Les conséquences du réchauffement climatique sont évidentes, elles seront probablement dramatiques, mais elles sont à moyen et long terme. Elles ne troublent pas les marchés. Elles ne provoquent aucune panique. Les discours, les bonnes intentions, masquent souvent le déni ou le report à plus tard des décisions à prendre qui seraient coûteuses. Dans le même temps, l’infiniment petit, un invisible virus, susceptible de causer la mort avec une probabilité encore inconnue, provoque une épidémie de peur, une mobilisation générale, un risque de récession économique sévère, une panique boursière, une situation de guerre. La dette, le déficit, n’ont soudain plus aucune importance. C’est le sauve-qui-peut.
Tel est l’état d’esprit dans le monde, aujourd’hui.
L’humanité est une nouvelle fois confrontée à une menace sans implication d’un État. L’ennemi est invisible, sournois, omniprésent. De ce point de vue, il ressemble au terrorisme. Il n’a pas de chef, sa stratégie est incompréhensible ; il frappe en tout temps, à tout moment, en tout lieu. Les institutions internationales, les chercheurs, les scientifiques, se mobilisent. La plupart des gouvernements s’organisent, appliquent des plans, réunissent des conseils de défense, informent leurs populations au jour le jour de l’avancement de l’ennemi. Les autres, feignent de ne pas être attaqués, n’informent pas leurs populations, pour des raisons de politique intérieure. Faute de reconnaissance, d’identification officielle, l’ennemi a reçu un nom : Covid-19. L’armement le plus puissant, le plus sophistiqué, le plus meurtrier, n’est d’aucune utilité. Le monde, face à la menace, apparaît sans défense. Une entreprise terroriste, Daech, Al Qaida, aurait employé l’arme bactériologique, les réponses ne seraient pas différentes. L’État y est d’ailleurs préparé.
En France, l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959, portant organisation générale de la défense, précisait déjà, dans son article 1er, que « la défense a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ».
Par la suite, le livre blanc de 2008, avait identifié « des risques naturels, sanitaires et technologiques susceptibles, par leur ampleur, de désorganiser nos sociétés ». Les événements intervenus depuis lors sont venus confirmer la réalité de ces risques. L’épidémie de grippe A/H1N1, en 2009, avait déjà illustré la vulnérabilité de nos sociétés.
Le » Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale » de 2013, mentionne que « l’utilisation éventuelle d’agents biologiques par des terroristes reste possible et pourrait avoir de très graves conséquences […] la circulation des personnes et des marchandises, la concentration de populations dans des mégalopoles et la défaillance des systèmes de santé dans certaines zones favorisent la survenue de crises majeures. Le risque existe notamment d’une nouvelle pandémie hautement pathogène et à forte létalité résultant, par exemple, de l’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou d’un virus échappé d’un laboratoire de confinement. Dépendantes d’infrastructures vitales complexes, fonctionnant à flux tendus, en contact quotidien avec le monde entier, nos sociétés peuvent être rapidement et profondément perturbées par des événements qui ne frappent initialement qu’une fraction de la population. Une désorganisation au départ limitée peut rapidement se propager et être amplifiée au point de constituer une menace affectant la sécurité nationale. Notre pays demeure exposé à des risques et à des menaces de nature et d’intensité diverses. Difficiles à quantifier, ceux-ci sont plus insidieux et entretiennent un sentiment diffus d’insécurité. Cette perspective exige, de notre part, une réévaluation de nos priorités et une adaptation de nos réponses. »
Dans le prolongement, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, qui met à jour le » Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale » de 2013, qui faisait suite à celui de 2008, évoque, parmi les menaces à prendre en compte, « le risque de propagation rapide et à grande échelle de virus à l’origine d’épidémies diverses ».
En 2015, devant le Congrès réuni à Versailles, François Hollande, président de la République, avait déclaré : « Nous sommes en guerre ». L’emploi de ce mot lui avait été reproché au motif que seul un État peut être parti d’un conflit international, comme le rappelle la Convention de Genève de 1977. Une déclaration de guerre vaudrait reconnaissance de Daesh comme d’un État. C’est ce que voulaient les terroristes. Son ministre de la défense, un an plus tard, avait ainsi justifié des annulations de festivités : « Nous sommes en situation de guerre. Donc, par moments, il faut interdire des manifestations si les normes de sécurité ne sont pas respectées ». L’emploi du mot guerre est sans doute contestable du point de vue de la doctrine des Nations Unies, mais les faits sont là. Le monde, les populations, sont, avec ce virus, confrontés à une menace bactériologique qui n’implique pas un État mais qui nécessite une mobilisation, une organisation de temps de guerre.
