C’est l’image que Thierry Rolland aurait sans doute ressortie pour décrire le désarroi de l’équipe d’Espagne, championne du monde en titre, totalement dépassée par une équipe néerlandaise revancharde et bien organisée. L’invraisemblable, l’inimaginable est arrivé. Usés par plus de soixante matches dans l’année, les petits génies Andres Iniesta, Xavi, étaient méconnaissables en deuxième mi-temps. A la fin du match, le Néerlandais Arien Robben a ridiculisé les robustes défenseurs, Sergio Ramos et Piqué. Quand à Diego Costa, joueur vedette de l’Athlético de Madrid, il est sorti sous les sifflets des Brésiliens, furieux qu’il ait changé de nationalité, et des Espagnols qui ne l’ont pas reconnu. Le gardien de but, Iker Casillas, faisait peine à voir sur les gros plans qui lui étaient consacrés. Bousculé par Van Persie, au moment du troisième but, auteur d’un contrôle malheureux qui a offert le quatrième but aux Néerlandais, le gardien de la Roja a passé une des plus sales soirées de sa carrière. Hier matin, dans la presse, il a demandé pardon pour ce qui s’était passé sur la pelouse de l’Arena Fonte Nova de Salvador de Bahia.
Le sélectionneur de l’équipe des Pays-Bas, Van Gaal, ancien entraineur du Barça et prochain entraineur de Manchester United, était aux anges. Il avait concocté un plan qui a parfaitement réussi. Ses deux milieux, Jammaat et Blind, avaient pour mission de contenir les montées offensives des latéraux espagnols. Ils y sont parvenus, même si la méthode, souvent brutale, était assez limite. Les trois défenseurs centraux ont bloqué Diego Costa et annihilé la plupart des actions du milieu espagnol, considéré comme un des meilleurs du monde. Enfin, le trio Sneijder, Robben et Van Persie, en grande forme, rapide, percutant, a forcé la défense espagnole à reculer de plus en plus, au fur et à mesure que le temps réglementaire se terminait.
Qui aurait pu imaginer, à la mi-temps, que Van Gaal serait capable de donner une telle leçon tactique au légendaire sélectionneur espagnol ? Vicente Del Bosque a été d’une dignité exemplaire au coup de sifflet final en allant immédiatement réconforter les joueurs, titulaires comme remplaçants, les uns après les autres. Cette attitude était indispensable pour que l’équipe d’Espagne relève la tête, ne manque pas le prochain match contre le Chili et se qualifie pour la suite de la compétition.
Jamais, depuis le 13 juillet 1950, les Espagnols n’avaient concédé cinq buts en Coupe du monde. Quatre ans après leur finale perdue contre les Espagnols, les Néerlandais, ivres de revanche, ont réalisé l’inimaginable. Ils se positionnent maintenant comme un concurrent sérieux pour le titre. Les certitudes des Brésiliens auront été de courte durée. Ils auront besoin de l’aide de Dieu jusqu’à la fin de la compétition.
La foi qui anime un certain nombre de joueurs brésiliens est observée avec attention et étonnement. Déjà, lors des Coupes du monde 1994 et 2002, Dieu, selon eux, avait été pour beaucoup dans le triomphe du Brésil. La sortie des vestiaires, en se tenant pas l’épaule, comme des jeunes communiants, des joueurs qui prient les mains tendues vers le ciel, avant le début des matches, témoignent de la dimension religieuse de leur préparation. Le prosélytisme de Kaká, leur ancien joueur vedette avec ses tee-shirts « I belong to Jesus » n’est pas nouveau. Mais l’influence des évangéliques ne plait pas à tout le monde. La Fédération brésilienne tente de mettre fin à ces pratiques, mais n’y parvient pas. Luiz Felipe Scolari et son prédécesseur, Carlos Alberto Parreira, savent que le sujet est sensible, mais l’opinion et la cohésion de l’équipe passent avant tout. Quatre joueurs, dans le groupe des 23, sont visiblement habités : le gardien remplaçant Jefferson, le milieu de l’Inter, Milan Hernanes, David Luiz, la nouvelle recrue du PSG, Fred, l’ancien attaquant de l’OL, le capitaine de la Selecao et du PSG, Thiago Silva, qui pointe ses index vers le ciel quand il pénètre sur le terrain et le jeune prodige Neymar ne cachent pas leur foi. Ce dernier, fidèle de l’église pentecôtiste de São Vicente, dont le pasteur lui a prédit qu’il serait un des plus grands joueurs du monde alors qu’il n’avait que 14 ans, n’a aucune raison de ne pas croire à une telle prophétie.
Que dire de la victoire du Brésil sur la Croatie ?
José Maria Marin, le président de la Confédération brésilienne de football avait prévenu : » Si nous gagnons, nous irons tous au paradis. Si nous perdons, nous irons tous en enfer « . Il n’est pas étonnant après une telle déclaration que Thiago Silva, le capitaine de la Seleçao et du Paris-Saint-Germain, submergé par l’émotion, les yeux fermés, après avoir été embués de larmes, entonne de toutes ses forces « Hino Nacional Brasileiro », l’hymne brésilien, a cappella avec les 62 000 spectateurs de l’Arena Corinthians.
Autant dire les choses comme elles sont. Favori de «son» Mondial, le Brésil n’a pas totalement convaincu. Le deuxième but, qui a changé le cours de la rencontre, est très contestable. L’arbitre, M. Yuichi Nishimura, s’est laissé abuser. Il n’aurait jamais du siffler un penalty que Neymar s’est empressé de transformer. L’image de Fred, remerciant le Ciel…pour son aide, après avoir simulé une faute, était indécente. » J’ai envie de pleurer. Si on veut leur donner la Coupe autant la leur donner de suite « , s’est exclamé Dejan Lovren, le joueur croate, ancien Lyonnais, qui contestait la faute qui lui était reprochée.
Le règlement de la Fifa stipule qu’un penalty est accordé si un joueur « avec imprudence, témérité ou excès d’engagement », « charge un adversaire », le « bouscule », ou le « tient ». Le défenseur croate, Dejan Lovren, a effectivement posé une main sur l’épaule de Fred, l’attaquant brésilien, mais il ne le fait pas tomber. Il est difficile, dans ces conditions, de donner raison à l’arbitre qui, il est vrai, n’a qu’une fraction de seconde pour prendre sa décision.
Le Brésil a donc remporté sa première victoire. Deux joueurs brésiliens, Neymar et Oscar, brillants, ont répondu à l’attente d’un peuple plongé dans un climat de tension sociale extrême. Si l’équipe veut être championne du monde pour la sixième fois, elle devra se montrer moins fébrile, moins brouillonne, plus rigoureuse, dès sa prochaine rencontre contre le Mexique. Mais, peut-être que nous attendons trop de cette équipe qui n’a pas pour objectif de faire rêver, mais de tout gagner, par tous les moyens…
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