Conclusion
Il en est du logement comme du chômage. Les mesures générales, à grands coups de lois, décrets et autres circulaires, ne marchent pas. Elles provoquent des abus, des effets d’aubaine, coûtent cher et laissent sur le bord de la route une partie incompressible de la population qui relèverait de la fatalité. A l’évidence, les solutions ne sont pas suffisamment personnalisées. Les responsables politiques ont tout essayé, durant les trente dernières années notamment, mais ne parviennent pas à donner à tous les Français un toit et un travail, c’est-à-dire la principale et véritable liberté de l’homme. Deux républiques, depuis 1945, près de cinquante gouvernements, aussi soucieux de l’intérêt général les uns que les autres, trente deux ministres de la construction, du logement ou autres appellations, en situation de pouvoir – et devoir – améliorer la situation, ont promis, empilé les textes, saupoudré les aides publiques, sans jamais être en mesure de pouvoir déclarer, comme le fit le gouvernement de l’Allemagne fédérale en 1965 : « Notre pays a résolu la crise du logement née avec la guerre. Désormais, la demande d’habitat n’est pas plus élevée que l’offre ».
Fin avril 1958, un mois avant la fin de la IVème République, Eugène Claudius Petit déclarait dans La Croix : « Il n’y a pas de politique du logement en France, je veux dire de politique stable, digne de ce nom, […] certains grands ensembles vont grouper 10 000, 15 000 ou 20 000 personnes dans un même et unique type de logements réservés à une catégorie de salariés ou d’employés définis par un maximum et un minimum de ressources. À la monotonie des maisons va s’ajouter la monotonie des habitants. […] Bientôt, nous découvrirons que les grands ensembles, jetés au hasard sur des terrains disponibles, ne constituent que des morceaux brisés d’un urbanisme inexistant. En travaillant à la petite semaine, on risque de rendre incohérentes les agglomérations au lieu de faire des villes ». L’ancien ministre, sans doute le plus déterminé, résumait avec lucidité l’œuvre de la IVème République dans ce domaine. La France se situait, d’après les statistiques de la Commission des Nations Unies pour l’Europe, au neuvième rang de la construction en Europe, avec 6,1 logements terminés pour 1000 habitants. Il aurait fallu construire 2.730.000 logements. 1.367.000 seulement ont été achevés, à peine la moitié. Contraints par l’état des finances du pays, aucun des quinze ministres du logement n’a été en mesure de faire en sorte que plus d’un tiers des Français ne vivent plus dans des logements surpeuplés.
La Vème République, bien décidée à faire du logement « la priorité des priorités », a construit, avec l’aide du secteur privé ; mais, malgré la stabilité gouvernementale qui manquait à la IVème, n’a pas réussi, jusqu’à présent, à résoudre durablement le problème du mal logement.
Le nouveau chef de l’Etat pourrait, sans changer un mot, faire le constat qu’avait fait son prédécesseur à Vandœuvre-lès-Nancy le 11 décembre 2007 : « Le nombre de mal logés, de l’ordre de deux millions, ne cesse d’augmenter avec la démographie, l’évolution du modèle familial et la crise économique ; le logement est, après l’emploi et le pouvoir d’achat, le principal sujet d’inquiétude des Français en raison du poids trop élevé que représentent les dépenses liées au logement dans le budget des ménages ; les Français supportent de plus en plus mal que les prix de l’immobilier s’envolent alors que pour certains la crise du logement s’aggrave ; la pénurie est la principale cause de la hausse des prix et des loyers ; l’effort public, d’une trentaine de milliards par an, ce qui n’est pas rien, stimule la hausse des prix sans parvenir à la corriger ; un Français sur quatre bénéficie d’une aide ; un logement sur deux est en partie financé par l’Etat. »
Cette situation provient en grande partie d’un défaut persistant d’anticipation des besoins, de l’insuffisance de l’offre de logements, et de l’écart croissant, constaté, surtout depuis dix ans, entre l’augmentation des prix et celle des revenus. La décentralisation, illisible, inachevée, n’a que partiellement contribué à apporter des solutions. Elle devra connaître une nouvelle étape et une clarification des responsabilités. Le moment est venu aussi de repenser l’urbanisme, de « prendre à bras le corps » la question foncière et de mettre en œuvre sérieusement une politique d’économie d’énergie. Une grande majorité de Français dit : « Cela ne peut pas durer » ; la dépense de logement doit, d’une manière ou d’une autre, être ramenée à une part raisonnable (25%) des revenus avant que la crise du logement ne devienne une crise de société majeure ».
Tel est le constat, au lendemain de l’élection présidentielle.
