elle se révèle capable d’exprimer sa puissance, une certaine forme de souveraineté et un peu plus de courage et d’audace sur le plan international dans ce monde en éruption.
Laisser un commentaire