La politique du logement, c’est essentiellement construire, construire, construire. Nul n’est besoin d’être un expert pour le savoir. Depuis 1945, tous les débats sur le logement à l’Assemblée nationale, tous les rapports, tous les plans, toutes les déclarations de politique générale, constatent le déficit de logements dans notre pays et en concluent que pour remédier à l’inflation anormale et quasi constante des prix, qui n’a d’autre explication que ce déficit permanent, il faut construire. Ce constat est devenu un truisme de même qu’il est rappelé en toute occasion que : « Quand le bâtiment va, tout va ! »
Pourtant, faute de marges de manœuvre budgétaires, le gouvernement, dans la première partie du quinquennat de François Hollande, n’a pas construit. Les chiffres sont très inquiétants. Depuis 2011, la production neuve de logements ne cesse de diminuer. En 2013, les mises en chantier ont atteint leur plus bas niveau depuis plus de dix ans avec 280.000 logements contre 450.000 en 2007. Le nombre des permis de construire, en baisse de plus de 20 % se traduira, en 2015, par une inévitable nouvelle baisse des logements construits. Or, il n’a été construit que 300 000 logements en 2013 au lieu des 500 000 qui figurent dans les engagements n°22 et 23 du candidat François Hollande ; engagements qui ont rapidement été revus et transformés en un objectif de fin de quinquennat. Ce qui aurait pour conséquence d’augmenter le déficit d’un million de logements en 2017. Triste bilan.
Le deuxième Premier ministre du quinquennat de François Hollande, qui veut « sortir la France de ses blocages », est parfaitement conscient de la gravité de la situation. Il n’ignore pas que le bâtiment est montré du doigt par l’Insee et tenu pour responsable de la moitié du différentiel de croissance français avec l’Allemagne. Le Premier ministre a sur son bureau une note du Conseil d’analyse économique (CAE) dans laquelle il est mentionné qu’il est urgent de réformer le secteur du logement en France de façon à redonner du pouvoir d’achat aux ménages. Rattaché au Premier ministre, le Conseil d’analyse économique, rédige régulièrement des avis qui, malheureusement, ne sont pas suffisamment suivis d’effet. Cette structure de réflexion estime que le logement devrait être l’une des priorités dans le cadre du « triple défi » que le gouvernement a à relever : « l’amélioration de la situation de l’emploi face à un chômage durablement élevé, le redressement des finances publiques avec un niveau de dette et de prélèvements obligatoires importants, et une compétitivité à restaurer pour enrayer les pertes récurrentes de parts de marché à l’exportation« . Dans sa note numéro 15 intitulée : « Quelles réformes pour la France » le CAE souligne le poids proéminent du logement dans le budget des Français. Ce n’est pas une découverte. Le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre attire l’attention des Pouvoirs publics sur cette situation depuis 1995.
Les dépenses de logement absorbent 18,5 % du revenu des Français. Une baisse de cette quote-part aurait automatiquement un « effet substantiel sur le pouvoir d’achat des ménages, lesquels peuvent réallouer ce pouvoir d’achat à d’autres secteurs de l’économie« , constatent les auteurs de la note du CAE qui déplorent que « l’envolée des prix de l’immobilier, observée en France depuis 2000, constitue un puissant facteur d’accroissement des inégalités et conduit à des inefficacités économiques« . Comment peut-on découvrir si tard que « l’éloignement entre domicile et travail« , « la plus faible mobilité des salariés« , « l’investissement dans des biens éventuellement surévalués ou encore la perte de compétitivité de l’économie française lorsque le coût du logement se répercute sur les salaires ou dans l’immobilier d’entreprise« .
Ce constat dramatique pour l’économie française avait déjà été fait par Nicolas Sarkozy, le 11 décembre 2007, dans le discours qu’il avait prononcé à Vandoeuvre-lès-Nancy. Ce jour-là, l’ancien Chef de l’Etat avait rappelé que l’effort financier public en faveur du logement est « de l’ordre de 45 milliards d’euros par an si l’on additionne les aides aux consommateurs et les aides aux producteurs« , alors que, dans le même temps, le pouvoir d’achat des ménages se dégrade à cause du poids du logement dans leurs budget.
Pour remédier enfin –il n’est jamais trop tard – à cette situation le Conseil d’analyse économique avait déjà proposé, dans une note qui porte la date de février 2013 de stimuler l’offre de logement. Il préconisait déjà « d’améliorer la gestion du foncier en transférant sa responsabilité de façon systématique au niveau des intercommunalités et en installant un régime dérogatoire en petite couronne de la région parisienne« . Il attirait également l’attention du gouvernement sur les coûts de construction, qu’il fallait alléger et sur la nécessité de procéder à « un toilettage des normes de toutes sortes en matière d’urbanisme « .
