Maintenant ou plus tard ? Malentendu ou ambigüité ?


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Si les mots ont un sens, maintenant signifie à présent. Les électeurs étaient donc, il y a un an, fondés à considérer que le changement promis allait être rapide, immédiat. Certes, personne n’imaginait que les « 60 engagements pour la France » du candidat Hollande pourraient être immédiatement réalisés. Certains l’ont été, d’autres le sont ou le seront ; en ce qui concerne le logement, le candidat, prudent, conscient de la difficulté, avait pris la précaution d’écrire : « J’agirai pour que soient construits au cours du quinquennat 2,5 millions de logements intermédiaires, sociaux et étudiants, soit 300 000 de plus que lors du quinquennat précédent, dont 150 000 logements très sociaux, grâce au doublement du plafond du livret A.
La construction en France est un problème qui, depuis la fin de la guerre, n’a jamais été résolu. J’ai consacré, à ce sujet, un certain nombre d’articles et un ouvrage (Le logement en France) qui peut être consulté en cliquant sur l’onglet « logement » en haut et à gauche de ce blog.
Le chef de l’Etat ne s’était donc pas engagé à construire des logements  » maintenant » , mais à faire en sorte, qu’à la fin de son quinquennat, la France ait commencé à combler son retard dans ce domaine avec la construction de 2,5 millions de logements. Fort bien, seulement le bilan, à la fin de la première année, accuse un retard de l’ordre de 200 000 logements qui devra être rattrapé au cours des quatre prochaines années. Est-ce possible ?

La ministre a expliqué, lors du débat sur le « Projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction » à l’Assemblée nationale, que « Pour faire face à l’urgence et combattre la crise, nous devons engager de la manière la plus rapide et la plus volontaire qui soit la levée des obstacles qui obèrent les chances de notre pays de répondre aux besoins qui sont les siens ». Tenter de justifier le recours à des ordonnances par l’urgence, un an après son arrivée au ministère, à de quoi surprendre. Pourquoi a-t-il fallu une année pour faire le constat de l’urgence et de la nécessité de recourir aux ordonnances ? Le constat figurait dans les remarquables études de la « Fondation Abbé Pierre pour le logement » et les propositions des Etats généraux du logement depuis longtemps? Ne serait ce pas plutôt le signe d’une impréparation à exercer le pouvoir ? Il est évident que le parti socialiste n’a pas préparé la conquête du pouvoir par François Hollande. Ce qui a nécessité une année aurait, en grande partie pu être fait avant.
Les travaux d’experts ne manquaient pas. La 16ème édition du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur le mal logement avait une couverture noire destinée à symboliser l’état de faiblesse dans lequel se trouvent tant de familles, victimes d’une insuffisance, voire d’une inertie politique de trente ans ». Ce rapport était un cri d’alarme sur le nombre croissant de Français en situation de mal logement ou de fragilité et de précarité. Le rapport estimait déjà, il y a deux ans, à au moins dix millions le nombre de personnes qui subissent les conséquences de la crise du logement et précisait que cette population a tendance à s’élargir à des jeunes, des femmes seules avec enfants, qui ne parviennent plus à accéder à un logement et à s’y maintenir. La Fondation constatait notamment le décrochage entre l’augmentation régulière du coût du logement et les revenus, décrochage qui creuse les inégalités et aboutit pour certains à une part des revenus consacrés au logement qui atteint 40%. La Fondation pouvait difficilement être plus claire et plus sévère quand, dans son rapport, elle employait les termes de « déni », « d’échec », pour qualifier la situation du logement dans notre pays. « Quinze ans d’interpellations, de propositions, quinze ans de réformes, de lois, de mesures », n’ont en rien amélioré une situation qui se dégrade. « Le logement est toujours plus cher dans les zones tendues, les protections de moins en moins efficaces », alors que chez nos voisins allemands, « les charges liées au logement sont stables, la qualité des logements est supérieure et la protection des locataires bien plus élevée ». La Fondation considérait que le moment était venu de « sonner l’heure d’une mobilisation générale pour le logement ».
Un an avant les élections présidentielle et législatives, un sondage réalisé en avril 2011 par TNS Sofres pour l’Union sociale pour l’habitat avait mis en évidence le sentiment d’inquiétude que suscite le poids des dépenses liées au logement. Pour une importante majorité de Français( 82%), trouver un logement est difficile. Si la difficulté à se loger arrive en troisième position dans l’ordre des problèmes auxquels sont confrontés nos concitoyens, après l’emploi et le pouvoir d’achat, ce problème est plus préoccupant que l’environnement, la sécurité et la santé. Parmi les sujets d’inquiétude et les vœux des Français interrogés, figurent à une très grande majorité (84%) le constat que les responsables politiques ne s’occupent pas suffisamment des problèmes de logement et le souhait que ce problème soit considéré comme une des priorités nationales par la prochaine majorité. Ce sondage confirmait, s’il en était besoin, ce que révélait le Baromètre d’image du logement social peu de temps avant. Près d’un Français sur deux craint d’avoir un jour besoin d’un logement social.
La Fondation Abbé Pierre n’était pas la seule à pousser un cri d’alarme. Sur la base de ces enquêtes, les 33 organisations membres des Etats Généraux du Logement s’étaient réunies le 8 juin 2011 au Théâtre du Rond-Point. Ces « Etats généraux » avaient identifié cinq mutations qui justifiaient que les « besoins en logement soient repensés » : l’évolution de la démographie et du modèle familial ; l’accroissement de toutes les formes d’inégalité (économiques, sociales, générationnelles) ; une décentralisation inaboutie et encore trop confuse ; la nécessité de repenser l’urbanisme pour tenir compte du développement durable ; le besoin croissant d’une démocratie plus participative.

