Le logement en France

Partie II : Le temps des contradictions

Chapitre 1 Les pleins pouvoirs

Le 9 juin 1958, Pierre Sudreau, sait en prenant ses fonctions de ministre de la Construction, quai de Passy, que la France a, dans le domaine du logement, un retard de dix ans à combler. Haut fonctionnaire, il connaît bien le problème du logement auquel il a été confronté dans les fonctions de Commissaire à la Construction pour la Région Parisienne qu’il occupait précédemment .Dans ce  poste, il lui a été donné de voir bien des taudis et beaucoup de sans-logis. Le nouveau ministre a prouvé; quelques mois plus tôt, en créant des groupes de travail sur la vie dans les grands ensembles, le souci qu’il avait d’élaborer une doctrine, de rechercher, d’innover dans l’intérêt de l’Homme.

Sa nomination a rendu l’espoir à bien des mal-logés. Mais la bonne volonté ne suffit pas. Ses prédécesseurs en ont eu et n’ont guère réalisé. L’essentiel, puisqu’on ne peut pas tout faire, c’est de faire les bons choix et de les mener à bien avec énergie, en usant des pleins pouvoirs que la Vème République vient de lui accorder. Pierre Sudreau pense que la solution à la crise du logement dépend de cinq réformes essentielles : Réformer le financement de la construction neuve en augmentant l’aide de l’Etat et en la réservant à ceux qui en ont le plus besoin ; trouver des capitaux supplémentaires que l’Etat ne peut fournir, et mieux distribuer les fonds publics et privés rassemblés ; décentraliser et déconcentrer l’administration du ministère de la Construction ; encourager et faciliter l’entretien du patrimoine immobilier ancien ; mieux répartir le patrimoine immobilier existant.

La tâche est considérable, mais aucun des quinze ministres qui ont précédé Pierre Sudreau n’a eu les pouvoirs dont il dispose. « Les plans du ministre de la Construction sont ceux du Gouvernement tout entier et, je puis le dire, les miens », déclara le général de Gaulle, en présentant Pierre Sudreau, au cours de sa conférence de presse du 24 juillet 1958. Le ministre sait que pour tous les ministres de la Construction, le respon­sable des carences a toujours été le ministre des Finances. Antoine Pinay, le nouveau ministre des Finances, veut faire exception à la règle. En septembre 1958, au cours d’une importante conférence de presse tenue avec Pierre Sudreau, il déclare aux journalistes : « que le gouvernement accorde la priorité au logement en dépit des difficultés financières certaines traversées par le pays. Nous avons maintenant des berceaux plus nombreux, il nous faut donc plus d’écoles et plus de logements. C’est un impératif national ».

M. Pinay, cependant, avant de laisser la parole au ministre de la Construction, tint à souligner que pour obte­nir des résultats, les capitaux privés, trop longtemps découragés, devaient relayer en partie les finances publiques qui ne pourraient suffire. « C’est avec de l’épargne vraie, et non pas de l’infla­tion, que nous voulons financer les investissements du pays, et en particulier la construction. Pour mobiliser cette épargne en faveur de la construction, l’Etat va proposer un pacte d’honnêteté et de confiance aux épargnants qui investiront leurs capitaux dans la construction locative. Le gouvernement, parce qu’il écarte la perspective de l’inflation écarte aussi celle d’un blocage .ultérieur des loyers. »

M.     Pinay est décidé, convaincu. « D’autres réformes suivront. Nous ne voulons pas improviser en une matière délicate et complexe. Notre souci est de développer la construction en assainissant ses mécanismes fi­nanciers. » Pierre Sudreau a beaucoup consulté, écouté, il sait qu’il doit innover. « Nous devons être au rendez-vous des générations mon­tantes en 1965 », dit-il en commentant les premières mesures prises par le gouvernement. Il faut tout d’abord encourager la construction à usage locatif. Le ministre annonce, en insistant sur les avantages révolutionnaires dont elles bénéficieront, la création de « sociétés immobilières conventionnées. » Celles-ci seront garanties par l’Etat pendant vingt-cinq ans contre toute mesure législative ou règlementaire qui priverait ces sociétés du droit de percevoir l’intégralité des loyers de réfé­rence qui seront fixés par la convention passée entre elle et l’administration. Elles bénéficieront d’une exonération de l’impôt sur les sociétés pendant vingt-cinq ans pour le revenu, d’une exonération pendant la même durée de la taxe proportionnelle sur les revenus des actions émises par ces sociétés ainsi que sur le produit des emprunts contractés par elles. Sous certaines conditions, elles bénéficieront également d’une exonération des plus-values qui seront réalisées lors de la cession ou du remboursement des actions ou obligations émises par ces sociétés.

