Le changement du paysage politique de la France, c’est maintenant. C’est une certitude. L’éditorial du journal Le Monde, qualifiant d’« imposture » les propos de Mme Le Pen qui prétend incarner » l’esprit de la France « , n’a eu aucun effet. La charge du président du MEDEF contre le programme économique du Front national qui rappellerait « étrangement celui du programme commun de la gauche de 1981 » n’a eu aucun impact. Ces prises de positions n’ont fait que renforcer, chez les électeurs du FN, le sentiment que les médias, et l’establishment en général, ne comprennent vraiment rien à leurs problèmes, contrairement à Marine Le Pen.
Il faut se faire à l’idée que la progression du Front national est profonde, s’étend maintenant sur tout le territoire et a des causes structurelles sur lesquelles les médias ne peuvent avoir aucune influence. Il n’est même pas impossible que la référence au programme commun de la gauche de 1981 ait incité des électeurs de gauche à voter pour le FN plutôt que pour les candidats du Front de Gauche. Quant à la compétition entre l’Élysée et Matignon pour être « le meilleur rempart contre le Front national », il semble qu’elle ait fait l’effet d’un chiffon rouge. Affirmer « que ce parti constitue une grave menace pour le pays, que son idéologie, ses propositions sont contraires aux valeurs républicaines, à l’intérêt national et à l’image de la France dans le monde » est inaudible. La mobilisation générale contre le FN rappelle celle qui soutenait le « oui » au référendum de 2005 sur la ratification de la Constitution européenne. Le « non » l’emporta. Ce fut un cataclysme dans la vie politique française.
Les socialistes savaient à quoi s’en tenir. Ils ont connu le « séisme politique« que fut l’élimination de Lionel Jospin devancé par Jean-Marie Le Pen. Ils ne se sont jamais remis de ce choc dont ils n’ont jamais su tirer les enseignements. François Hollande, en 2012, ne cessait de répéter : « C’est au premier tour que nous devons donner au changement la capacité de vaincre ». Hier soir, la sanction a été sans appel. Sans voix, c’est le cas de le dire, jusqu’à 22 heures, les principaux dirigeants du PS se sont contentés d’acter la défaite et d’imposer, non sans mal, à leurs représentants, arrivés en troisième position et ne bénéficiant pas de d’une réserve de voix suffisante pour l’emporter au deuxième tour, de se retirer purement et simplement pour faire barrage au FN. Cette tactique, inspirée probablement par l’Élysée, en prévision d’un possible deuxième tour en 2017, est coûteuse mais habile. La maire de Lille Martine Aubry résumait en une phrase la décision du parti et celle de son adjoint : « Je suis fière que Pierre de Saintignon ait pris cette décision car il a montré que la politique est plus importante que tout le reste, plus importante que les postes.
Tous avaient en tête ce triste 21 avril 2002 qui avait eu un effet déflagrateur sur le paysage politique. Les socialistes savent qu’un 21 avril est toujours possible depuis que l’électorat populaire a lâché le PS au milieu des années 1980, après le tournant de la rigueur. Cet électorat vote aujourd’hui pour le FN. C’est un fait auquel le parti socialiste a été incapable de remédier durablement. La gestion de l’actuel chef de l’État n’a rien arrangé. Entre 2002 et 2008, François Hollande avait dû gérer un parti en proie au doute et au bord de la dislocation. Il conserve de cette période un très mauvais souvenir, mais il en a tiré la conclusion que pour avoir une chance de faire un second quinquennat, il faut impérativement être, en 2017, dans la même situation que Jacques Chirac… le sortant.
Chez Les Républicains, particulièrement mal nommés hier soir, le malaise était visible. À l’évidence, le mot « colère », employé par tous les chefs de file, exprimait plus leur déception que la colère des Français. Après que Nicolas Sarkozy ait donné les éléments de langage qui, au fil de la soirée, devenaient ridicules tant ils étaient ânonnés, les membres du parti, désignés pour occuper les plateaux de télévision, avaient de plus en plus de mal à gérer leurs contradictions. Même Bruno Le Maire, d’habitude si sûr de lui et convaincant, semblait avoir honte de ce qu’il disait. Il ne pouvait pas ne pas avoir en tête ce qui pourrait se passer en 2017, au soir du premier tour, si le représentant des Républicains était opposé à Marine Le Pen. Seul Alain Juppé, de sa mairie de Bordeaux, s’exonéra des éléments de langage pour demander une rapide clarification de la ligne de son parti qui venait d’échouer… Le Body Language, ce fameux langage corporel, trahissait leur malaise. Les mots qu’ils prononçaient ne passaient plus. C’est le ton de leur voix, les mouvements de leur corps, les épaules basses et le débit de leurs discours que les téléspectateurs et auditeurs entendaient. Il faut dire que Les Républicains avaient déclaré un peu vite, après les élections municipales et départementales, qu’ils allaient reconquérir les régions. Au soir du premier tour, ce sont « les « Blondes » du FN qui débouchaient le champagne sans avoir à en faire des tonnes, tant le succès (au premier tour) était net et sans bavure. Portée par les événements qui lui donnent raison, Marine Le Pen constate, consultation électorale après consultation électorale, que son audience va maintenant bien au-delà de l’électorat ouvrier, jeune, un peu déboussolé et xénophobe, que Jean-Marie Le Pen avait su séduire en 2001 et que Nicolas Sarkozy avait su prendre à Jean-Marie Le Pen en 2007, mais n’a pas su conserver.
Comment en est-on arrivé là ? L’éditorial du Monde, daté du 8 décembre, persiste et signe dans son analyse : « Comment un parti réactionnaire et xénophobe, animé, quoi qu’il en dise, par une idéologie contraire aux valeurs de la République, et porteur de propositions aussi démagogiques que dangereuses, peut-il apparaître comme un recours à plus d’un électeur sur quatre ? Comment comprendre qu’il soit en mesure de présider, seul, aux destinées de près du quart de la population française, s’il l’emporte le 13 décembre dans le Nord, en Provence et dans l’Est ? […] Il ne fait pas de doute, en effet, que la responsabilité des partis qui gouvernent la France depuis des lustres est lourdement engagée. Ils en subissent, aujourd’hui, la sanction. Les uns et les autres ont échoué à sortir le pays du marasme où il se débat. Les uns et les autres n’ont pas su lui proposer un projet de société capable de lui redonner foi en ses atouts, en sa cohésion et en son avenir collectif. »
La République est à reconstruire. Vaste programme !
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