Dans ses préconisations, le CAE recommande la suppression par étapes les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ainsi qu’une réforme de la taxe foncière sur la propriété bâtie (TFPB). Dans le détail, la proposition consisterait à ce que l’acquéreur d’un bien ne paie plus les DMTO lors de l’acquisition d’un bien, mais s’acquitte d’une taxe de 0,5% de la valeur nette marchande de son bien chaque année. Cette réforme se traduirait, selon les économistes du CAE, à 30 milliards d’euros de nouvelles recettes et ferait mieux que compenser la perte de 27 milliards d’euros liée à la suppression des DMTO et à la fin de l’ancienne TFPB. Enfin, pour débloquer du foncier, le CAE préconise une taxation des plus-values latentes des terrains non bâtis, qui encouragerait « la vente des terrains lorsqu’ils deviennent constructibles« .
Après avoir espéré pendant deux ans qu’un choc foncier et une politique de l’offre en matière de logement, serait de nature à corriger le déficit, le gouvernement se rend compte que la politique suivie est insuffisante. Il semble découvrir que le déficit de croissance et le niveau du chômage s’explique, dans des proportions non négligeables, par le niveau insuffisant de l’activité du bâtiment et de la production de logements en particulier. Il prépare donc de nouvelles mesures pour la rentrée 2014.
Dans ce but, le Premier ministre a reçu, le vendredi 11 juillet, les principales organisations professionnelles pour écouter leurs demandes et leur annoncer des mesures destinées à relancer la construction de logements. Les professionnels ne doutent pas de la volonté du Premier ministre qu’ils ont trouvé « extrêmement concerné par la crise du logement » et « très attentif à l’évolution de la situation et aux graves conséquences qu’elle entraine », mais ils doutent que ces mesures soient suffisantes pour relancer énergiquement la construction de logements dans notre pays.
Parmi les mesures à l’étude, il y aurait, pour le PTZ, un différé de remboursement plus long pour permettre de resolvabiliser les jeunes ménages. 5 ou 7 ans ne sont pas suffisants, il faudrait au moins 10-15 ans. La Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI) demande, quant à elle, que les banques accordent, à nouveau, des « prêts sur 25 ans.
Cependant, le Premier ministre n’ignore pas que si l’élargissement du prêt à taux zéro resolvabilise la demande, il a immédiatement pour effet de faire remonter les prix. Il sait aussi que de nouvelles mesures pour stimuler l’investissement locatif et encourager les investisseurs personnes privées à acquérir des logements à usage locatif pèseront durablement sur le budget de l’Etat. Quant à l’allégement des normes, dont on parle toujours après les avoir augmentées, il est indispensable mais n’aura que peu d’incidence sur l’économie de la construction. A peine votée, la loi Alur (pour un accès au logement et un urbanisme rénové) est montrée du doigt comme le bouc émissaire du retard pris sur les engagements du Chef de l’Etat. Certes les mesures qu’elle contient ont contribué à décourager les Français d’investir dans la pierre, mais une remise en cause de cette loi et un revirement en faveur des investisseurs personnes physiques, ne serait pas suffisant pour restaurer la confiance.
Seule une baisse – même limitée dans le temps – du taux de TVA ou la libération massive de terrains à construire aurait une chance de constituer le début d’un véritable changement de politique, mais ce n’est pas d’actualité. Le Premier ministre préfère un plan de relance de la demande et de l’incitation à l’accession à la propriété. Du classique qui ne résout, au mieux, qu’une situation conjoncturelle.
Faire du logement une priorité, parce que le bâtiment est un réel vecteur de croissance à court terme, suppose des mesures beaucoup plus fortes. La relance de ce secteur pourrait représenter jusqu’à 0,4 point de PIB très rapidement.
Le gouvernement étudie, enfin, la création d’un fonds public pour financer la construction de logements intermédiaires. Ce fonds, serait détenu conjointement par l’Etat et la Caisse des dépôts, et abondé par des recettes provenant de récentes opérations de cession de titres publics intervenues ces derniers mois. Ce fonds pourrait ainsi être doté de 2 et 3 milliards d’euros. Le « logement intermédiaire », à mi-chemin entre le logement social et le marché libre, correspond à un besoin très important qui a été négligé depuis trop longtemps. Ce projet, s’il voit le jour, et s’il est effectivement distinct de l’activité de la Caisse des dépôts dans le domaine du logement social, constituerait, enfin, un tournant dans la politique du logement de notre pays.
« Ne lâchons rien », la devise de la Fondation Abbé Pierre, lors de la présentation de son 17e rapport annuel le 1er février 2012, est plus que jamais d’actualité.
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