Le ministre est convaincu que pour la première fois depuis plus de quarante ans, les loyers vont « redonner une impulsion à la construction. » Par ailleurs, les primes à la construction seront rem­placées par une bonification d’intérêt ramenant le taux net à 2,75 % pour les Logécos et à 3,75 % pour les logements primés à 600 F. Cette simplification fut accueillie avec satisfaction. Les taux étaient incitatifs, mais était-ce bien raisonnable ? Une progressivité du taux d’intérêt aurait allégé la charge du Trésor sans perdre pour autant son caractère incitatif. Quarante ans plus tard, l’instauration d’un prêt à taux zéro aura le même caractère excessif pour ne pas dire toxique.

Le sentiment général à cette époque était que la France avait enfin une politique du logement. Pierre Sudreau espérait qu’avec ces mesures, les Français allaient retrouver le goût de la pierre. En lançant cet appel aux capitaux privés à un pays qui retrouvait le calme, le ministre de la Construc­tion voyait juste. Pourtant les capitaux privés étaient méfiants. Moins d’un mois plus tard, le ministre fut contraint d’évoquer devant les journalistes « l’inquiétude qu’il ressentait devant la campagne souterraine menée par cinq ou six personnes dont des inter­médiaires de la construction, pour faire avorter le projet. Certains groupes privés craignent peut-être de gagner moins d’argent qu’avant, mais ils ne nous empêcheront pas de poursuivre la lutte contre toutes les spé­culations », avait prévenu le ministre qui reconnaissait avoir sous-estimé certaines forces d’inertie dans le pays. Des voix s’élevaient, notamment dans les milieux financiers et industriels, pour exprimer des  doutes sur l’efficacité de ces mesures. Un proche du ministre des Finances déclara au cours de journées d’études que les obligations que ces sociétés immobilières conventionnées émettront ne pourront être indexées, car le risque ne pourra pas être pris de détériorer le marché financier au bénéfice de la seule construction. D’ailleurs, le calendrier des émissions est déjà très encombré, et de gros emprunts obligataires ne pourront être placés. Certes, nous voulons ramener les capitaux privés vers la construction, mais seule­ment dans des conditions saines.

M. Pisani, qui participait à ce colloque et qui n’aura pas fini d’affronter le ministère des Finances, protesta : « Je crains fort que vos déclarations ne provoquent une réelle déception et dissuade  l’épargne de s’investir dans les sociétés conventionnées. Pierre Sudreau, furieux, confiera aux journalistes quelques heures plus tard, que « la déclaration de M. Henry engage la politique du gouvernement à l’égard des sociétés immobilières. Or je n’ai été consulté ni sur l’opportunité ni sur le fond de cette déclaration. Même sous la IVème République, les attachés de cabinet n’avaient pas l’habitude de se substituer au gouvernement. C’est d’ailleurs une grave erreur que de traiter des problèmes aussi complexes sur la place publique. Je voudrais, quant à moi, que la construction fût aussi bien traitée que les grandes industries françaises ». Cet incident avec les fonctionnaires de la rue de Rivoli sera suivi de nombreux autres au cours de la Vème République. Le ministre de l’Equipement Albin Chalandon, douze années plus tard, s’opposera souvent, parfois violemment, au jeune secrétaire d’Etat Valéry Giscard d’Estaing. La première société immobilière conventionnée à voir le jour fut la SIMNOR (Société d’Investissement Immobilier du Nord), fondée par des industriels et des banques du Nord, sous le patronage du Comité interprofessionnel du logement de Roubaix Tourcoing.

