Je n’avais pas l’intention de commenter les récents événements. Ils l’ont été abondamment et suffisamment. Mais, trop, c’est trop ! Les critiques, la violence des mots utilisés, l’inflation de réactions sur les réseaux sociaux et les commentaires de commentaires sur les chaînes d’info en continu et dans la presse deviennent insupportables. Si c’est ça le monde nouveau, les jeunes, qui vivront plus longtemps que leurs aînés, trouveront le temps long et ennuyeux.
Umberto Eco, à qui nous devons « Le Pendule de Foucault » (1988), « L’île du jour d’avant » (1994) et « Le Nom de la rose » (1980) n’aurait pas changé un mot à l’opinion sévère qu’il avait portée un jour sur l’effet que les réseaux sociaux avaient sur la société. « Les réseaux sociaux, avait-il dit, ont généré une invasion d’imbéciles qui donnent le droit de parler à des légions d’idiots qui auparavant ne parlaient qu’au bar après un verre de vin, sans nuire à la communauté et ont maintenant le même droit de parler qu’un Prix Nobel ». Décédé le 19 février 2016, l’écrivain est maintenant épargné. L’époque ne lui cassera plus la tête !
La critique, le débat, l’échange d’opinions, sont nécessaires, indispensables, dans une société de liberté à laquelle nous tenons par-dessus tout. Les excès, les caricatures, sont inévitables pour exprimer sa pensée. L’humour est vital. Pierre Desproges n’avait pas complètement tort le jour où il a dit : « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde ». Il faut pour cela avoir de l’esprit, une certaine hauteur de vue, de la dignité et un minimum de finesse.
C’est précisément ce qui a manqué à Laurent Wauquiez le 29 octobre, le jour où, au sujet du chef de l’État, il a déclaré au JDD : « Ce qui me frappe chez lui, c’est le désert de l’âme. Il n’est porté que par un seul projet : lui-même. Son projet, c’était de devenir Président. Contrairement à ce qui émanait d’un Pompidou, d’un Giscard, d’un Mitterrand, d’un Chirac, d’un Sarkozy ou même, à sa façon, de Hollande le Corrézien, je ne sens pas chez Macron un amour charnel pour la France. […] Dans sa façon de parler de la France comme de s’adresser aux Français, il n’y a pas d’amour ; il y a de la morgue. Celle de l’enfant capricieux et de l’adulte arrogant. On le voit à chaque fois que jaillit de lui une phrase qui cogne à la vitre. […] Il est sans doute le plus parisien des présidents qu’on n’ait jamais eus. Il est hanté par une haine de la province. C’est une vraie limite. »
Oser, même pour plaire à une poignée de fidèles, dénoncer le « désert de l’âme » du président de la République qu’il compare à Bel-Ami ou à Rastignac, ces personnages de roman ambitieux, c’est trahir la culture qu’il a reçue et surtout reconnaître qu’il est tout simplement jaloux, jaloux à en perdre la raison, du président qu’une majorité de Français s’est choisi.
Le chef de l’État a, paraît-il, une certaine admiration pour Laurent Wauquiez, le normalien, un des meilleurs de sa génération. Le dimanche 17 décembre, Laurent Delahousse lui a offert l’occasion de réagir à ces accusations. « Ça, c’est un commentaire – je lui laisse – mais qui n’apporte rien au pays. Ça dit quoi ? Ça dit la haine qu’il a pour votre serviteur. Bon, je la lui laisse. Qu’il vive avec, ça fera son quotidien. Mais ça ne fera pas manger les Français, ça ne fera pas progresser le pays. Ça ne dit rien, c’est pas un projet. » Il a ajouté : « J’entends toutes les voix qui émergent, les oppositions qui se font, les débats politiques qui se forgent. Les gens qui s’opposent pour insulter ou décréter n’ont aucun intérêt. C’est le commentaire politique, mais ça n’intéresse pas le président de la République ». Il lui fut immédiatement reproché de parler de lui à la troisième personne. On ne peut plus rien dire !
Laurent Wauquiez devrait prendre le temps de revoir « Ridicule », le film de Patrice Leconte sorti en 1996, pour soigner ses répliques.
