1963 – 1973
« Face aux idées toutes faites sur l’immobilier…nous nous battons à coups de truelle. C’est plus constructif. Voilà 10 ans que nous bâtissons, sans pour cela faire d’histoires. Le Grand Pavois, Les Maisons de Cassan, La Daille, Les Mas de Guerrevieille…Nous vous épargnons une longue énumération, car nous en sommes à notre 65eme réalisation et ouvrons 18 nouveaux chantiers. Voilà 10 ans que nous construisons avec les meilleurs architectes, ingénieurs, entrepreneurs, paysagistes, décorateurs. Avec des gens qui connaissent et aiment autant que nous, un métier qui n’est pas toujours facile. Voilà 10 ans que nous travaillons tous beaucoup. Si nous avons mis une truelle sur notre signature, ce n’est pas par hasard. COGEDIM construit des valeurs d’avenir. »
C’est en ces termes, que Michel Mauer célébra, dans la presse, le dixième anniversaire de sa jeune société. Dix bougies bleues sur la couverture d’une plaquette, signée Roux, Seguela, Cayzac & Ass., accompagnaient ce « faire part ». Dix ans avaient suffi pour que Michel Mauer donne à COGEDIM, un style, des orientations claires et constitue une équipe de qualité de près de 200 personnes, capable de développer, comme sa raison sociale l’indiquait, un large champ d’action : logements, bureaux, locaux industriels et commerciaux, résidences principales et secondaires, location et vente, tant en région parisienne qu’en province. La plaquette que Jacques Seguela avait proposé à Michel Mauer précisait qu’en 10 ans « nous avons eu le temps de réfléchir à notre métier et d’en mesurer la gravité : les difficultés rencontrées nous ont imposé l’humilité, mais n’ont fait que renforcer notre volonté, constante depuis le début, de progrès et de qualité. »
« De tous les actes, le plus complet est celui de construire ». avait écrit Paul Valéry dans « Eupalinos ». Il parlait de la profession d’architecte, mais son propos s’applique encore plus à la promotion immobilière, une profession qui n’existait pas en 1921. Le promoteur a l’idée d’un programme de construction après avoir découvert et maîtrisé un terrain constructible. Il détermine les possibilités, définit le type de construction à édifier, la clientèle à laquelle il s’adresse. Il définit l’économie de l’opération, sa rentabilité, désigne un architecte, demande les autorisations administratives, consulte et désigne des entreprises, passe les marchés, étudie la concurrence, les besoins, la demande, recherche les financements et, le cas échéant, des partenaires. Il assure la gestion et l’administration du programme, organise sa commercialisation, coordonne tous les intervenants. C’est un ensemble de tâches complexes et diverses qui exige des connaissances juridiques, administratives, financières, techniques et commerciales très complètes, beaucoup de dynamisme et d’esprit d’entreprise.
Les grands noms de l’immobilier, dans les années soixante, étaient Jean-Claude Aaron, Michel Croizé, Daniel Féau, Jean Legall, François de Lestrade, André Manéra, Jean-Pierre Meunier (COGIFRANCE), Michel Savy (Anjou), Charles Tiffen, Pierre Zannettaci. Certains de ces noms sont devenus des raisons sociales. Ils réclamaient régulièrement que l’Etat fasse plus largement confiance à l’initiative privée, ce qui n’était pas dans la culture de la Fonction publique et que soit mis fin aux retards provoqués par de multiples commissions de contrôle de leur activité. L’un d’entre eux, Pierre de Lestrade, avait chiffré à 27 le nombre de ces commissions. Puisque les besoins étaient considérables et que la France était très en retard dans ce domaine par rapport à ses voisins, les promoteurs réclamaient avec insistance que l’Etat se consacrât à ce qui était de son ressort, c’est-à-dire fabriquer des terrains à bâtir. Ils voulaient être considérés comme des industriels et que les pouvoirs publics cessent de bloquer et de retarder des opérations prêtes à démarrer.
