Pendant la période des fêtes de fin d’année, j’ai dévoré le « Georges Pompidou-Lettres, notes et portraits/1928-1974 » édité par Robert Laffont que ma fille et mon gendre m’avaient offert.
Alain Pompidou, son fils, et le biographe Eric Roussel ont rassemblé et sélectionné, avec bonheur, une partie de la correspondance de l’ancien président de la République. Les nombreuses lettres à son plus vieil et très cher ami, Robert Pujol, sont particulièrement émouvantes et révélatrices de l’évolution de la personnalité de Georges Pompidou. Ces deux jeunes lycéens, à Albi, lisent énormément et s’intéressent à l’art. Déterminé, très bon élève, Georges Pompidou ne se prive cependant pas d’être « dilettante », d’aimer les femmes, particulièrement celles qui sont mariées, et d’afficher un certain cynisme. Aurait-il lu « Le rouge et le noir » au premier degré ? En khâgne à Louis-le-Grand, puis à « Normale » il milite dans des réseaux d’étudiants de gauche et n’hésite pas à faire le coup de poing contre l’extrême droite et Action française. Ses origines familiales, des instituteurs républicains de gauche, expliquent en partie cet engagement de jeunesse. Il admire Jaurès, mais déteste les communistes autant que l’extrême droite.
Dans ses lettres, apparaissent fréquemment un certain «nihilisme» et une «absence de but». Souvent dépressif, il déplore de n’avoir aucune certitude dans une période méprisable. Il confie à son ami qu’il a souvent le cafard et qu’il « ne vois dans l’avenir que souffrance et médiocrité ». «Quand je vais sur les Champs-Élysées, j’ai envie de saisir le revolver. Il est vrai que je n’en ai pas» ; «Je ne suis pas heureux» ; «Ah ! Vienne une révolution qui bouleversera tout.» Les lettres à René Brouillet, élève en khâgne à Louis-le-Grand, comme lui, sont différentes mais également très intéressantes. Elles sont d’autant plus précieuses, qu’elles sont inédites pour la plupart ; elles constituent un témoignage sur la personnalité du général de Gaulle, que Georges Pompidou appelle « Charles » dans ses notes. Ces lettres sont également passionnantes quand elles s’adressent à Malraux, Mauriac ou Robbe-Grillet. Elles confirment la grande culture de l’ancien président de la République, mais aussi sa simplicité et, comme chez les plupart des normaliens, le sens de la dérision. L’introduction du livre d’Alain Peyrefitte, « Rue d’Ulm » (chroniques de la vie normalienne – Fayard, 1963), est un pur chef d’œuvre.
Trois grands événements ont marqué l’existence de Georges Pompidou : sa rencontre, en 1933, avec celle qui devint la femme de sa vie ; sa rencontre, en 1944, avec de Gaulle, « l’homme de sa vie » ; et, en 1968, le sentiment d’être abandonné par l’homme « qu’il avait servi pendant vingt-quatre ans ». Sur ce point, l’auteur s’interroge : « Le Général a-t-il voulu voir s’il était capable de s’en sortir tout seul ? »
Certains textes peuvent surprendre. Georges Pompidou avait prévenu : « S’ils devaient être publiés un jour tels quels, il faut savoir qu’ils ont été écrits au courant de la plume et qu’il s’agit là d’un premier jet, qu’on ne me reproche donc pas les faiblesses de forme. Je revendique par contre la sincérité de mes jugements. On les trouvera sévères, mais n’est-ce pas leur intérêt? Chacun de mes personnages saura faire valoir ses qualités et n’a nul besoin de moi pour cela. Et puis, il faut bien le dire, quand on occupe la première place, on est surtout sensible aux lacunes et aux faiblesses des hommes qui vous aident et de ceux qui vous combattent ou aspirent à vous succéder.»
L’homme était direct et courageux. Lors de la prise de décision d’exécuter le général Jouhaud, Georges Pompidou raconte :« qu’à la suite de la condamnation de Salan à une peine de prison, je trouvai le Général des mauvais jours, le teint gris, l’œil féroce. Sa proie lui échappait. Il lui fallait une victime de substitution. Le garde des Sceaux s’époumonait à inventer des arguments juridiques que je ne discutais pas et même qui m’aidaient, mais qui ne pesaient pas lourd. Finalement, le Général me garda seul et me dit :- Je vais faire exécuter Jouhaud.- Mon Général, je ne puis m’y associer et je ne signerai pas le décret. – Dans ce cas, il faudra me remettre votre démission.- Bien mon Général. Notre dialogue s’arrêta là. Mais, à la stupeur du Général devant ma réponse, je compris que j’avais gagné. Il devait me dire plus tard: «Entre deux inconvénients, votre démission et la grâce de Jouhaud, j’ai choisi le moindre.» Sur le moment, il m’en a peut-être voulu. »
Dur, il l’est particulièrement dans ses portraits. Quand il dit de Chaban : « Il travaille peu, ne lit pas de papiers, en écrit moins encore, préférant discuter avec ses collaborateurs et s’en remet essentiellement à eux qu’il choisit bien, pour ce qui est des affaires publiques s’entend. Politiquement, il meurt de peur d’être classé à droite, il veut néanmoins plaire à tout le monde et être aimé. Assez naïvement, il s’étonne lui-même de ses succès » Et de François Mitterrand : « Il suffit de le voir pour se rendre compte qu’il n’est pas socialiste. Son goût de l’autorité, et je le crains de l’autorité sans limite, l’apparente davantage au type «fasciste», j’entends par là «autoritarisme de droite». Les roueries «florentines» que ces deux hommes avaient en commun devaient être fréquemment au menu des conversations qu’il avait avec le général de Gaulle. Sur Alain Poher, il n’est pas tendre : « j’ai rarement rencontré quelqu’un de plus dissimulé, de plus tortueux, de plus assoiffé d’honneurs et prêt à tout pour les obtenir. Son hypocrisie, durant l’intérim de 1969, était odieuse. »
Dans le portrait qu’il fait du général de Gaulle, il écrit : « La loi de l’Homme d’Etat est la dureté. « Soyez dur, Pompidou », me fut dit à maintes reprises. D’où cette impression d’homme dénué de sensibilité qu’il a donnée à beaucoup. »
On peut, à bon droit qualifier Georges Pompidou de conservateur – il n’aurait pas apprécié le « mariage pour tous » – mais il était aussi extrêmement moderne sur certains sujets. L’homme était complexe. Pudique, Georges Pompidou n’exprimait jamais ses états d’âme, mais c’était un homme de l’écrit qui a pris des notes, observé les comportements, écrit des portraits qui font de cet ouvrage un document exceptionnel que ses successeurs n’ont pas pu – ou pas voulu – laisser. Je conseille, vous l’avez compris, à ceux que l’histoire contemporaine passionne, de lire cet ouvrage. C’est un régal!
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