La grippe espagnole, responsable, dit-on parfois, de 50 millions de morts à la fin de la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire beaucoup plus que les 10 millions de morts de la Grande Guerre, est encore dans tous les esprits, au même titre que la peste. Un tiers de la population mondiale avait été infecté. En France, 408 000 décès furent recensés. En Europe occidentale, il y eut sans doute près de 2 à 3 millions de morts. En Inde et en Chine, il y aurait eu environ 6 millions de morts. Baptisée « espagnole » parce que l’Espagne, qui n’était pas en guerre, fut la première à en parler ouvertement, cette grippe se répandit dans le monde entier. Le virus était, a-t-on dit, né de la combinaison d’une souche humaine (H1), provenant de la grippe saisonnière H1N8, en circulation entre 1900 et 1917, avec des gènes aviaires de type N1. La plupart des victimes mouraient de surinfection bactérienne en l’absence d’antibiotiques.
Les mauvaises conditions sanitaires et l’état de santé des populations expliquent, sans doute, en partie, le lourd bilan de cette pandémie qui aurait commencé au Kansas dans des camps militaires, avant de se répandre dans l’ensemble des États-Unis et à l’Europe. L’origine, pour l’Institut Pasteur, se situait très probablement en Asie, plus précisément en Chine, déjà, dans la région de Canton.
L’ennemi, il faut bien l’appeler ainsi, n’est pas seulement le virus. « Notre plus grand ennemi à ce jour, ce n’est pas le virus lui-même. Ce sont les rumeurs, la peur et la stigmatisation. » a déclaré récemment Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l’OMS lors d’une réunion du Conseil exécutif de l’OMS, le 6 février. Un tsunami de rumeurs a, en effet, envahi les réseaux sociaux. Les complotistes s’en donnent à cœur joie. Le président américain, le premier, accuse l’opposition démocrate d’être à l’origine du « canular » du coronavirus, et menace de fermer la frontière avec le Mexique, alors qu’aucun cas de coronavirus aux États-Unis n’a été observé avec ce pays. « Le virus a été intentionnellement fabriqué dans un laboratoire de Wuhan par des officines pharmaceutiques qui veulent amasser des fortunes avec la vente des futurs vaccins », est la rumeur qui a le plus de succès sur les réseaux sociaux. Il y en a d’autres d’origine russe. « Le virus serait une arme biologique fabriquée par la CIA afin de déstabiliser l’économie chinoise. » Le président iranien, Hassan Rohani, n’est pas en reste. Il a assuré que le coronavirus était « le résultat d’une conspiration ourdie par l’« ennemi ». Le président vénézuélien Nicolás Maduro, non plus, qui affirme que le virus est une « arme biologique » dirigée contre le monde entier. Le président du Sénat philippin, dans une vidéo, a insinué, sans rire, que l’épidémie était orchestrée par la CIA, Bill Gates et George Soros pour affaiblir la Chine.
Comment combattre les rumeurs qui affirment que la totalité de l’humanité sera contaminée par Covid19 et que, de ce fait, le nombre de morts sera considérable ? Les scientifiques, avec leurs doutes, et les complotistes, avec leurs certitudes, ne luttent pas à armes égales.
C’est difficile, car les rumeurs fabriquent et alimentent la défiance. Les médias et le gouvernement sont, comme toujours, des boucs émissaires faciles à désigner dans un environnement où certains acteurs politiques utilisent la peur comme vecteur de leur idéologie. C’est efficace ! Un sondage IFOP pour Illicomed.com, révélait, ces derniers jours, que « 57 % des personnes interrogées estiment que l’État a « caché » certaines informations. Parmi elles, 80 % seraient des sympathisants RN et 87 % des « gilets jaunes », en général jeunes et peu ou pas diplômés. »
Ce triste constat est à rapprocher des résultats de la récente enquête d’opinion annuelle du Cevipof (centre d’études de la vie politique française), le laboratoire de Sciences Po, intitulée : « En quoi les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? » Le palmarès des mots choisis par les Français est assez édifiant. Sur une liste de huit mots, trois sont placés en tête : 1/ méfiance 2/ lassitude 3/ morosité. Tel est l’état d’esprit dominant.
Le gouvernement fait chaque soir, aux alentours de 19 heures, un « point presse » dans lequel il détaille précisément le nombre de cas et l’évolution de l’épidémie. Mais cette stratégie n’empêche pas les Français de douter
Comment combattre cet « esprit de méfiance » ? Comment construire un « esprit de confiance » absolument nécessaire pour que la France ait un esprit de défense sans lequel le pays ne pourra avoir l’avenir qu’il mérite.
Au fil des jours, les conséquences, particulièrement économiques, de cette agression, de cette menace bactériologique, deviennent de plus en plus inquiétantes. Éric Le Boucher, journaliste et essayiste, écrivait, il y a quelques jours dans L’Opinion : « Le coronavirus va tuer plus de PME que d’êtres d’humains ».
J’évoquerai, dans les prochains jours, les conséquences économiques et politiques de cette guerre qui ne dit pas son nom.
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