Pendant la conférence de presse de François Hollande, hier après midi, il y avait, dans le regard des ministres et secrétaires d’Etat, une certaine admiration pour celui qui, à leurs yeux, est le digne successeur de Pierre Mendès France, de Jacques Delors et de Michel Rocard. Comment ne pas penser, en effet, à Pierre Mendès France, le maître à penser de la gauche, en entendant les mêmes mots, les mêmes expressions. Détesté par les communistes du Front de gauche, les poujadistes du Front national et par l’aile la plus à droite du parti gaulliste, le chef de l’Etat s’est expliqué longuement, patiemment. Il a fait face avec bonhommie – et courage – devant un parterre de journalistes sceptiques par nature, certains même irrespectueux, dans leur attitude comme dans leur accoutrement, mais, dans l’ensemble, modérés dans leurs questions. Il est vrai qu’il est plus facile de ne pas se lever quand le chef de l’Etat entre dans la salle des fêtes, que de poser une question difficile.
Dans l’opposition, les réactions, insuffisamment préparées, ne furent pas à la hauteur de l’événement. Seul, François Bayrou, ne s’y est pas trompé, déclarant quelques minutes après la conférence de presse qu’il avait trouvé François Hollande « convaincant (…), à la hauteur de la fonction. Il a été précis, maîtrisé dans son expression. (…) Tout le monde voit bien l’impact de la réorientation qui est d’ores et déjà la ligne directrice de l’action du gouvernement. La politique de l’offre me réjouit », a-t-il dit.
Pourquoi ce rapprochement avec Pierre Mendès France ? Parce que les circonstances s’y prêtent. Encalminé dans la crise la plus grave depuis celle de 1929, une partie de la gauche, mais parfois aussi certains représentants de la droite modérée, évoquent Pierre Mendès-France, sa méthode, la sincérité de son discours de vérité, son éthique, son sens de l’intérêt général et sa capacité, peut-être et surtout, à fabriquer de la confiance. Son passage à l’Hôtel de Matignon fut pourtant de courte durée : sept mois et dix-sept jours seulement, de juin 1954 à février 1955, pendant lesquels son action et son discours suscitèrent autant d’exaspérations que d’espérances. Il émanait de cet homme – de cet homme d’Etat – une force, une détermination, une rigueur morale et politique qui font de lui aujourd’hui encore un symbole, un modèle. Cependant, ses qualités, et l’originalité de sa personne, rendent impossible toute comparaison. Pourquoi l’image de cet homme a-t-elle si bien résisté au temps qui passe ? Pour les raisons suivantes :
Le respect de son engagement de mettre fin à la guerre d’Indochine, sa détermination à donner son autonomie à la Tunisie et sa volonté d’entreprendre la modernisation de l’économie française, contribuèrent à forger une popularité que l’hebdomadaire « l’Express », fondé par Jean-Jacques Servan-Schreiber, se chargea d’amplifier. Pourtant, les communistes, très nombreux et puissants, au lendemain de la guerre, le détestaient pour son réformisme néolibéral. Accusé par une partie de la droite d’être un « bradeur d’empire », par les démocrates chrétiens d’avoir trahi la cause européenne en ne s’engageant pas suffisamment dans le débat sur la Communauté européenne de Défense, qui fut rejetée, sans parler des poujadistes lui en voulaient de s’être attaqué aux bouilleurs de cru, PMF, courageux, mais trop seul, fut renversé le 5 février 1955.
Pierre Mendès-France n’était pas un homme politique comme les autres, en ce sens qu’il s’élevait contre toute politique de facilité, contre toute équivoque. Son discours d’investiture fut un modèle du genre : « Les principaux problèmes français doivent être considérés comme un tout (…) leur solution est une. Il n’y a pas une maladie de nos finances et une autre de notre économie, une faiblesse de notre diplomatie et une crise de l’Union française, appelant chacune des remèdes distincts. Les causes sont les mêmes, les mesures à prendre forment un tout indivisible(… )La cause fondamentale des maux qui accablent le pays, c’est la multiplicité et le poids des tâches qu’il entend assumer à la fois(…) Or, l’événement a confirmé ce que la réflexion permettait de prévoir : on ne peut pas tout faire à la fois. Gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix ». L’idée-force de PMF était « qu’il n’y a pas de démocratie juste, s’il n’y a pas de justice économique. » Pour cet homme, marqué par l’inflation allemande qui avait porté Hitler au pouvoir, le redressement économique était une ardente obligation. Il était doté qu’une patience infinie et d’une force hors du commun pour se démontrer à lui-même qu’il avait raison.et qu’il était possible de convaincre chacun, en tête-à-tête, de se rallier à sa vérité. Tourné vers l’avenir, il cherchait l’appui des jeunes et, dans ce but, se faisait pédagogue. Certains disaient même que, prosélyte et adepte de la rigueur, il « évangélisait » et était capable, dans ce but, de rendre simple ce qui était compliqué. Pierre Mendès-France avait le souci constant de la cohérence. Il s’efforçait, en toutes circonstances, d’avoir une vue d’ensemble, une appréciation globale des problèmes et de leur complexité. C’était, à ses yeux, la condition nécessaire, sinon suffisante, pour que la France supporte la vérité.
Avec une méthode analogue, avec les mêmes mots et avec le même souci, François Hollande, sous la pression des événements, a expliqué les mesures drastiques qu’il faut prendre aujourd’hui parce qu’elles n’ont pas été prises au cours de ces dix dernières années, pour ne pas dire les vingt ou trente. Loin des « lendemains qui chantent », tant reprochés aux socialistes dans le passé, il a promis « du sang et des larmes », parlé vrai avec autorité et fait preuve d’une finesse d’esprit à laquelle les Français n’étaient plus habitués. A la différence de Pierre Mendès-France, le chef de l’Etat a du temps devant lui. En fera t-il un bon usage ? L’histoire le dira. N’est pas aujourd’hui, Pierre Mendès France qui veut !
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