Cependant, ceux qui défendent les intérêts des plus faibles s’interrogent : « Quelle place peut prendre ce secteur dans l’ensemble de la construction française.  Les fonds collectés représenteront quelques milliards par an ou des dizaines de milliards ? Le gouvernement, dans ce domaine, est critiqué par certains milieux financiers et par ceux qui considèrent qu’il concentre tout son effort au bénéfice des classes moyennes, alors que les plus grandes victimes de la crise sont les milieux populaires.



Chapitre 2 : Les deux vétos

Sous le titre : « Les deux vetos », Alfred Sauvy publia une tribune libre dans le Monde le 4 novembre 1958. Il n’existe pas, à ma connaissance, commence–t-il son article, d’association des « Amis du logement ». Ceux qui, comme moi, s’honoreraient d’en faire partie ont nourri de vifs es­poirs quelles que soient leurs opinions politiques lors de l’avènement du nouveau gouvernement. Le charme, ont-ils pensé va être rompu par le desserrement des freins mis en travers de la construction. Du dernier rang parmi les pays développés, la France va pouvoir s’élever quelque peu. Si le logement a ses défenseurs, il a aussi de farouches adversaires sournois qui ne se déclarent pas comme tels, qui disent être pour des logements mais pas n’importe lesquels ». Dans cette tribune, il dénonce l’attitude qui consiste à donner un grand coup de chapeau aux sans-logis, voire à s’indigner contre leur dénuement, pour pouvoir mieux exprimer ses réserves, ses préférences, ses ex­clusives. Parmi celles-ci, fort diverses (esthétique, confort, méthodes, priorité à d’autres objectifs, etc. …) deux émergent de la tête et des épaules. L’une est le véto socialiste, l’autre le veto capitaliste. Les socialistes, selon lui, feignent de croire que l’Etat peut financer seul tous les logements à construire et qui s’opposent par principe aux logements conventionnés qui manquent à leurs yeux d’orthodoxie et seraient immoraux !

L’autre veto est celui des financiers qui, au nom de leurs principes, ont peur de tout. Alfred Sauvy est sévère : « Les principes de la rue de Rivoli sont d’un béton prêt à résister à tous les faits et à quarante ans d’inflation. Il faudrait dix ans de parfaite vertu monétaire pour que l’épargnant oublie et prête son argent à 4 % papier, comme dans la France de 1914 ou la Suisse de 1958. Qu’à cela ne tienne, le logement n’a qu’à attendre dix ans. Périssent les sans-logis plutôt que les principes, est le chœur général et discordant, les principes variant de façon à couvrir le chant. »

Alfred Sauvy conclut son article par ces mots qui font encore frémir ceux qui les lisent cinquante ans après: « Imaginons le sans-logis avec sa marmaille, appelé à faire le tour d’horizon complet des vetos, des préalables et des inerties. De sa bouche jaillirait le fameux : « Mais il n’est question que de ma mort là-dedans. » Tant pis pour lui ! Il tient pour responsables ces hommes de principes qui semblent entretenir volontairement la pénurie malgré les souffrances qu’elles engendrent. Que de tortures morales au nom des principes. Prophétie, clairvoyance de l’économiste et du sociologue. Ceux qui, comme lui, ont étudié quelque peu la question du logement savent que la pénurie ne  pourra être vaincue dans un délai raisonnable qu’en misant sur tous les tableaux, en utilisant toutes les cartes. Aucune ne sera de trop.

Au début du mois de novembre, le Général de Gaulle rend son arbitrage budgétaire. M. Sudreau, qui avait demandé beaucoup, obtient à peu près tout ce qu’il avait demandé. M. Berthoin, ministre de l’Education Nationale; qui avait demandé 212 milliards, ne reçoit qu’une enveloppe budgétaire identique à celle de 1958, soit 150 milliards.

Pour l’heure, le général de Gaulle a opté. Les autorisa­tions de programmes dépasseront de 22 milliards celles de 1958. Un fonds de lutte contre le taudis est institué. Plus de 20.000 logements supplémentaires pourront être mis en chantier en 1959. M. Sudreau espère mettre fin au sous-emploi qui sévit dans le bâtiment et porter la construction française à un rythme annuel compris entre 280.000 et 300.000 logements pour la fin de 1959. Le gouvernement a prouvé sa détermination. La franchise et l’enthousiasme du nouveau ministre réchauffent les cœurs. « Devant les taudis qui peuplent nos villes et qui rappel­lent les camps de concentration, j’ai honte à cause des enfants qui y vivent, proclame-t-il. Pour liquider cet héritage des générations précédentes, un sursaut national s’impose ; il y va de notre honneur et de celui de notre civilisation. »

