Dix-sept heures de négociations ont été nécessaires pour parvenir à un compromis qui permet aux chefs d’Etat et de gouvernement des dix-neuf pays de l’union monétaire de sauver la face, mais qui a toutes les chances de repousser à plus tard les décisions les plus importantes et de pousser un certain nombre de peuples au désespoir. Les Grecs, ce matin, étaient sous le choc. Ils comprennent qu’Alexis Tsipras a signé pour éviter la faillite de leur pays si les négociations n’aboutissaient pas, mais les exigences de la chancelière allemande, Angela Merkel, et de son ministre des finances Wolfgang Schäuble, ne passent pas, ni sur la forme, ni sur le fond. Le Parlement grec devra, toutes affaires cessantes, adopter avant le 15 juillet un certain nombre de décisions qui concernent notamment le changement de taux de la TVA et le régime des retraites.
Le programme proposé par Alexis Tsipras, que François Hollande jugeait » sérieux et crédible « , était considéré par l’Allemagne comme insuffisant pour » constituer la base d’un nouveau programme de trois ans du Mécanisme européen de stabilité « . Tel était le point de départ des conversations. Wolfgang Schaüble, le ministre des finances allemand, dans un « papier » intitulé » Commentaires sur les dernières propositions grecques « , considérait que dans ces propositions, il manquait » nombre de domaines de réformes primordiales « . Il exigeait donc la création au Luxembourg d’un fonds de privatisation de l’économie grecque afin d’être sûr que les recettes de privatisation servent exclusivement au remboursement des créanciers. Il exigeait aussi une sortie provisoire de la Grèce de la zone euro » au moins pour cinq ans « , le temps de restructurer sa dette. Matteo Renzi, le président du Conseil italien, avait immédiatement jugé que » trop c’est trop ».
Pourquoi ces exigences ? Parce que les Allemands n’ont aucune confiance dans la volonté grecque de mener à bien des privatisations. Pour rassurer le Bundestag les Allemands voudraient que cette structure rapporte exactement ce que les Européens verseraient dans le cadre d’un troisième plan d’aide à la Grèce. La Finlande aussi, qui n’est pourtant pas en position de donner des leçons, estimait que les propositions grecques étaient insuffisantes.
Un accord ? C’est beaucoup dire. En fait, le compromis ressemble davantage à une reddition complète pour le premier ministre grec, Alexis Tsipras. La Grèce est purement et simplement mise sous tutelle. Elle est encore dans la zone euro mais à quel prix et dans quelles conditions. Le plan devra être validé par un certain nombre de Parlements des pays membres de la zone euro avant que le Mécanisme européen de stabilité (MES) débloque le nouveau prêt. Or, il y a urgence. La Grèce doit faire face à un certain nombre de remboursements dans les jours qui viennent. Il faudra plusieurs jours avant que le pays perçoive la nouvelle aide de près de 80 milliards d’euros. Les jours qui viennent vont être très difficiles pour les banques grecques et pour les Grecs.
Il faut dire que personne n’a plus confiance en personne. Les Européens, qui s’endettent pour aider la Grèce, n’ont pas confiance. Les Grecs n’ont plus confiance dans l’Union européenne. Pascal Lamy a raison de dire que « le principal intérêt de cette crise, c’est qu’elle révèle des préférences, des attitudes, des cultures différentes. L’Europe, c’est de la solidarité contre de la discipline. Alors, les Allemands, et les pays du Nord en général, ce n’est pas beaucoup de solidarité et beaucoup de discipline. Les pays du Sud, c’est beaucoup de solidarité, et pas trop de discipline. L’Europe, c’est des compromis entre combien de discipline, de responsabilité, et de solidarité. »
L’Europe, et l’euro en particulier, n’est crédible que si ses Etats membres et ses peuples se font confiance. Les bras de fer, les promesses non tenues, les mensonges et le chantage permanent ne peuvent unir longtemps des peuples qui sont à bout de patience et commencent à douter de l’esprit européen. La confiance doit d’urgence être restaurée.
Autour de la table, par-delà les égoïsmes nationaux et les problèmes de politique intérieure, les dirigeants européens ont heureusement eu un instant de raison. Le Grexit, envisagé, aurait apporté la preuve que l’engagement dans l’euro n’est pas irréversible. Pour les marchés financiers, la boite de Pandore aurait été ouverte. A qui le tour ? : Le Portugal ? L’Espagne ? L’Italie ? La France ? Les conséquences auraient alors pu être considérables : hausse des taux d’intérêt, récession, déficit public en augmentation. Le risque de voir la zone euro se désagréger n’était pas nul.
Quid des conséquences depuis que ce matin, à 8h57, Donald Tusk, a annoncé l’accord, sur Twitter ? Alexis Tsipras s’est battu toute la nuit comme la chèvre de M. Seguin, pour ne pas donner l’impression de tout lâcher. « Nous avons obtenu que la renégociation de la dette soit sur la table. Le Grexit appartient au passé. Nous avons lutté dur pour obtenir la meilleure solution possible », a-t-il déclaré.
Les banques grecques sont en manque de liquidités, pour ne pas dire insolvables. La BCE va donc devoir intervenir en urgence. Son conseil des gouverneurs devait se réunir aujourd’hui pour décider s’il maintenait ou non son soutien et acceptait ou non un report d’échéance.
D’ici le 20 juillet, les Grecs doivent prendre des mesures pour « dépolitiser » l’administration publique en Grèce, avec l’aide de la commission. D’ici le 22 juillet, ils doivent réformer leur code de procédure civile, afin d’« accélérer de manière significative le processus judiciaire et réduire les coûts ».