Pourtant, depuis 1945, la France a changé. Le paysage urbain n’est plus le même. Trois Français sur quatre se déclarent satisfaits de leurs conditions de logement. En proportion, le parc de logements s’est accru nettement plus que la population. Le développement de la maison individuelle a contribué à l’amélioration du confort. La surface moyenne des habitations principales est passée de 60 à 90 m2 et la surface par personne de 22 m2 en 1970 à 40 m2 en 2006, bien qu’un tiers du parc soit antérieur à 1945. En ce qui concerne le confort sanitaire, il ne s’agit pas d’une évolution mais bien d’une révolution. En 1970, pour un Français sur deux, les WC, la douche ou la baignoire, à l’intérieur de l’habitation étaient inexistants. Aujourd’hui presque toutes les habitations, si on laisse de coté les logements précaires, ont ces éléments de confort indispensables. L’accession à la propriété a connu un engouement qui explique, en grande partie, cette évolution. Si l’objectif de faire de la France un « pays de propriétaires » est encore loin d’être atteint, et n’est sans doute pas souhaitable du point de vue de la mobilité, 57% des Français le sont déjà, alors qu’ils n’étaient qu’un tiers en 1953. Ce désir de propriété n’est pas lié seulement à la nécessité de se loger. Pour une grande majorité de Français, c’est le meilleur moyen de se constituer un patrimoine, d’épargner, d’organiser sa retraite, de ne pas dépendre d’un propriétaire et, peut être de devenir riche.
Une autre politique du logement est-elle possible ? Assurément, pour cela il faut que soient définis des objectifs à court, moyen et long terme en fonction de l’urgence sociale et du souci de retrouver de la cohérence dans une planification vertueuse. Les priorités doivent être inversées. Dans l’immédiat, eu égard aux contraintes budgétaires, la priorité des priorités doit être le logement social, indispensable notamment pour que le droit au logement opposable puisse être appliqué (il manquerait 800 000 logements en France pour appliquer le DALO). Le logement des jeunes doit également faire partie des priorités. Ils ont de faibles revenus, quand ils en ont, un emploi instable et ne sont pas toujours capables de fournir des garanties. Le secteur privé ne leur offre que de très petites surfaces pour des loyers exorbitants. Les résidences collectives adaptées à leurs besoins sont rares. Ne faudrait-il pas remplacer le « Scellier » par un dispositif ciblé d’incitation des investisseurs personnes physiques à l’achat de logements destinés à la location aux jeunes de moins de trente ans, avec des mécanismes de garantie pour le bailleur. Dans le même esprit, la taxe annuelle sur les logements vacants ( qui appartiennent souvent à des personnes âgées) pourrait être transformée en avantage fiscal dès lors que ces logements seraient mis à la disposition de jeunes dans des conditions à définir qui ne devraient évidemment pas altérer la plénitude du droit de propriété et notamment la faculté pour le propriétaire de pouvoir vendre le bien libre de toute occupation avec un préavis. La principale erreur, très française, a été de vouloir sans cesse généraliser. Le logement est un bien si particulier qu’il ne supporte pas la généralisation. Il n’y a pas deux cas semblables, pas deux logements semblables.
En ce qui concerne le secteur locatif, les bailleurs privés, personnes physiques et investisseurs institutionnels, ont eu tendance à se désengager au cours de ces vingt dernières années par crainte des changements fréquents de réglementation des relations entre propriétaires et locataires et pour dégager des plus-values devenues importantes. Les nombreux mécanismes d’incitation fiscale à l’investissement ont atténué la réduction du parc locatif privé depuis le « Quilès 1985 », mais, s’ils ont stimulé la construction neuve et connu un certain succès, c’est surtout parce que les avantages fiscaux étaient très incitatifs et les contreparties sociales faibles. Logements à loyers élevés, petites surfaces, localisations, ne correspondaient pas toujours aux besoins. Le « Besson 1999 » avait tenté de remédier à ces inconvénients mais le résultat ne fut pas à la hauteur des besoins. C’est la raison pour laquelle il est urgent de mettre au point des partenariats public-privé et inciter les institutionnels qui collectent l’épargne à en investir une partie dans le logement locatif comme cela avait été fait en 1963 avec les « sociétés immobilières conventionnées ». Il faut aussi doter les collectivités territoriales de financements qui permettent de construire, au plus près des besoins, des logements à usage locatif, intermédiaires entre le parc HLM et le secteur libre. La gestion du parc HLM pose des problèmes qu’il faut également aborder. Celle-ci manque d’équité. Le maintien dans les lieux (notamment dans les quartiers les plus favorisés), la sous-occupation, l’accroissement des inégalités deviennent difficilement tolérables quand les ressources augmentent significativement et que la crise s’aggrave. Pour le moyen terme, en raison de la complexité du problème, la politique de rénovation urbaine, bien que coûteuse, devra être poursuivie en tenant compte des nombreuses recommandations formulées depuis la mise en place de l’ANRU. Il faudra sans doute mettre au point de nouveaux instruments juridiques, fiscaux et administratifs pour permettre aux collectivités territoriales de fabriquer des terrains à bâtir au plus près des besoins. Ceci suppose un réel effort de simplification des procédures et par voie de conséquence une nouvelle étape de décentralisation et de déconcentration. Des rapports parlementaires et de la Cour des comptes ont pointé du doigt toutes les causes de lourdeur, de retard et de dysfonctionnement. Une loi d’orientation foncière courageuse, parce qu’impopulaire, est nécessaire pour éviter qu’un certain nombre de propriétaires de terrains continue à s’enrichir sans cause. Libérer du foncier, sans attenter au droit de propriété, ne peut se faire qu’en décourageant fortement la détention de terrains non bâtis avec une taxation dissuasive, c’est-à-dire faisant perdre le bénéfice de la hausse des prix. Une préemption des plus-values que procurent les décisions d’urbanisme qui rendent les terrains constructibles pourrait être une source de financement pour les collectivités locales comme en Suisse et en Allemagne.