« La lâcheté générale nous fait depuis longtemps pratiquer une politique collective d’autruche », lance-t-il aux membres du Club Echos dont il était l’hôte d’honneur. « Est-il juste qu’un jeune ménage à l’hôtel ou dans un appartement neuf loué paie un loyer plus élevé que ses parents, dont la situation est pourtant assise ? Est-il juste qu’un appartement cossu du seizième arrondissement soit loué 15.000 francs par mois alors que le couple ouvrier verse pour un « meublé » 20.000 à 25.000 franc par mois ? Est-il normal qu’on refuse toute hausse des loyers alors que de nombreux locataires acceptent pour se loger des « pas de porte » représentant plusieurs années de loyer ? Pour faire cesser le marché noir du logement, nous voulons rendre son efficacité à la loi de 1948. L’entretien du patrimoine immobilier est un problème technique que l’on a eu tort de politiser »

Claudius-Petit soutient son successeur : « Nous avons dès maintenant les moyens financiers d’une grande politique du logement, puisque nous dépensons en vins et en boissons alcoolisées 2 % de notre revenu national, contre 3,7 % pour le logement. Une hausse des loyers aurait en­traîné des mouvements sociaux ? Mais le prix du vin a plus que doublé sans que s’élèvent des protestations. S’il y a bien une révolution à faire c’est celle qui concerne la composition de nos budgets. Car il n’est pas décent de laisser les cito­yens se payer le superflu tandis qu’ils demandent à l’Etat de contribuer à leur essentiel. Le blocage des loyers joue en fait contre les pauvres et en faveur des riches. »  L’espoir est né.



Chapitre 3 : La remise en ordre

Les nouveaux dirigeants engagent un pari écono­mique qui va mettre la France, et plus encore les Français, à l’épreuve. Le plan de réforme économique et financière constitue, le mot a été employé, une véritable révolution, en ce qu’il comporte de changements radicaux de la politique poursuivie jusqu’alors. Le général de Gaulle, et son « providentiel » ministre des Finances, Antoine Pinay, avaient confié trois mois plus tôt à un comité d’experts, présidé par Jacques Rueff, le soin de préparer cette réforme.  La France, est-il constaté dans ce rapport daté du 8 décembre, « est dans une phase nouvelle de son histoire. La vague de fécondité  fera d’elle, dans peu d’années, un pays jeune, avide d’avenir, propre une fois de plus aux plus grands destins. Déjà, dans un ardent effort d’anticipation, elle a préparé par une expansion économique sans précédent l’instrument de son renouveau. Mais le développement accompli n’approche pas de celui que lui imposent ses responsabilités. Ne serait-ce que pour maintenir, pour une population accrue, son niveau présent d’équipement, d’immenses investissements seraient nécessaires. Il lui faut encore élever le niveau de vie de la Communauté, équiper le Sahara, moderniser son armement, son appareil productif, développer le progrès technique et la recherche scientifique, détruire le cancer du logement, etc. Pendant de nombreuses années, tous les problèmes français seront des problèmes d’investissements. »

La France vit au-dessus de ses moyens, elle consomme plus qu’elle ne produit et ne subsiste que par la fuite en avant et en mendiant auprès de ses amis. L’inflation, dénonce le comité d’experts, est le mal des finances françaises. Malheureusement, Jacques Rueff ne se doute pas, en remettant son rapport, que quatorze années plus tard, écoutant le 11 juillet 1972 au Conseil économique et social, Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances du cinquième gouvernement de la Vème République, il s’écrierait angoissé : « Si la hausse des prix n’est pas jugulée, la France et les autres pays qui la subissent s’exposeront aux plus graves dangers. L’usage de l’inflation finira en catastrophe pour les nations qui n’auront pas su y mettre un terme. »

Pour accomplir cette réforme, même partiellement, il va falloir du temps, beaucoup de temps et de la persévérance. Le pays, les socialistes, les syndicats sont encore comme anesthésiés par ce qui s’est passé au printemps quand le général est revenu aux affaires. C’est le moment, un moment qui ne reviendra peut-être plus, de faire souscrire aux Français un « acte de foi ». Le gouvernement n’a pas encore eu le temps de commettre des erreurs, son prestige est intact. Le ministre des Finances, choisi par le général de Gaulle, inspire la confiance nécessaire et encourage aux sacrifices. A la jeunesse française de faire le reste. Les Français pénétrèrent donc dans l’année 1959 sous le signe du changement. Ordonnances, décrets, arrêtés déferlèrent sur la vie quotidienne du pays. Le 4 janvier, un « train » de mesures économiques et sociales intéressant la construction et le logement fut publié au Journal Officiel.