Jean-Luc Mélenchon est plus malin. Dans un langage qui convient aux « oubliés », que Laurent Wauquiez appelle les « assistés », il incite les mécontents à « déferler » sur les Champs-Élysées et appelle les jeunes à taper « dans le tas, jusqu’à ce que le pays se réveille ». Les expressions qu’il emploie sont souvent contestables et excessives. Quand il dénonce « le coup d’État social » que constitue à ses yeux la réforme du Code du travail, il commet volontairement un non-sens. Sur TF1 récemment, il s’y prend autrement : « Attends bonhomme, c’est pas réglé ». C’est plus drôle que méchant ! Il sait aussi contrebalancer quand, à l’issue d’un entretien avec le président sur l’Europe à l’Élysée, le 21 novembre dernier, il déclare : « Emmanuel Macron « a bien des défauts mais il a la qualité de ne pas fuir le débat ».
Ces deux-là se cherchent depuis le début du quinquennat, mais Jean-Luc Mélenchon critique pour exister, pour être reconnu comme le principal opposant. Il sait aussi critiquer avec de l’esprit. Quand le président, utilise la métaphore des « premiers de cordée », le représentant de la France insoumise évoque les autres, « les premiers de corvées ». Il ne laisse rien passer. Quand Emmanuel Macron se laisse aller, provoque, quand il défend le travail indépendant, qui vaudrait mieux que « dealer », Jean-Luc Mélenchon relève que « C’est un propos méprisant de grand bourgeois qui ne connaît rien à la vie. »
Encore une fois, le débat, l’esprit critique, sont des trésors qu’il faut protéger. Ce qui agace, ce sont les dérapages. Sur les réseaux sociaux, Umberto Eco a dit ce qu’il en pensait. Il n’y a rien à ajouter. Quand ce sont les intellectuels, les dirigeants politiques, qui dérapent, c’est différent. Ils donnent le mauvais exemple. Plus encore que les anonymes, ils critiquent pour exister et parlent souvent avant d’avoir réfléchi. C’est le cas, à peu près chaque semaine, du philosophe Alain Finkielkraut qui a un besoin impérieux de parler, de parler, de parler, pour tenter d’expliquer sa pensée compliquée. C’est ainsi qu’il a fait le constat que seul le « peuple des petits blancs » avait participé à l’hommage rendu à Johnny Hallyday. Les « non-souchiens », selon lui, avaient « brillé par leur absence ». L’expression a choqué. Invité de la Radio de la communauté juive (RCJ) le 10 décembre, Alain Finkielkraut s’en est expliqué. « Le divertissement prend presque toute la place, mais il ne fait plus lien. » Il a précisé que l’expression « non-souchiens » n’est pas de lui, mais d’Houria Bouteldja, la leader des Indigènes de la République, qui parlait des souchiens pour désigner les Français de souche ». En effet, Houria Bouteldja avait employé l’expression « souchiens » en juin 2007, en ces termes dans l’émission Ce soir (ou jamais !) sur France 3 : « C’est le reste de la société occidentale, enfin de ce qu’on appelle, nous, les Souchiens – parce qu’il faut bien leur donner un nom -, les Blancs, à qui il faut inculquer l’histoire de l’esclavage, de la colonisation ».
Alain Finkielkraut a parfaitement le droit de dire ce qu’il pense. Simplement, dans la bouche d’Houria Bouteldja, l’expression n’avait pas choqué. Dans celle du philosophe, qui « insulte les siens », et rompt délibérément l’unanimisme de l’hommage rendu à Johnny Hallyday, les réseaux sociaux se déchaînent. Une grande majorité de Français aspirent à vivre en paix. Les déclarations quotidiennes du philosophe n’y contribuent pas.
Enfin, pour clore sur ce sujet avec un dernier exemple de critiques récentes, le facétieux et sympathique Antoine Griezmann, attaquant de l’Atlético de Madrid est, à son tour, victime « des légions d’idiots qui auparavant ne parlaient qu’au bar après un verre de vin », qui agaçaient tant Umberto Eco. Déguisé en basketteur noir américain, il a eu la naïveté de penser que poster sur Twitter, la photo amuserait ses très nombreux fans. En moins d’une heure, 5 000 « idiots » de service, qui, eux aussi, veulent exister, ont demandé sa tête, l’ont cloué au pilori médiatique. Dans un premier temps, l’international français de football, qui n’est pas raciste, a mis en ligne un message d’explication : « Calmos les amis, je suis fan des Harlem Globetrotters et de cette Belle Époque… C’est un hommage. » Cette explication n’a rien calmé. Il n’a pas eu d’autres solutions que de supprimer et de twitter : « Je reconnais que c’est maladroit de ma part. Si j’ai blessé certaines personnes je m’en excuse ».
Dans quel monde vivons-nous en cette fin d’année 2017 !
Je souhaite à mes fidèles lectrices et lecteurs un joyeux Noël et de très agréables fêtes de fin d’année.
Nul n’est besoin de critiquer pour être heureux !
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