« L’accord conclu à Bruxelles sur un fonds de relance européen doté de 750 milliards d’euros pour soutenir les économies les plus durement touchées par la pandémie liée au coronavirus aurait pu être meilleur« , avec une plus grande proportion de subventions par rapport aux prêts, a déclaré mercredi Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE).
Il est exact que ce plan de relance européen n’est pas parfait. Il comporte des zones d’ombre, des ambiguïtés, des oublis, des anomalies. C’est un compromis à 27, autant dire qu’il a fallu concilier l’inconciliable. Les sujets qui fâchent étaient nombreux : Quantum du fonds de relance, principe des subventions, conditions d’obtention de ces subventions, rabais sur les contributions nationales, destination des fonds, modalités et calendrier de remboursement, préoccupation climatique, respect de l’État de droit, règles de répartition des fonds, montant du budget européen, budget de la PAC, des fonds de cohésion, des programmes Erasmus, de la recherche, du fonds de défense, et bien d’autres…
L’esprit européen y perd à chaque fois que les intérêts nationaux sont privilégiés. La santé, ce qui est un comble dans les circonstances présentes, est absente du plan de relance. Exit, ou presque, le programme EU4Health qu’avaient proposé le président Macron et la chancelière Merkel. Des 9,4 milliards d’euros qui figuraient dans la proposition initiale de Charles Michel, il ne reste plus que 1,67 milliard pour construire une pharmacie européenne (blouses, masques, médicaments…) en cas d’urgence, créer une équipe d’experts dédiée à prévenir les risques de pandémies, de faciliter la coopération hospitalière transfrontalière, de soutenir la recherche médicale, de réduire les inégalités dans l’accès aux soins, etc. La santé demeurera une compétence nationale. Le fonds de transition écologique a perdu 20 milliards d’euros pendant ces cinq jours de négociation. Le programme de recherche, également, perd 8,5 milliards d’euros sur sept ans (- 9,5 %). Le programme Erasmus que le Parlement européen voulait tripler est simplement stabilisé. Le fonds de défense que la Commission voulait porter à 11,5 milliards d’euros ne recevra que 7 milliards d’euros et la politique extérieure de l’UE voit son budget rogné de 15,481 milliards (- 13,6 %). Il y a des gagnants, mais il y a aussi des perdants…
La menace d’user du droit de véto a pesé en permanence sur les débats tendus pendant ces cinq jours…et nuits ! Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, n’a pas l’intention de quitter l’Union européenne et le marché unique, dont son pays est bénéficiaire à hauteur de 12 fois sa contribution au budget européen, mais il use, et abuse, de pouvoir que lui donne le droit de véto auquel il n’a finalement renoncé qu’en obtenant, en contrepartie, que son rabais progresse de 345 millions d’euros par an pour s’établir à 1,921 milliard d’euros par an. C’est la France qui en paiera la plus grosse part (environ 20 %). Il n’est pas faux de dire que la France sera responsable de 67,8 milliards des 390 milliards. « Contributeur net » au budget européen, la France le demeure à l’issue de cette négociation, avec une différence de -27,8 milliards (40 moins 67,8), soit -3,9 milliards par an.
Emmanuel Macron a expliqué que « l’argent, ça sert à ça. Un mécanisme de troc qui permet, à un moment donné, que deux personnes se construisent dans l’échange, voilà ». Le récit de ces cinq jours de négociation est un roman.
Le projet du plan de relance européen prévoit la possibilité de créer des ressources propres qui permettraient de rembourser tout ou partie de ces 390 milliards d’euros. La Commission devra faire des propositions. Trois ressources sont actuellement envisagées : une taxe carbone aux frontières ; une taxe sur les entreprises du numérique ; une proposition de nouvelle ressource fondée sur les quotas carbone. Il faut cependant rappeler qu’en matière de fiscalité, le droit européen prévoit que les décisions doivent être prises à l’unanimité. De nouveaux sommets européens, tout aussi difficiles, seront nécessaires pour négocier les conditions de remboursement de la dette créé par Plan de relance européen et/ou remettre en cause la règle de l’unanimité qui autorise les chantages de moins en moins supportables.
