« Il y a des actes qui donnent un sens à une vie et qui forgent un destin. Maurice Faure restera dans l’histoire de la France et de l’Europe comme l’un des deux signataires français du traité de Rome. C’est lui qui négocia puis parapha le texte qui allait fonder le marché commun. Maurice Faure avait trente-cinq ans. C’est exceptionnellement jeune pour décider de l’avenir du continent européen. Mais il est vrai que pour Maurice Faure tout avait commencé plus tôt…Il fut l’un des plus jeunes agrégés de France. Il avait vingt et un ans. L’année suivante, il s’engageait dans la Résistance… Que faire, quand à 22 ans, on est déjà un héros ? »
C’est ainsi que le président de la République a présenté Maurice Faure, au début de l’éloge qu’il a prononcé, lundi dernier, dans l’air frais du petit matin, devant la préfecture de Cahors.
« L’homme politique le plus doué de sa génération » avait été pressenti, en 1958, pour former le dernier gouvernement de la IVe République. Se sentant encore un peu jeune, Maurice Faure avait renoncé. Denis Tilinac, le journaliste-écrivain corrézien, venu en voisin, soutenait, sur le parvis de la cathédrale, que Maurice Faure aurait pu être le Premier ministre du Général qui avait de l’estime pour lui. A plusieurs reprises, les gaullistes, particulièrement Georges Pompidou, tentèrent de convaincre Maurice Faure de les rejoindre. Mais l’idée qu’ils se faisaient de l’avenir de l’Europe les séparait.
En 1965, son nom avait été évoqué lors de la campagne pour l’élection présidentielle. Il laissa la place à son ami François Mitterrand. « La seule passion qui l’animait, c’était l’Europe. Il la défendait âprement…Il l’accompagnait à chaque étape…comme un père attentif » a rappelé François Hollande dans son éloge. « Maurice Faure se méfiait des embrasements, celui de mai 1968 l’avait laissé assez froid. Il se gardait des emballements. L’union de la gauche l’avait laissé de marbre. »
En 1986, a rappelé le chef de l’Etat, « Maurice Faure fut chargé de préparer la négociation d’un nouveau traité européen. De sa réflexion naîtra l’acte unique européen, les fondations de l’Europe que nous connaissons aujourd’hui. L’Europe devait porter des valeurs, une espérance, un projet politique. (…) Si l’Europe était son idéal, le Lot était sa vie. La seule qui comptait à ses yeux. Le Lot ne fut pas un tremplin pour son ambition. Non…le Lot, c’était une histoire d’amour. C’était sa République. (…) Maurice Faure paraissait d’une autre époque, son érudition, son éloquence, son accent et son âge en faisait un homme politique du verbe, d’avant la télévision. (…) Alors, dans une société de l’immédiat, du virtuel, il ne paraissait plus avoir sa place. Et pourtant Maurice Faure était étonnamment en avance sur son temps… Dans un livre, il avait écrit qu’il ne regrettait rien. Il avait servi son pays, avait consacré sa vie à ses idées, à son territoire, à ses amis, sa famille. Surtout, il avait la conscience rare pour un responsable politique d’avoir tout simplement fait l’histoire, celle de son pays, celle de l’Europe. »
« Le marché commun commandera, dans son déroulement progressif, les conditions de vie de tous les Français, de tous les consommateurs, de tous les producteurs, quels qu’ils soient, industriels, agricoles, des commerçants, des artisans… Pour la période définitive, le principe de la libre circulation implique la liberté de se déplacer, de séjourner dans un Etat membre, d’y exercer un emploi et de demeurer sur le territoire de cet Etat… »
Prononcé en 1957, ce discours de Maurice Faure était un acte de foi.
Au moment où les Européens doutent, où les chantres de la démondialisation ont un certain succès, où le président Obama milite, au contraire, pour une nouvelle phase de libération des échanges avec ses deux grandes négociations : l’une entre les Etats-Unis et l’Union européenne (le TTIP – Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) et l’autre, le TPP – Partenariat Trans-Pacifique, l’esprit prospectif de Maurice Faure prend toute sa dimension historique.
« L’Empereur du Lot », l’européen, ne pourra pas, cette année, tirer des enseignements des élections européennes qui s’approchent, donner son point de vue sur l’annexion très probable de la Crimée, aux conséquences qui peuvent être lourdes, notamment pour les pays baltes, par une Russie soucieuse de ses intérêts vitaux mais au comportement discutable, cueillir les prochains cèpes et goûter, comme chaque année, le résultat des vendanges.
Patrick Faure, l’ancien patron de Renault Sports, a résumé ce que fut cette matinée de printemps à Cahors : « Mon père n’aimait pas les honneurs, ni les grandes manifestations. Mais je pense qu’il aurait été très content aujourd’hui. Cet hommage boucle l’histoire. Mon père est mort dans la sérénité, lucide Il ne se plaignait jamais, entouré de l’affection des siens ».
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