Chaque programme, même le plus modeste, a une histoire foncière, technique, administrative, commerciale, qui ne peut être comparée à aucune autre. C’est ce qui fait l’originalité et le charme de ce métier si attachant. Des opérations ont marqué leur époque, par leur situation, leur taille, leur originalité. Pendant cette première décennie, ce fut le cas du « Grand Pavois », dans le XVème arrondissement de Paris, du « Quartier de l’Horloge », sur la Piazza Beaubourg, face au Centre Pompidou, du « Manhattan, un des immeubles de bureaux du quartier de la Défense les plus connus, de « La Daille », un nouveau quartier de Val d’Isère, des « Mas de Guerrevieille, face au Golfe de Saint-Tropez. Ces programmes avaient en commun une certaine conception de l’art de construire, de la qualité de la vie et le souci de l’environnement et de l’intégration au site. L’histoire de chacun de ces programmes justifierait la rédaction d’un ouvrage particulier.
Depuis le 15 mars 1963, l’assujettissement de la construction à la TVA et à la taxation des profits qui n’existaient pas auparavant, avait rendu le marché immobilier atone. La fixation du prix de vente de la première tranche du « Grand Pavois », dans les premiers jours de mai 68, donna donc lieu à de vives discussions. Rue de Vouillé, à proximité, un programme concurrent se vendait difficilement à 2 200 francs le m2 ; il fallait donc tester le marché avec prudence. Il fut décidé de mettre en vente à 2 227 francs le m2 quelques jours avant les premières barricades dans Paris. COGEDIM proposait des studios à partir de 47 000 F, et des appartements de quatre pièces à 156 000F. Des efforts commerciaux sans précédent furent mis en œuvre. L’unité de vente et les appartements, officiellement décorés par Marie José Nat, Guy Bedos et Sophie Daumier, furent conçus pour recevoir de très nombreux clients et visiteurs. Bien malin qui pouvait dire, avant la mise en vente, ce que serait l’accueil réservé à une telle opération. L’architecture de Jean Fayeton et Michel Herbert inspira l’agence de publicité qui proposa comme nom du programme : « Le Grand Pavois ». L’immeuble de 16 étages comprenait 620 logements, des boutiques, un hypermarché, des salles de cinéma, divers services, laverie, garderie d’enfants etc.…Les opérations de cette taille, dans Paris, n’étaient pas nombreuses.
Le 16 mai, COGEDIM fit paraitre dans le Figaro, une pleine page conçue par l’agence Dupuy-Compton. Sous le dessin stylisé représentant le futur immeuble élancé comme un navire, figurait la mention : « Paris hisse le Grand Pavois » et en dessous : « un vaisseau ancré en plein XVème ». Dès que les premiers résultats furent connus, un journal, je ne sais plus lequel, titra avec beaucoup d’humour : « Le pavé a relancé la pierre ». L’affluence était telle qu’il fallut augmenter les prix plusieurs fois par jour avant de trouver un point d’équilibre entre l’offre et la demande. La visite des appartements modèles ne pouvait plus être personnalisée, elle se faisait par groupes, comme dans un musée. Le programme fut, en quelques jours, connu de tout Paris.
C’est avec le « Grand Pavois », les « Mas de Guerrevieille » et « La Daille » que la marque COGEDIM s’imposa à la fin des années soixante. Les grands projets : le « Quartier de l’Horloge », le « Manhattan », étaient encore en cours d’études. Les autres, déjà nombreux, étaient évidemment moins connus. Il y en avait à Chaville, à Thiais, à l’Isle-Adam, à Sèvres, à Neuilly, pour ce qui concerne les logements et, à l’angle de l’avenue de Wagram et de la rue de Prony, des bureaux. Le département immobilier de la BPPB, dirigé par René Durand, un homme aussi exigeant avec les autres qu’il l’était avec lui-même, débordait d’activité : le Port de Beaulieu-sur-Mer, le Parking Boucicaut, devant le magasin du « Bon Marché », la création de SOFITEL, de SOFICOMI, le développement de la RIVP C’est aussi à cette date que Jacques de Fouchier succéda à Jean Reyre à la présidence de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Brun, râblé, souriant, optimiste, inspecteur des finances de formation, capitaine sous les ordres du général Juin pendant la guerre, Jacques de Fouchier était un homme entreprenant qui avait fondé et présidé la Compagnie Bancaire. Dans le même mouvement, René Durand quitta La Banque de Paris et des Pays-Bas pour coiffer l’ensemble des filiales immobilières et hôtelières de la Compagnie Bancaire tout en conservant la présidence de COGEDIM. Yves Coudry, son adjoint, X-ponts également, lui succéda à la direction immobilière de la BPPB.