Il était urgent de « rebâtir une politique ambitieuse » qui ait pour but de permettre à tous les Français de se loger dans des conditions décentes, ce qui suppose une offre suffisante adaptée à des besoins diversifiés ; promouvoir un « vivre ensemble » intégrant mixité et diversité sociale et urbaine ; organiser une dépense publique et une gouvernance adaptées et efficaces. Les organisateurs réclamaient un « Pacte de responsabilité » entre l’Etat, les collectivités territoriales, les opérateurs, les partenaires sociaux, les associations et les habitants. Il ne pourra pas, disaient-ils, y avoir une véritable politique de l’habitat, si la question foncière n’est pas « prise à bras le corps », si « la dépense de logement n’est pas mise en adéquation avec les revenus des ménages » et si « l’effort public en faveur du logement est inférieur à 2% du PIB de manière pérenne et stable ».
Le problème n’est pas nouveau. En 1961, peu de temps après le retour au pouvoir du général de Gaulle, alors que la nomination de Pierre Sudreau, à la tête du ministère de la Construction, avait suscité beaucoup d’espoir, et que beaucoup avait déjà été fait, des parlementaires, et parmi eux, Edmond Desouches et Albert Denvers, déploraient que l’Etat ne soit pas capable de donner un toit décent à tous les Français. « Peut-être, disait Albert Denvers, aurions-nous demain moins de malades dans les hôpitaux et les hospices » ; « l’état physique, le moral des habitants sont plus importants que tout le reste car ils le conditionnent. » Et Albert Denvers d’ajouter : « Il meurt, chaque année, en France, 200 000 personnes faute d’être logées ou de l’être décemment. » Le député d’Eure-et-Loir ajoutait même : « Nous ne pouvons admettre qu’après avoir fait tant d’efforts pour d’autres, après avoir pris en considération la misère de tant d’autres nations, nous soyons incapables de doter notre pays d’ensembles d’habitations harmonieusement constitués. »
Faut-il se résigner, admettre que ce problème n’a pas de solution ?
Comme tous ses prédécesseurs, la ministre explique aujourd’hui à la représentation nationale que « la pénurie de logements constitue une menace pour la cohésion nationale ». Sur le droit au logement, elle rassure : « Nous nous employons depuis les premières minutes de notre arrivée aux responsabilités à le défendre. Nous entendons la demande, l’impatience et parfois la colère qui monte à ce sujet dans notre pays. L’inaction ou l’attentisme n’est pas un luxe que nous avons la possibilité de nous offrir : bien au contraire, ce serait une faute ».

Comme ses prédécesseurs, elle se dit déterminée à « faciliter et encourager la construction. Comme le Président de la République l’avait annoncé le 21 mars dernier à Alfortville, le projet de loi présenté par la ministre a pour but de « lever aussi vite que possible les principaux freins identifiés à la construction de logements ». « Ces freins, a-t-elle poursuivi, sont de tous ordres : souvent financiers, parfois techniques, la plupart d’entre eux trouvent leur source commune dans l’empilement des procédures, la complexité des dispositifs et l’absence de lisibilité d’ensemble du droit de l’urbanisme, qui mettent en jeu la sécurité juridique des projets. »
Les mesures qui figurent dans les ordonnances et une ambitieuse loi-cadre « Logement et urbanisme », à la rentrée seulement, constitueront elles une politique, digne de ce nom, ou seulement une « boite à outils » ? Réponse à la fin de l’année ; il faudra alors construire près de deux millions de logements en moins de quatre ans ! Du jamais vu en France depuis 1966, au temps où Edgar Pisani occupait le bureau du ministre de l’Equipement. En attendant, le nombre de mises en chantier de logements (335.800) a plongé de 18% par rapport aux douze mois précédents et cette situation aggrave l’emploi dans le bâtiment au plus mauvais moment.


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