Dans une tribune au journal Le » Monde « , le ministre de l’économie vient d’expliquer comment, à son avis, il faut s’y prendre pour réindustrialiser la France. Dans ce « papier », il oppose la stratégie qu’il propose, sa vision de l’avenir dans ce domaine, au » capitalisme naïf » que notre pays aurait pratiqué pendant trop longtemps. Le capitalisme d’Etat, de nature colbertiste, a permis, pendant les » trente glorieuses » de faire des choix industriels de long terme qui ont été pour la plupart, de grandes réussites. Emmanuel Macron fait le constat que « ce temps est révolu ». Les privatisations et le désengagement progressif de l’Etat qui a suivi ont profondément bouleversé le paysage économique de la France. Les investisseurs institutionnels, que l’Etat utilisait pour mener à bien sa politique économique, se sont désengagés du capital des entreprises françaises et n’ont pas été remplacés. Le ministre de l’économie fait très justement le constat que « la France est entrée dans une ère de capitalisme naïf qui a conduit à privilégier les intérêts d’actionnaires aux stratégies de court terme : c’est pour eux le cours de Bourse quotidien qui compte, et c’est donc la spéculation qui motive. C’est une folie économique, mais c’est surtout un suicide industriel : une stratégie de développement industriel se construit sur un horizon de cinq à dix ans, pas sur une échéance trimestrielle ».
Emmanuel Macron en déduit que pour accompagner nos entreprises dans leurs investissements et dans leur transformation, il faut une autre stratégie de long terme. Il préconise d’inciter plus fortement les Français à investir dans nos entreprises, de rendre la fiscalité des actionnaires individuels plus encourageante, de remobiliser les investisseurs institutionnels pour le financement de notre économie et, sur le long terme, de favoriser les actionnaires familiaux, les actionnaires salariés, les actionnaires publics et les fonds investis à long terme. Pour cela, il préconise un « dispositif de droits de vote double qui permettra à nos entreprises de se concentrer sur leur avenir et de faire de vrais choix industriels » avec des minorités de blocage dans toutes les entreprises dans lesquelles l’Etat est présent au capital.
Ce sont de bonnes intentions, mais les bonnes intentions ne suffisent pas pour effectuer un tel revirement de la politique industrielle de la France. La détermination du ministre est à saluer ; ses efforts pour que la « politique économique repose sur plus d’activité, de compétitivité et une plus grande attractivité », sont louables. Il faut effectivement « faire venir les investisseurs, attirer des entreprises et des sièges sociaux ». Son souci de « construire un environnement économique et financier propice, de retrouver le sens du long terme, de financer l’économie réelle, de réindustrialiser notre pays » est évidemment à encourager et à accompagner.
Il faut dire que, dans le passé, le capitalisme d’Etat a connu quelques aventures malheureuses. Deux cas me paraissent caractéristiques ; l’une sous la droite, l’autre sous un gouvernement de gauche ; l’une prête à sourire, l’autre fut un des plus grands scandales financiers de l’Histoire de France. Le « Canard enchainé » dénomma la première : « Les avions renifleurs ». La seconde est connue sous le nom de « L’affaire du Crédit lyonnais ».
Les Français ont encore en mémoire l’invention qui allait sauver la nation sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing. En 1976, ne disait-on pas : « En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées » ! Deux hommes, Alain de Villegas, et Aldo Bonassoli affirmaient avoir conçu un appareil capable de repérer des nappes de pétrole et de gaz. Par l’intermédiaire d’un ancien agent des services secrets, ils réussirent assez facilement à entrer en relation avec la direction d’ELF-ERAP, alors entreprise d’Etat. L’appareil de leur invention, baptisé « interféromètre », devait être installé à bord d’avions, prêt à explorer le sous-sol français. Convaincus que cette nouvelle technologie « de détection aérienne de ressources souterraines et notamment de gisements pétrolier, était une invention majeure, les dirigeants d’Elf-Erap, la société holding qui détenait les parts de l’Etat dans Elf-Aquitaine, signèrent un premier contrat, le 28 mai 1976, avec une société de droit panaméenne, Fisalma.
Soutenue au plus haut niveau par l’Etat et par de nombreux scientifiques et hauts fonctionnaires, cette extravagante supercherie, classée « secret défense », fit son chemin. L’Etat a perdu près d’un milliard de francs (150 millions d’euros) dans cette aventure digne des Pieds Nickelés. En 1979 seulement, le physicien Jules Horowitz démontra l’inefficacité de l’appareil. Elf-Aquitaine mit fin aux contrats, mais ne récupéra que la moitié du milliard de francs versé aux inventeurs. L’affaire fit grand bruit. La Cour des comptes, saisie, « afin de contrôler l’utilisation qui avait été faite des dépenses de la société », remit son rapport au premier ministre, Raymond Barre, le 21 janvier 1981, quelques semaines avant l’élection de François Mitterrand. En octobre 1982, le premier président de la Cour des comptes détruisit les quatre exemplaires du rapport en sa possession « par lacération ». L’affaire, devenue affaire d’Etat, fut, comme souvent, révélée en 1983 par Le Canard Enchaîné, sous le titre : « L’affaire des avions renifleurs ».