Entre autres décisions, M. Sudreau, qui avait dénoncé le « véritable détournement de fonds publics » que cons­titue l’occupation d’HLM par des familles disposant de ressources supérieures à celles autorisées par la loi, décide de relever les plafonds pour « régulariser certaines situations » et donne trois mois aux familles dont les ressources ont augmenté pour quitter les lieux. De nombreux textes concernent les loyers, le gou­vernement a le souci de « remettre de l’ordre », de « mieux en­tretenir le patrimoine existant » et de rendre un peu de  fluidité au marché immobilier.

Il était impossible de rendre la liberté totale aux loyers, dans les grandes villes notamment, car cela aurait provoqué une bataille rangée entre propriétaires et locataires. La liberté aurait d’ailleurs pro­voqué un alignement par le haut. En revanche, il était néces­saire de donner aux propriétaires – qui parfois n’ont pas voulu mais souvent n’ont pas pu le faire – les moyens de réparer normalement leurs immeubles. Le gouvernement a donc décidé une hausse différentielle et par paliers. Il convient d’ailleurs de noter que la sauvegarde et l’améliora­tion de l’habitat ancien coûtent cinq à six fois moins cher que la construction neuve.

Les socialistes sont sceptiques. Il est à craindre qu’il ne faille des mesures plus énergiques pour redistribuer équitablement l’occupation des immeubles anciens et lutter contre les sous-locations spéculatives. Cependant, les nouveaux textes s‘analysent comme le début d’une réforme qu’il convient de poursuivre. M. Sudreau en a d’ailleurs laissé percer l’intention en annonçant pour les prochains mois une refonte véritable du Fonds national d’amélioration de l’habitat. Ses six mois d’action ministérielle au quai de Passy ne constituent qu’une première étape. Le ministre de la construction a, semble-t-il, bien d’autres projets dans ses cartons. »



Chapitre 4 : Les premiers pas

Le gouvernement, sur la demande du ministre Pierre Sudreau, autorisa le Crédit Foncier à consentir au cours du premier semestre 1959un montant de 125milliards de crédits à valoir sur le plafond annuel fixé à 200 milliards depuis 1956. Le ministre craignait, en 1959, un ralentissement du rythme de la construction ; il décida donc d’accélérer le déblocage des prêts pour l’accession à la propriété.

Il souhaitait une coopération entre tous ceux qui concourent à l’acte de construire pour rénover les structures de l’industrie du bâtiment, encourager la répétition de modèles, de programmes par des finance­ments spéciaux. Le risque de fléchissement du rythme des mises en chantier en 1959 est au centre des préoccupations de tous les professionnels de la construction. Les constructeurs privés, par la voix de leur nouveau président l’ancien préfet de la Seine, M. Haag, qui fera parler de lui deux ans plus tard, expriment leur inquiétude dans une conférence de presse qu’ils tiennent le 12 février

Les constructeurs privés à vocation lucrative ou poursuivant un but désintéressé, se sont en effet groupés pour donner à la profession la discipline et la structure qui lui manquent encore. Un appartement de 3 pièces est vendu environ 3.500.000 francs anciens dans la banlieue parisienne. Le prêt du Crédit Foncier est de 1.945.000 anciens francs. M Haag demande au cours de cette conférence de presse que l’apport personnel des acquéreurs soit diminué et que le montant des prêts du Crédit Foncier soit indexé sur le coût de la construction. Ces chiffres font aujourd’hui sourire

Au mois de mars, le ministre inaugure le premier chantier entrepris par une société immobilière conventionnée au 191 rue St-Charles, dans le quinzième arrondissement. L’Union Immobilière de France construit 177 appartements à usage locatif. Le ministre de la Construction souligne qu’il « ne peut y avoir de concurrence entre orga­nismes de construction, alors que la pénurie est encore aussi aiguë à Paris ».