Sur le long terme, si ce concept peut avoir un sens en politique, il faudra répondre, d’une manière ou d’une autre (publique et privée), à une demande qui a toutes les raisons de rester forte, de l’ordre de 450 à 500 000 logements par an. Rien que l’application du droit au logement opposable représentera une demande de l’ordre de 650 000 logements (pour un million de personnes).L’effort public dans les zones tendues ne devra pas être relâché si l’on veut construire chaque année au moins 300 000 logements en locatif social, logements intermédiaires aidés et prêts à taux zéro. Par comparaison, en Allemagne, l’offre de logements est supérieure à la demande (particulièrement en ancienne Allemagne de l’Est) et les loyers sont stables en raison d’une offre locative privée importante.
En conclusion, une nouvelle politique du logement devra être lisible, cohérente et efficace dans la durée. Pour cela, il faudra que soit clarifié le rôle de l’Etat, de la région, du département, des communautés de communes et des communes. Sans ce préalable et une vision d’ensemble, il ne sera pas possible de sortir de la situation actuelle qui est trop complexe. C’est au plus près des habitants, à l’échelon local, que les besoins doivent être évalués pour pouvoir être satisfaits. Le droit au logement est par nature dans l’urgence. La mixité sociale suppose des actions à plus long terme. Si l’accession à la propriété constitue un « rêve » pour les classes moyennes et offre l’avantage de libérer une offre locative, il faut cependant réfléchir aux problèmes que posent l’étalement urbain en termes d’espace, d’équipement et d’économie d’énergie. Il ne sera pas possible d’endiguer la hausse insupportable des loyers sans augmenter significativement l’offre locative. L’encadrement des loyers « casse le thermomètre » provisoirement mais ne résorbe pas la pénurie. Dans un autre ordre d’idée, réduire les coûts de construction dans le domaine du logement aidé et assurer la mutation écologique de l’habitat, qui nécessitera des investissements importants, ne sera pas le moindre des défis. Il serait peut être opportun de revenir à la méthode des prix plafonds qui avaient fait ses preuves dans les périodes de forte inflation des coûts.
Pour finir sur une note d’espoir, il faut souhaiter qu’une politique européenne de relance, s’impose tôt ou tard. Quand la dérive des dettes souveraines aura été stoppée et que les mesures prises auront rassuré les investisseurs, la France, mais aussi l’Allemagne n’auront pas d’autre choix que de collaborer à un grand projet européen capable de restaurer la prospérité. La spirale de la récession stoppée, une nouvelle politique du logement, c’est-à-dire une politique à long terme, sera possible. Elle contribuera, comme dans le passé, à relancer la croissance et a créer des emplois ; condition indispensable à la restauration d’un cercle vertueux.
Il faut souhaiter aussi que l’esprit du CNR, auquel il est si souvent fait référence ces temps derniers, inspire les politiques qui seront mises en œuvre au lendemain de la prochaine élection présidentielle. L’esprit du Conseil National de la Résistance était avant tout défini par la fidélité à une forme de civilisation qui place l’homme au centre de toutes les politiques engagées, qui sache résister à la pression des puissances économiques et financières, en un mot qui ait en toute chose le souci de l’intérêt général. Aux yeux de ces résistants, après ce qu’ils avaient vécu, seule une véritable démocratie économique et sociale pouvait garantir une juste répartition des fruits de la croissance, la liberté, la fraternité, l’égalité. Elle seule protégerait les Français contre l’avidité d’un capitalisme irresponsable qui ne manquerait pas de chercher à nouveau à régner sur l’économie française.
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