Les élites médiatiques, politiques, mais aussi culturelles, seraient-elles en décalage, voire en rupture, avec l’opinion publique, pour que la plupart des candidats à l’élection présidentielle éprouve le besoin de « rendre la parole au peuple » ?
Le mode de scrutin, sous la Vème République, explique en partie cet état de fait. Ne dit-on pas que cette élection est la rencontre d’un homme (ou une femme) et du peuple. Dans une période de crises graves, où les solutions proposées apparaissent peu crédibles, donner la parole au peuple répond à une demande, à un besoin.
Cependant, laisser entendre que les « corps intermédiaires » seraient un obstacle à la démocratie et auraient tendance à dicter leurs convictions, n’est pas sans danger. Le journaliste-écrivain Alexandre Adler, dans un article très intéressant, publié dans le Figaro du 25 février, rappelait fort justement que « le peuple n’a pas toujours raison ». Le monde est devenu si complexe que personne n’en détient toutes les clés. Mal informé, manipulé, le peuple peut ouvrir la voie à des aventures aux tristes conséquences. La victoire dans les urnes du parti nazi en 1931 vient immédiatement à l’esprit, mais la liste est longue des décisions populaires malheureuses. Ce qui compte avant tout, c’est le respect des droits de l’homme.
Alexandre Adler rappelle que « la Résistance fut aussi une affaire d’élite ». Des jeunes, courageux, souvent « premiers de la classe », indignés par le défaitisme et le conservatisme de Vichy, furent capables de se sacrifier, au nom de la liberté, pour montrer l’exemple. Que les élites, qui concentrent puissance, autorité et influence, puissent agacer, c’est compréhensible. Souvent fondée sur la naissance, l’argent ou le savoir, cette puissance est un bouc émissaire facile et classique. C’est oublier un peu vite que ces élites sont le miroir de la France, de son peuple. S’insurger périodiquement contre les élites, le pouvoir de la rue, et agiter régulièrement – comme une menace – la nécessité d’une rupture, est une exception française que l’histoire de notre pays explique en grande partie.
L’homme de la rue, aurait du bon sens ; un bon sens dont les élites seraient trop souvent dépourvues. Mais qu’est-ce donc que le bon sens ? En son nom, les affirmations les plus contestables sont bien souvent professées. Le problème, c’est que les mots employés n’ont pas un seul sens, mais plusieurs. Le bon sens est souvent perçu comme « aller de soi ». Son usage est facile, il cultive la simplicité et permet de clore la discussion. En 1940, certains disaient : « La France devait être vaincue parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand ». C’est le bon sens ! N’est-ce pas plutôt « l’intermédiaire entre l’ignorance et la connaissance » ? Une connaissance simple, de base, qu’une société détient de façon quasi génétique. Une évidence pour une majorité de la population. « Toutes les civilisations ne se valent pas… c’est du bon sens ». Les propos du ministre n’étaient qu’un leurre, destiné à détourner l’attention. Opération réussie, les élites se sont jetées dessus et se sont déchirées pendant près d’un mois.
Le sage, celui qui montre la lune, quand le sot regarde le doigt, aurait pu se contenter de citer Antoine de Saint Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. » Prendre conscience de l’autre, de ce qu’il est à la fois semblable et différent et de ce qu’il peut vous apporter, c’est aussi le bon sens.
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