Aux abris !


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Il y a quelques jours – une éternité – je me hasardais, ce n’était pas encore dans l’air du temps, à comparer la pandémie à une situation de guerre prévue, d’ailleurs, par les plans de défense civile. Les guerres ont la particularité de révéler les caractères et l’esprit de défense des peuples.

La cover du Monde du 14 mars 2020

Il faut dire qu’en quelques heures la requalification en « pandémie » de l’épidémie de coronavirus annoncée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a provoqué un mouvement de panique générale. La décision, sans concertation, du Président Donald Trump, depuis le Bureau ovale de la Maison-Blanche, de « suspendre tous les voyages en provenance d’Europe vers les États-Unis pour les 30 prochains jours », a accentué encore la dramatisation de la situation. Les marchés ont qualifié le Covid19 de « cygne noir », avant de s’effondrer. Les déclarations se sont multipliées. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a annoncé que l’Union européenne allait mettre en place un fonds de 37 milliards d’euros dans le cadre des mesures visant à limiter l’impact de la pandémie de coronavirus sur les économies des pays membres. Elle a précisé que l’UE ferait preuve de souplesse en matière d’application des règles communautaires sur les déficits budgétaires et les aides d’État et allait apporter sa garantie à huit milliards d’euros de prêts destinés à 100.000 entreprises européennes.

L’Allemagne ne pouvait pas faire moins. Elle annonce le plus grand plan d’aide aux entreprises de son histoire d’après-guerre, avec des prêts « sans limites » d’une valeur d’au moins 550 milliards d’euros pour commencer. Les USA font monter les enchères avec 1 300 milliards.

C’est à coups de milliards, de dizaines, de centaines de milliards que le Covid19 sera combattu. Des dollars, des euros, qui n’existent pas, qu’il faudra fabriquer.

Tous les chefs d’État sont confrontés, un jour ou l’autre, à une crise de grande ampleur. Dans un passé récent, Nicolas Sarkozy, avec la crise de 2008, et François Hollande, avec les attentats terroristes, ont vu leurs mandats bouleversés. Emmanuel Macron, à son tour, traverse cette épreuve. Son intervention, hier soir, retransmise par les principales chaînes de télévision, a été suivie par 22,76 millions de Français. Ce n’est pas un record, mais c’est une audience qui témoigne de l’inquiétude et de l’attente de la population.

L’exercice est toujours périlleux. Mobiliser, face à une situation qui réclame de la solidarité et un fort esprit civique, mais aussi rassurer sans créer un excès d’inquiétude, est un art difficile. La forme est aussi importante que le fond. Je trouve qu’Emmanuel Macron a trouvé le ton juste, contrairement à Donald Trump et Boris Johnson qui se contredisent et bafouillent leurs messages populistes (« Keep calm and wash your hands » (restez calmes et lavez-vous les mains »).

le siège de l’OMS

« ​Quoi qu’il en coûte ​​ » et « ​la santé n’a pas de prix ​ », ne sont que des mots, mais ce sont des mots qui constituent un engagement fort qui va modifier considérablement le quinquennat en cours. Le retour de « l’État-providence » et l’annonce de « décisions de rupture », ont immédiatement été salués par une partie de l’opposition qui reproche régulièrement au chef de l’État, son excès de libéralisme.

Confronté à la « plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle », le chef de l’État est apparu grave et métamorphosé par les événements. Les Français avaient en face d’eux, un autre homme. Un homme qui découvre que la pandémie de Covid19 constitue une sorte de Deus ex machina, c’est-à-dire un élément extérieur, inattendu, susceptible de dénouer une situation qu’il ne maîtrisait pas. Historiquement et littéralement, cette locution latine signifie « un dieu [apparu] au moyen d’une machine ». Elle était employée dans le théâtre classique, quand un personnage apparaissait sur la scène, au bout d’une corde, commandée par une « machine ». Ce personnage dénouait l’action qui semblait sans issue. Molière l’emploie dans la dernière réplique de Tartuffe et dans « Les Femmes savantes » avec l’arrivée inopinée d’un sauveur. Ce n’est pas le cas, mais la pandémie rebat les cartes et offre une ouverture politique qui, sous prétexte « d’union sacrée », autorise un virage à 180° sur le plan budgétaire.

Certes, il faut relativiser les annonces de circonstances. En 2008, Nicolas Sarkozy avait dit : « Cette crise, sans équivalent depuis les années trente, marque la fin d’un monde […] les dumpings, les délocalisations, les dérives de la finance globale, les risques écologiques […] Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir ». On sait ce qu’il en fut. La mondialisation sans régulation a poursuivi son chemin ; les bourses de valeurs ont augmenté de 300 % et le capitalisme pensait avoir devant lui 1 000 ans de beaux jours. Les discours n’engagent que ceux qui les écoutent !

Le chef de l’Etat le 13 mars 2020

La lutte contre le Covid19 prend, chaque jour un peu plus, le caractère d’une sorte de guerre mondiale qui, sous réserve de sa durée, pourrait modifier profondément la mondialisation déjà contestée et avoir des conséquences géopolitiques aussi surprenantes qu’inquiétantes. Les frontières, les murs, les barrières, ne sont jamais sans conséquences. Des guerres annexes, sur le pétrole, le commerce, feront beaucoup de dégâts collatéraux, pour parler comme les militaires. Les nations pourraient se réveiller plus désunies que jamais avec les risques que comporte cette situation. Le multilatéralisme, plus que jamais nécessaire pour face à cette pandémie, pourrait ne jamais se remettre de cette triste période. Où sont le G7, le G 20, présidés pour le premier, par Donald Trump et pour le second, par Mohammed ben Salmane, deux grands partisans de la coopération internationale ? Les échanges d’amabilité entre les États-Unis et la Chine, qui s’accusent mutuellement d’être à l’origine de la propagation du virus, des États-Unis et de l’Union européenne, que Donald Trump veut affaiblir par tous les moyens, des États-Unis et de la Russie, sur le pétrole, ne fabriquent pas de l’optimisme.

L’Europe ne donne pas, non plus, le bon exemple. Déjà impuissante, elle se montre désunie au plus mauvais moment. Nous en reparlerons.

Le concept d’autonomie stratégique était jusque-là assez abstrait. Il concernait surtout la défense et la sécurité. De sécurité, il est tout d’un coup question avec un cas pratique : le Covid19. C’est l’occasion, pour le chef de l’État, de constater qu’un certain nombre de biens et de services doivent être « placés en dehors des lois du marché » et que « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie […] à d’autres est une folie ». Les Français qui, depuis des mois, ne peuvent parfois se procurer des médicaments fabriqués en Chine ou en Inde, avaient déjà conscience que la souveraineté, l’autonomie stratégique, ne sont pas seulement des concepts.

L’heure est grave.

Quand le moment sera venu de dresser le bilan de cette crise qui prend la forme d’une guerre contre un ennemi invisible, l’addition sera salée ! Le jour d’après sera probablement différent des autres.


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