« Après moi, le déluge » ! (1)


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Le 5 avril dernier, le jour de Pâques, la chaine TCM avait programmé la diffusion de « La Passion du Christ » (The Passion of the Christ), le film américain de Mel Gibson. Je n’avais pas revu ce film depuis sa sortie en salle le mercredi des Cendres de l’année 2004, jour du début du Carême. Il est très violent. Le film relate les douze dernières heures de la vie de Jésus de Nazareth, la Passion. Tourné dans les langues parlées en Judée au premier siècle, le film, pourtant très controversé, connut un succès mondial. Pour être critiqué, il le fut. Pour le réalisme de la violence qu’il expose en permanence, mais aussi pour l’antisémitisme dont Mel Gibson ne cessa pourtant de se défendre. La polémique lui coûta sans doute un Oscar alors qu’il était nommé pour trois d’entre eux. Le film montre Jésus au mont des Oliviers, où il est allé prier après avoir partagé un dernier repas avec ses apôtres. Il montre Jésus résistant aux tentations de Satan, capturé par les fonctionnaires juifs, flagellé après sa dénonciation par Judas, son jugement par Ponce Pilate et l’entretien avec Hérode qui aboutit à sa condamnation à mort. La montée de Jésus au Calvaire et sa crucifixion sont effectivement d’une violence insupportable et qui pouvait choquer. Inspiré, disait-on, par une branche du Catholicisme qui réfute les décrets émanant du concile Vatican II, le film de Mel Gibson aurait, au montage, été amputé, pour calmer la polémique, d’un passage dans lequel il était dit que le sang du Christ était resté sur les juifs et leurs descendants.le Christ

Ce film très violent, malgré les mises en garde, suscita beaucoup de curiosité. L’emploi de langues mortes et l’absence de stars ne découragèrent pas les très nombreux spectateurs dans le monde entier y compris dans le monde arabe. Après le 11 septembre, les esprits éprouvaient le besoin de réfléchir à la notion de sacrifice ; et notamment à celui que fit le Christ sur la croix. Le célèbre mot d’Ernest Renan était souvent cité: Jésus,  » cette sublime personne qui, chaque jour, préside encore au destin du monde ».

La violence suscita aussi la curiosité parce qu’elle fait peur. C’est un ennemi redoutable, constant, consubstantiel de la nature, de l’histoire du monde. Tout est violence ; les couleurs peuvent être violentes ; l’orchidée tue ce dont elle vit ; la musique est parfois violente ; le terroriste tue pour attirer l’attention sur lui et se venger d’un monde qui le nie. L’acte gratuit fait peur. C’est l’histoire du héros de Camus, bien nommé l’ « Etranger », qui a tué pour « rien ». Ce « rien » pourtant le révélera à lui-même, après coup, dans ses possibilités les plus profondes. L’Etranger était en attente de quelque chose qu’il ne savait pas. Brusquement, un jour d’été, le monde s’est montré avec toute la force de la négation. Il s’est montré dans un visage. Et devant ce visage l’Etranger s’absente de lui-même. Devenir cette négation. Tel est son désir. Un geste y suffit. Un geste de mort. L’occasion de violence est vécue comme une cassure, une rupture du quotidien. La violence est alors justifiée à l’égard des « autres », pour peu qu’ils se présentent comme une proie ou une menace. L’actualité offre chaque jour l’occasion de vérifier ce truisme : la violence est là, toujours présente, redoutable et redoutée.Capture d’écran (8)

Un intellectuel, philosophe, membre de l’Académie française, s’interroge depuis de nombreuses années sur la violence. Professeur émérite de littérature comparée à l’université de Stanford et à l’université Duke aux Etats-Unis, René Girard a petit à petit fondé une anthropologie de la violence et du religieux qu’il dénomme la « théorie mimétique ». Dans son livre « Achever Clausewitz », publié en septembre 2007 par Carnetsnord ( ISBN 978-2-35536-002-2 22€), René Girard aborde l’œuvre du stratège prussien, Carl Von Clausewitz (1780-1831) auteur du célèbre axiome :  » La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. » La  » montée aux extrêmes « , ce mécanisme implacable, qui est une constante de l’histoire, fait dire à René Girard que « l’histoire s’accélère   et que l’apocalypse a commencé ». La violence des hommes, échappant à tout contrôle, menace aujourd’hui la planète entière.