Monsieur Pinay craint la récession. Devant la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, il s’en explique le 17 février 1959 : « L’Algérie coûte cher, très cher. Les remèdes, pour remettre en ordre l’économie française et s’attaquer aux causes de ses maux, sont tant bien que mal supportés par le pays. Le redressement est lent, mais après cinquante ans d’inflation, faut-il s’étonner, qu’à l’étranger en particulier, la confiance soit encore hésitante. Le nombre de logements financés par le Crédit Foncier a baissé de 17 % en deux ans. » Pierre Sudreau ne l’ignore pas, il compte sur la construction privée pour relayer la construction publique. Les HLM et la relance des LOGECOS constituent les priorités du Ministre.

La politique de Pierre Sudreau paraît d’autant plus délicate à mener qu’elle combine certaines inspirations libé­rales conformes à l’orientation donnée à l’économie française par MM. Rueff et Pinay et une conception sociale et quelque peu dirigiste du logement. Ceci se manifeste non  seulement dans le secteur des HLM mais aussi dans celui des prêts du Crédit Foncier, jusqu’ici assez peu contrôlé par le pouvoirs publics. Lorsque le Journal Officiel du 19 mars 1959 publie la circulaire fixant les nouveaux plafonds de ressources applicables aux locataires d’HLM, c’est la déception. Contrairement à ce qui avait été annoncé, la plu­part des Français, les cadres, hauts fonctionnaires, commer­çants, peuvent demeurer ou devenir locataires d’un logement HLM. Après les abus scandaleux de ces dernières années, le retour au caractère véritablement social des HLM, annoncé par le ministre, ne pourra avoir lieu.

La Confédération Générale du Logement adresse une lettre à M. Sudreau. « Ce relèvement aboutit à donner à presque tous les Français le droit de demander à devenir locataire d’un logement HLM puisque, si l’on se réfère aux déclarations de revenus de 1956, 96 à 98 % des contribuables déclarent un revenu infé­rieur aux nouveaux plafonds ».

Entre mai 1958 et mars 1959, les plafonds de ressources ont augmenté de 78 % pour les HLM locatives construites depuis la guerre et de 120 % pour les HBM d’avant guerre. Comme dans le même temps: les salaires nominaux n’augmentaient que modérément, toute une série de familles à revenus élevés se sont vu ouvrir le droit à devenir locataires d’un logement HLM. C’est très exactement le contraire de ce qu’avait déclaré vouloir le ministre de la construction lors de son arrivée quai de Passy, lorsqu’il dénonçait les scandales des HLM et réclamait le retour à leur vocation so­ciale. La C.G.L. propose que les nouveaux plafonds de ressources soient abaissés de 25 %, ce qui les ramènerait approximativement à leur niveau de décembre dernier (94.700 F de revenu mensuel pour le ménage sans enfants, 118.500 F pour le ménage ayant un enfant, 143.200 F pour deux enfants, 165.900 F pour trois enfants).

La Confédération du logement s’inquiète également de voir demeurer lettre morte la décision de M. Sudreau de créer des commissions départementales chargées de contrôler l’attribution des logements HLM aux familles. Elle craint qu’il n’y ait de sérieuses différences entre les intentions du ministre de la Construction, qu’elle semble approuver, et la façon dont les services les traduisent. Ce n’est d’ailleurs que par la construction massive d’HLM qu’on arrivera à éviter vraiment les abus. Il faudrait mettre en chantier deux fois plus d’HLM.

Devant la Commission de la production et des échanges de l’Assemblée Nationale, le 16 mars 1959, le ministre de la Construction expose sa politique. L’année 1959 restera cependant une mauvaise année pour le logement. 318.000 logements seulement seront mis en chantier, c’est plus qu’en 1958 (301.000 loge­ments) mais moins encore qu’en 1956 (321.000 logements). Nous marchons « freins serrés », a coutume de dire Alfred Sauvy. Le nouveau régime pêche par timidité. Pierre Sudreau semble oublier ses réelles intentions et ses pleins pouvoirs.

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