Le totalitarisme de la communication est un régime politique. C’est une forme douce de totalitarisme, une sorte de drogue que l’on prend chaque jour en allumant le téléviseur, la radio et en prenant connaissance d’une certaine presse. Ces médias, comme des moutons de Panurge ou manipulés, fabriquent de la réalité. Ce n’est pas la réalité, c’est la réalité qu’ils ont décidé de nous « vendre ». « A chacun sa vérité », écrivait Pirandello, mais, érigé en système, cette forme de totalitarisme prend des proportions inquiétantes et dangereuses. Je sais bien que le pouvoir s’étend jusqu’à ce qu’il trouve des limites, mais on ne voit pas aujourd’hui où seront ces limites. Les Etats-Unis vivent sous ce régime depuis de nombreuses années avec pourtant des contre-pouvoirs beaucoup plus puissants que dans notre pays.
En France, les exemples d’intoxication volontaire, ou par effet de système, deviennent de plus en plus fréquents et nombreux. De l’affaire d’Outreau au taux de croissance de l’économie française, de la mise en condition de la population convaincue que la France serait championne du monde de rugby à l’affirmation par le SNES que nos enfants sont beaucoup mieux éduqués qu’il y a cinquante ans, la technique est la même : marteler des évidences, des vérités, fabriquer de la réalité qui n’en est pas. C’est ce que faisait Roger Nicolas, le fantaisiste, il y a cinquante ans, mais personne ne croyait un mot de ce qu’il disait. Dans la France rurale de l’époque, les Français se méfiaient des colporteurs ; ils savaient très bien distinguer le vrai du faux. Ce n’est plus le cas, parce que les techniques de communication sont beaucoup plus efficaces et subtiles et parce que les Français aiment la drogue qui leur est administrée chaque jour. Mal éduqués, ils ont perdu tout esprit critique, croient et colportent ce que le microcosme affirme. Il est loin le temps où les personnes âgées disaient : « Je ne crois à rien de ce qu’on me dit et à la moitié seulement de ce que je vois ». Quand le microcosme médiatique, aux tendances incestueuses, consacre beaucoup plus de temps d’antenne au décès de Jacques Martin, un des leurs, qu’à la disparition de Pierre Messmer ou de Raymond Barre, il est démontré par a+b que ce petit monde dirige la France et décide chaque jour de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. Il ne faut pas s’étonner ensuite que les deux principaux candidats à la Présidence de la République aient consacré à la communication plus de temps (et d’argent) qu’aux idées.
Soyons juste, certains journalistes et intellectuels ont conscience du danger que constitue cette forme de totalitarisme et luttent quotidiennement pour revenir à la réalité et dénoncer les illusions. C’est notamment le cas de Nicolas Demorand qui après sa brillante participation à France culture, anime maintenant le 7-10 de France inter. Il s’efforce, avec succès, de fabriquer de la réalité et non « sa » réalité. Il fait appel aux experts plus qu’aux commentateurs. Il lutte avec détermination, à la mesure de ses moyens, contre « le zapping et le marketing politique » érigés en régime politique. Attention, les faits sont têtus, le réveil pourrait être douloureux dans les prochains mois.
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