Pendant ce temps, la rénovation de l’îlot Saint-Martin, dans le quartier des Halles se poursuivait laborieusement. Il s’agissait de créer un nouveau quartier avec ses rues piétonnes, ses placettes, son animation ; 700 logements, 23 000 m2 de commerces, 1 200 emplacements de parking, une crèche, une école maternelle, un dispensaire. En quelques mots, l’histoire de cette opération est la suivante : Sur 2,5 hectares parmi les plus insalubres de Paris, désignés sous le nom d’îlots 8 et 9 dans les documents d’urbanisme de la Capitale, 600 foyers de déshérités, de petits commerçants et artisans, sans parler des squatters, vivaient là, entre la rue Rambuteau, la rue du Grenier Saint-Lazare et la rue Saint-Martin. Ils s’étaient constitués en association depuis 1967 sous la houlette de Maurice Wainer, un redoutable négociateur. Encouragé par le préfet Maurice Doublet et la ville de Paris à « se marier avec un promoteur » pour rénover le quartier, cette association, après avoir hésité entre Jean-Claude Aaron et Michel Mauer, fit le choix de la COGEDIM pour sa solidité financière, la qualité de ses interlocuteurs, et la réputation de l’architecte, le Grand Prix de Rome, Jean-Claude Bernard.
Après de très longues et difficiles négociations, le programme arrêté fut le suivant : 19 500 m2 d’HLM, 6 000m2 de logements primés, 13 500m2 de logements dits de « confort », 19 500m2 de logements dits de « grand confort », 27 000 m2 de commerces, et 7 700 m2 de bureaux. Le Conseil de Paris approuva ce programme le 19 octobre 1970, en soulignant bien que la population devait être réinstallée sur place, l’activité non interrompue et la vocation commerciale et artisanale confirmée. Il restait à libérer les sols et à réaliser une opération « à tiroir » en trois tranches. Ce n’était pas une mince affaire, mais en « récupérant » Jean-François Leroux, un des plus brillants cadres de la SACI, Michel Mauer eut la main heureuse.
A la fin de l’année 1972, COGEDIM avait déjà construit une marque, constitué une équipe de premier plan et, en partie, rattrapé son retard par rapport à toutes les entreprises constituées avant elle. L’entreprise, en plein développement, commençait à être à l’étroit au 12 de la rue Roquépine où elle était installée depuis la fin des années 60.
L’année 1973 est restée dans toutes les mémoires. La guerre du Kippour, déclenchée le 6 octobre par l’Egypte et la Syrie, fût suivie de la décision des pays producteurs de pétrole, l’OPEP, de doubler, puis quadrupler, le prix du pétrole brut vendu par les pays du Golfe Persique. Dorénavant, le cartel ne serait plus constitué des grandes compagnies pétrolières, mais réunirait les Etats pétroliers. C’était la fin du pétrole bon marché alors que la société de consommation se « droguait » à l’inflation en générale et à l’inflation immobilière, en particulier. En un mot, la période était un peu « folle ». Ceux qui avaient acheté au « Grand Pavois », dans le XVème, à 2 200 francs le m2, en 1968, revendaient déjà à plus de 4 000 francs le m2.
L’année 1973 se termina donc dans l’euphorie. Rien ne semblait pouvoir freiner l’accroissement du volume des ventes alors que la hausse des prix de vente, était de l’ordre de 15% l’an, les mensualités de remboursement des crédits avaient augmenté de près de 25%, alors que les nouvelles mesures de taxation des plus-values et de renforcement de l’encadrement du crédit auraient dû être de nature à décourager les acheteurs qui n’avaient pas encore conscience de ce que le premier « choc pétrolier » allait avoir comme conséquences. Pour contribuer à augmenter l’offre, la décision fut prise d’augmenter le coefficient d’occupation au sol, le COS, à Paris. Cette décision provoqua des dépôts de permis de construire de plus de 30 000 logements.
A suivre dans les prochains jours
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