Alexis Tsipras est parvenu à ce que soit retiré de l’accord les deux lignes qui évoquaient un Grexit « provisoire », et l’institution d’un fonds ad hoc logé au Luxembourg, pour gérer le produit des privatisations. Il a obtenu que ce fonds soit logé en Grèce, et qu’une partie du produit des privatisations, soit consacré, non pas au remboursement de la dette, mais à l’investissement.
En ce qui concerne la dette, Alexis Tsipras n’a pas obtenu satisfaction. Un rééchelonnement de la dette sera étudié ultérieurement si tout se passe bien par ailleurs.
Il faut dire les choses comme elles sont. La Grèce est quasiment mise sous tutelle comme aux plus tristes jours de 1943. Qui se souvient que dès 1941-1942, l’administration américaine avait prévu d’imposer aux pays de l’Axe : Italie, Allemagne et Japon, un statut de protectorat géré par un Allied Military Government of Occupied Territories (Amgot). Ce gouvernement militaire américain des territoires occupés abolissait toute souveraineté, y compris le droit de battre monnaie. Des officiers militaires furent formés à l’administration civile. Dès que les forces alliées occupaient les territoires libérés, ces officiers assuraient tous les aspects de l’administration civile, des transports à la justice en passant par la monnaie. C’est la Sicile qui fut le premier territoire administré par l’AMGOT. Ce fut ensuite l’Italie puis d’autres pays européens comme la Norvège, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique, le Danemark ou encore la France où l’AMGOT n’eut pas le temps de se mettre en place.
François Hollande, qui s’est beaucoup impliqué par conviction, et pour des raisons de politique intérieure, a obtenu ce qu’il souhaitait. « Rien n’aurait été pire que de vouloir humilier la Grèce. Elle demandait un programme, pas l’assistance ni la charité. Elle demandait les principes d’une solidarité » a-t-il déclaré ce matin. François Hollande, qui jouait gros également, a salué « les choix courageux » de Tsipras. « Les ministres des Finances seront chargés de définir les mesures d’accompagnement à court terme de la Grèce, le temps de sceller l’accord final » a ajouté le chef de l’Etat qui a ajouté : « l’accord permet à la Grèce de rester dans la zone euro, c’était l’objectif ».
Il n’en reste pas moins que l’Europe, contrairement aux apparences et aux déclarations des dirigeants politiques, sort de cette crise dans un triste état. La légitimité de l’Union européenne dans une grande partie des opinions nationales, est remise en question. Les dysfonctionnements de l’Union européenne éclatent au grand jour. Ce n’est pas nouveau, mais ce compromis pourrait être, si les chefs d’Etat et de gouvernement n’en prennent pas suffisamment conscience et surtout n’y remédient pas, le compromis de trop.
Alexis Tsipras, de formation marxiste, a joué gros et fait prendre des risques importants à son pays. Nul ne peut affirmer aujourd’hui qu’il entrera dans l’histoire comme un dirigeant politique qui, avec un réel soutien populaire, s’est révélé capable de reconstruire un pays en ruines économiquement et politiquement. Il aurait pu claquer la porte du sommet. Il ne l’a pas fait. Il a tenu le choc. Dominique de Villepin, en bon gaulliste qui se respecte, a salué les qualités de rassembleur du jeune leader grec. « L’Europe a la chance d’avoir un jeune Premier ministre grec et indépendant […] crédible aux yeux d’une large partie de la population grecque ». « La Grèce retrouve sa fierté ».
La presse de gauche considérait ce matin que Les Européens avaient imposé à Tsipras des conditions drastiques, humiliantes, bref, « une reddition sans condition ». Alexis Tsipras s’est montré digne, courageux, responsable. Pour le moment, au prix de reniements de ses convictions, il a sauvé son pays du Grexit. Pour combien de temps ? Rien ne permet d’affirmer ce soir que ce compromis tiendra ses promesses et que la Grèce parviendra à se rétablir.
Peut-on faire confiance au gouvernement grec pour qu’il fasse ce qu’il promet ? Nombreux sont ceux qui en doutent. Les opinions européennes ont l’impression que l’argent prêté tombe dans un tonneau des Danaïdes. La confiance, comme la croissance, ne se décrète pas, elle se mérite.
Depuis que l’Union européenne a découvert en 2004 que les comptes publics de la Grèce ne correspondaient pas aux chiffres qui lui avaient été présentés, la crédibilité du pays est sérieusement entamée. Les Grecs paient aujourd’hui, au prix fort, ce manque de confiance.
Ce ne sont pas les diplomates et hauts fonctionnaires du Trésor français dépêchés à Bruxelles pour aider à l’élaboration des nouvelles propositions grecques qui pouvaient suffire à restaurer cette confiance. La France, toutes proportions gardées, n’inspire pas toujours une confiance totale dans la présentation de ses mesures de redressement budgétaire.
Plaider, comme le fait la France, pour le maintien d’une « solidarité » à l’égard d’Athènes sans l’affranchir du « respect des règles européennes », est bien, mais sommes-nous les mieux placés pour tenir ce discours ? Certes, la méthode Hollande a fait ses preuves, mais encore faut-il ne pas en abuser.
Pour finir sur une note d’humour, saluons l’assurance avec laquelle Eric Woerth a affirmé ce matin sur BFM TV que « l’appel de Nicolas Sarkozy n’était pas resté lettre morte » et que « tous les appels sont importants. Un ancien président de la République française est important. Il souhaitait un compromis, c’est ce que nous allons avoir » !
Encore quelques compromis de cette nature et l’Europe pourrait bien imploser.
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