L’académicien considère que « les guerres mondiales ont marqué une étape dans la montée aux extrêmes et que le 11 septembre 2001 a été le début d’une nouvelle phase ». L’ère des guerres est finie : désormais, la guerre est partout. Nous sommes entrés dans l’ère du passage à l’acte universel. Il n’y a plus de politique intelligente. Nous sommes près de la fin. Dans le monde actuel, beaucoup de choses correspondent au climat des grands textes apocalyptiques du Nouveau Testament. »achever clausswitz

Ecrire aujourd’hui que le terrorisme fait monter le niveau de la violence est un truisme. Cependant, l’islamisme n’est pas le seul symptôme de cette montée de la violence qui fait chaque jour l’actualité et prend souvent l’apparence d’une revanche des pauvres contre les nantis, les Occidentaux. L’islamisme veut être perçu comme une réponse à l’oppression du Tiers-Monde. A notre porte, mis en œuvre par des concitoyens, le terrorisme apparait d’autant plus inquiétant qu’il est imprévisible et incompréhensible dans la mesure où les terroristes sont indéchiffrables. Quelles sont réellement leurs motivations ? Quelle est la part de l’islam, revisité, dans ces motivations et dans la volonté d’être capable de mourir pour la cause ? Qui aurait imaginé, après la chute du Mur de Berlin, que vingt-cinq ans plus tard, nous serions confrontés à cette situation, à tant d’imprévus, à ce que soit ainsi exploitées nos failles de sécurité. Les livres blanc successifs sur la défense et la sécurité prennent en compte ces menaces, mais ne répondent pas à ces questions. Il est pourtant essentiel de comprendre pour répondre au défi terroriste. Les analystes considèrent que les terroristes sont des mouvements isolés, minoritaires. Notre rationalisme ne nous permet pas de comprendre. René Girard recommande que nous changions nos modes de pensée. Il écrit « qu’il nous faut entrer dans une pensée du temps de la bataille de Poitiers et les Croisades beaucoup plus proche de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. Les terroristes pensent que le monde occidental doit-être islamisé le plus vite possible.

Sur la dimension religieuse, il faut, selon le professeur, « avoir la lucidité de prendre en compte ce qui est présent dans l’islam depuis toujours. Il s’agit peut-être d’une révolution comme l’a été le communisme à qui il manquait précisément la dimension religieuse. Qui aurait imaginé, il y a vingt-cinq ans, que l’islam occuperait une telle place dans les menaces, les risques…et les esprits ? Personne ! »

L’Europe, comme tout au long de son histoire, est vulnérable. Peut-on, avec la montée de la violence et la pression migratoire, assister à la fin de l’Europe telle que nous la connaissons ? Certains le pensent. Les textes apocalyptiques, selon, l’académicien, trouveraient leur réalisation avec les deux guerres mondiales, le nucléaire militaire, les génocides, la catastrophe écologique que l’on nous prédit et la violence qui se déchaine à l’échelle de la planète.Daech

L’islam a déjà montré son esprit conquérant et n’a pas de limites pour parvenir à son but. Son rapport à la violence est consubstantiel. C’est ce que notre civilisation ne comprend pas et qui inquiété tant. L’aspect sacrificiel, vouloir mourir pour que l’autre meure, n’a aucun sens pour un occidental. Nous n’avons pas de références. C’est une situation inédite, un terrorisme nouveau même en terre musulmane, qui rend la technologie inopérante. L’islam traditionnel ne comprend pas plus que nous.

Dans ces conditions, condamner ne sert à rien. Ce n’est que de la communication destinée à rassurer. La stratégie des terroristes, car c’est une stratégie, consiste à affirmer qu’avec le temps, ils triompheront. C’est l’aspect sectaire du problème qui nous est posé. Cette « montée aux extrêmes » désarçonne les analystes qui ne peuvent que constater, comme le pense René Girard, que nous assistons à une accélération de l’histoire, à une mutation du totalitarisme qui échappe à la raison, contrairement à la guerre froide, et à un réchauffement de la planète qui, avec des déplacements de populations, va sans doute avoir des conséquences extrêmement graves. René Girard affirme qu’il s’agirait d’une montée vers l’apocalypse dont personne ne veut vraiment prendre conscience. Il faut, dit-il, réveiller les consciences endormies. Vouloir rassurer, c’est toujours contribuer au pire. »

Le monde irait de plus en plus vite vers les extrêmes, mais il ne faut pas, pour autant, être pessimiste. Le pire n’est jamais certain.

Après nous, le déluge !

(1) Propos prêté à Louis XV

 

 

 

 

 

 

 


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