Avec un montant de pertes, qui s’est élevé à plus de 130 milliards de francs, l’affaire du Crédit lyonnais aura, car elle n’est pas terminée, pesé sur les comptes publics pendant une trentaine d’années. Elle est, en effet, née en novembre 1988 avec la nomination de Jean-Yves Haberer par Pierre Bérégovoy et ne prendra fin que quand sera réglé définitivement la contestation de l’arbitrage rendu dans l’affaire Tapie-Adidas-Crédit lyonnais.
Inutile de rappeler, dans le détail, ce que furent les nombreuses affaires immobilières et acquisitions malheureuses du Crédit lyonnais, présidé par Jean-Yves Haberer, de 1990 (achat et faillite de la MGM et d’Executive Life) à la vente d’Adidas (pour le compte de Bernard Tapie) par la SdBO, filiale du Crédit Lyonnais en février 1993. Pour mémoire, à la fin de l’année 1992, Bernard Tapie, nommé ministre de la Ville, pour éviter tout conflit d’intérêt, avait confie, au Crédit lyonnais, un mandat de vendre l’entreprise Adidas. Le Crédit lyonnais au moyen d’un montage extrêmement compliqué, avait revendu Adidas à une société offshore qu’elle contrôlait pour finalement revendre Adidas à Robert Louis-Dreyfus. Dans le même temps, le Crédit lyonnais a saisi les actions de la société Bernard Tapie Finance que détenait Bernard Tapie et l’a mis en liquidation. Bernard Tapie estima que le Crédit lyonnais l’avait lésé avec une entourloupe qui ne respectait pas les obligations du mandataire à exécuter le mandat de bonne foi dans l’intérêt de son client. Particulièrement procédurier, il engagea alors une procédure judiciaire qui aurait du se terminer définitivement en 2008 par la décision d’un tribunal arbitral qui lui avait attribué 285 millions d’euros de dommages et intérêts (dont 45 millions d’euros au titre du préjudice moral, chiffre qui choqua profondément les Français). Avec les intérêts, c’est donc une somme de 405 millions d’euros non imposable qui a été versée par l’État, responsable des dettes du Crédit Lyonnais. La sentence arbitrale, très controversée a fait l’objet de plusieurs recours en annulation devant les juridictions administratives pour contester l’autorisation donnée par Christine Lagarde, alors ministre des finances, de recourir à l’arbitrage plutôt que la justice ordinaire. L’arbitrage de 2008 a été annulé par la cour d’appel de Paris, le 17 février 2015. A ce jour, nous en sommes là !
Au moment où le ministre de l’ économie affiche ses ambitions, le hasard fait que deux événements entrent en collision pour illustrer l’état d’esprit qui doit animer un chef d’entreprise et l’attitude que doit avoir l’Etat à l’égard des entreprises en général et des entreprises appartenant à l’Etat en particulier.
Mise en cause pour une facture de taxis aussi exorbitante qu’incompréhensible, la présidente de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) a été « invitée » à démissionner par sa ministre de tutelle. Venant après les travaux effectués par son prédécesseur dans cette fonction, le nouveau président de Radio France, les Français sont en droit de se demander si un certain nombre de hauts fonctionnaires, nommés à des postes qui imposent d’être exemplaires, ne sont pas atteints très vite, avant même d’avoir fait leurs preuves, d’un même mal qui ressemble à une sorte d’ivresse des sommets, contre lequel l’ENA ne les aurait pas vaccinés !
Dans le même temps, l’austère François Michelin, vient de s’éteindre, à l’âge de 88 ans. Discret, jouant volontiers le rôle de l’illustre inconnu de l’industrie française, le patron du groupe Michelin jusqu’en 1999, avait reversé à la Manufacture le produit de la vente de son hôtel particulier quand un deuxième plan social avait été nécessaire. Jugé paternaliste, conservateur, hostile aux 35h, à l’Etat, par ceux qui détestent les patrons, il était aussi considéré par ses salariés comme un homme généreux, humaniste, attaché à l’effort et au sens de la responsabilité que doit avoir un chef d’entreprise.
Photographié, jadis, au volant de sa 2 CV, l’homme était timide, discret, secret, avare de confidences. Il n’aimait pas qu’on parle de lui et n’avait, dans la vie, pas d’autre but que son entreprise et sa famille. Sa longue silhouette, légèrement voûtée, qui rappelait celle de Jacques Tati, son éternel imper défraîchi, faisait de lui un homme transparent, apparemment insensible aux médias, aux modes, à l’actualité people. Volontiers soupçonneux, cet ascète savait ce qu’était l’intelligence économique. Obsédé par le secret de ses innovations, l’inventeur du pneu radial interdisait tout accès à ses usines. Il était redouté et redoutable. Ses concurrents devaient courir après lui pour s’adapter.
Deux conceptions bien différentes de ce qu’est le capitalisme, de ce que doit être un chef d’entreprise, de ce que doit être le rôle de l’Etat, à long terme, dans la durée, pour que l’économie française se porte mieux.
En application de sa nouvelle doctrine, l’Etat est parvenu, le 30 avril, à l’issue d’une épreuve de force avec le président de Renault et contre l’avis de son conseil d’administration, à imposer le principe des droits de vote doubles lors de l’assemblée générale des actionnaires de Renault. Les juristes spécialisés ne sont pas convaincus par la méthode. Affaire à suivre…
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