Pour financer son plan de relance, la Commission européenne ne devrait avoir aucune difficulté à placer ses obligations sur le marché. L’Union européenne est notée AAA par Moody’s et Fitch, la meilleure note de crédit existante. Le taux est attendu entre 0 % et -0,50 %. L’accord sur une mutualisation des ressources et des dépenses contribue déjà à renforcer la crédibilité de l’euro.
Les économistes ont, dans l’ensemble, bien accueilli le plan de relance qui constitue un pas important vers plus de solidarité et d’intégration européenne. Malheureusement, alors que le Brexit offrait l’occasion de mettre fin aux rabais dont le Royaume-Uni profitait, ces réductions brutes forfaitaires fondées sur le revenu national brut bénéficieront aux Pays-Bas, Danemark, Suède ainsi qu’à l’Allemagne et l’Autriche, pour plus de 53 milliards répartis sur sept ans.
L’autre question qui fâche, c’est le respect de l’État de droit et de l’indépendance de la justice. Elle n’est pas financière, mais tout aussi importante au regard des valeurs auxquelles l’Europe est attachée. La Pologne, un des pays qui dépendent le plus des subventions européennes, est sous le coup d’une procédure disciplinaire prévue par l’article 7 du traité de l’UE, qui, en théorie, pourrait aboutir à suspendre la participation d’un État membre aux décisions communautaires. Protégée par l’unanimité nécessaire, la Pologne ne semble pas impressionnée et continue à soumettre les juges au pouvoir politique et à marginaliser les rares médias encore indépendants. Le chef du gouvernement hongrois Viktor Orban, non plus n’est pas impressionné. « Nous avons remporté une énorme victoire ». Les médias pro gouvernementaux ont immédiatement salué la « victoire » du Premier ministre Viktor Orban lors du sommet.
Ce plan de relance, malgré ses défauts et ses insuffisances, constitue une rupture, un moment de bascule, au moment où l’Europe donnait l’impression de ne pas être capable de répondre aux espérances que sa création avait suscitées. Son montant est relativement modeste, même si Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, a raison de dire que « si l’on ajoute ce que font la BCE et les différents plans de relance nationaux à ce qui vient d’être décidé à Bruxelles, on arrive à environ 4 000 milliards ! C’est dire l’ampleur de la réponse européenne, supérieure à celle des États-Unis ». Il faudra sans doute le compléter avec l’aide du Mécanisme européen de stabilité (MES). Il aurait sans doute été plus simple à mettre en œuvre s’il n’avait concerné que la zone euro, mais, s’agissant d’une relance, les Allemands tenaient à ce qu’il concerne tous les États membres et le marché unique.
Il faudra cependant attendre un peu avant de savoir si ce plan de relance constitue véritablement un saut fédéral. La déclaration des Vingt-Sept souligne en effet son « caractère exceptionnel », précisant que « le pouvoir d’emprunter confié à la Commission est clairement limité en termes de volume, de durée et de portée ».
Le Parlement européen, qui voit certaines de ses ambitions, en matière de défense, d’innovation ou de santé, renvoyées à plus tard, n’est pas satisfait et a bien l’intention de le faire savoir. Dès jeudi, les eurodéputés ont adopté à une large majorité une résolution présentée conjointement par les cinq groupes parlementaires principaux, de la droite à l’extrême gauche. Cette résolution est très critique. Les députés regrettent que « la base juridique choisie pour instaurer l’instrument de relance ne donne pas de rôle formel aux membres élus du Parlement européen ». Elle est encore plus critique sur le budget. Le Parlement européen « n’accepte pas l’accord politique sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 dans sa forme actuelle » et se dit prêt à « entamer immédiatement des négociations constructives avec le Conseil ».
Les parlementaires ne sont pas pour autant prêts à provoquer une crise institutionnelle dont ils prendraient la responsabilité. Les eurodéputés n’ont qu’une faible marge de manœuvre sur les éléments financiers de l’accord. En revanche, ils sont déterminés à réclamer que le respect de l’État de droit soit plus clairement exprimé et conditionne l’attribution des fonds européens.
Pour l’heure, la conclusion revient à Emmanuel Macron : « On a fini par prendre une décision historique qui rend l’Europe plus forte ». « Je crois qu’on ne perçoit pas encore tout ce que cette décision-là porte. Et surtout je pense qu’on a évité que l’Europe ne prenne le chemin d’une forme d’austérité ou de déflation. »
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