Pour tenter d’échapper un peu à la politique, enfin, pas tout à fait, je conseille vivement la lecture du dernier livre d’Hugo Boris : « Trois grands fauves ». Dans une période où le président Obama hésite, alors que la « ligne rouge » a été franchie depuis longtemps en Syrie, où le chef de l’Etat français a bien du mal à choisir, à faire de la peine, à trancher, parce que tel est son caractère, où l’Iran progresse tranquillement dans la voie du nucléaire, je conseille la lecture de ce petit chef-d’œuvre. Sa sortie en librairie, dans le courant de la semaine dernière, a été précédée de commentaires plus élogieux les uns que les autres sur le net. En quatrième de couverture, le lecteur est prévenu ; il s’agit d’un portrait de trois prédateurs : Danton, Hugo et Churchill. C’est un roman. Les « Trois héros qui ont en commun d’avoir été confrontés très tôt à la mort, d’avoir survécu et d’y avoir puisé une force dévorante. Trois survivants qui ont opposé leur monstruosité à la faucheuse.
« Trois grands fauves », ou comment déjouer la mort en trois leçons.
Trois portraits fragmentés et subjectifs, raccourcis saisissants d’une vérité qui échappe aux historiens. Une filiation imaginaire se tisse entre les personnages, dessinant une figure nouvelle. Qu’est – ce qu’un grand homme ? Où est son exception ? »
Ce ne sont pas des biographies. Hugo Boris s’est livré à un travail de synthèse. Qu’ont en commun ces trois hommes au caractère exceptionnellement bien trempé ? La laideur de Danton explique-t-elle sont inimaginable caractère, la puissance qu’il développe ? A la tribune, il est transfiguré : « « Les applaudissements l’enivrent (…) Si lui n’a pas de notes, c’est qu’il cannibalise sans trembler le plaidoyer de l’orateur précédent, s’en sert comme d’un brouillon pour son propre discours. Il ne supporte pas ces députés qui ne savent pas dire deux paroles de suite. Alors il prend la tribune et s’approprie leur propos, les agrège à son univers, répète des pans entiers de leurs exposés en y injectant le souffle qui leur manquait. Sur l’échafaud, il ne peut imaginer qu’il va mourir ; ce n’est pas possible, il va y échapper ».
Comment comprendre « l’art d’être grand-père » du grand Hugo, qui, comme François Mitterrand, croyait aux forces de l’esprit, surtout après le destin tragique de ses enfant, et s’adonnait étrangement au spiritisme ? Le sous-titre : « Où l’on apprend que Danton s’est trompé puisqu’il suffit de manger ses enfants pour gagner en longévité » est terrible. Quelle conception de l’existence avait cet incorrigible séducteur ?
Quant à Churchill, sa rencontre manquée avec Hitler et son séjour dans la cave de l’hôtel de Paris à Monte Carlo en octobre 1945, sont tout simplement de pures merveilles de littérature. Quel style et quelle imagination !
Hugo Boris démontre que les vies de ces trois hommes se croisent. Il imagine Hugo se comparant à Danton, Churchill, à la fin de l’ouvrage demande au chef caviste de l’hôtel de Paris : « Appelez Paris. Il y a une statue de Danton, carrefour de l’Odéon. Elle est en bronze. Demandez-leur si les nahrzees… Le garçon ne sait pas bien ce que cela veut dire, « appelez Paris », mais puisque la place de l’Odéon est située sur le boulevard Saint-Germain, il a l’idée de contacter le Lutetia, le seul palace de la rive gauche qu’il connaisse, pour poser la question.
Au bout de quelques minutes, il revient.
– Je suis désolé, monsieur, tous les bronzes de Paris ont été fondus.
– Tant pis
– Tous sauf deux, monsieur.
Churchill lève les yeux vers le jeune homme, incrédule.
– La statue de Danton est encore debout, monsieur. »
A l’évidence, un lien unit la destinée de ces trois fauves, de ces grands hommes qui ont en commun une certaine humanité.
Excellent livre.
Hugo Boris a trente-trois ans. Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Bordeaux et de l’Ecole nationale supérieur Louis-Lumière. Il est, notamment, l’auteur de : Le Baiser dans la nuque, Belfond, 2005 (lauréat du prix Emmanuel-Roblès) ; La Délégation norvégienne, Belfond, 2007 ( lauréat du premier prix littéraire des Hebdos en région) ; Je n’ai pas dansé depuis longtemps, Belfond, 2010 ( lauréat du prix Amerigo Vespucci 2010).
Hugo Boris a également réalisé une dizaine de films courts et a travaillé comme assistant réalisateur sur des documentaires.
Trois grands fauves, éd. Belfond, Paris, 2013 (ISBN 978-2714454447) 18€
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