L’alternance libère la parole et stimule l’écriture. C’est très bien ; c’est même indispensable pour avoir une petite idée de ce qu’est le pouvoir, derrière le rideau ! C’est encore mieux quand ces témoignages sont exprimés avec talent. Bruno Le Maire vient, à juste titre de remporter le prix du livre politique 2013 pour « Jours de pouvoir », son dernier ouvrage auquel j’ai récemment consacré un article. Pour l’obtention de ce prix, Marie de Gandt figurait aussi parmi les favoris. Normalienne, professeur de littérature comparée à l’université de Bordeaux, elle dévoile, avec talent et beaucoup d’esprit, la vie quotidienne d’une speech writer dans son ouvrage : Sous la plume : petite exploration du pouvoir politique (Editions Robert Laffont- 288 p., 19 €).
La fonction de speech writer, la plume en français, est le plus souvent exercée par des normaliens sélectionnés à l’issue d’épreuves exigeantes que Marie de Gandt raconte avec humour et modestie. Dans un esprit d’ouverture et de tolérance, c’est assez rare pour être souligné, la candidature de cette jeune femme de gauche a été sélectionnée pour ses qualités dont elle fait aujourd’hui profiter le lecteur. Etre capable d’écrire vite et bien sur tous les sujets, ou presque, de résister au stress permanent, aux critiques, de s’intégrer dans la subtile organisation des cabinets ministériels, particulièrement à l’Elysée, n’est pas donné à tout le monde. C’est un sport de haut niveau ! Elle racontait, dans une récente interview, le processus de fabrication d’un discours : « Le directeur du cabinet vous communique le calendrier des différents travaux prévus. Il faut ensuite se mettre en relation avec les conseillers. Mais dans les faits, ils sont très occupés alors on commence tout seul. On doit donc savoir faire des recherches et s’atteler à la lecture de nombreux ouvrages.
Ensuite, on fait valider notre travail par le conseiller technique en ce qui concerne le fond. Le directeur du cabinet vérifie ensuite la ligne générale du discours. C’est le filtre le plus important. En général, le directeur du cabinet n’a pas de vision politique, il a plus le nez dans le guidon. La caricature du directeur du cabinet le présente comme un technocrate s’attachant spécialement aux détails. Le discours d’une plume est donc un travail collectif. Lorsque le politique le lit, il est difficile de déceler les passages propres à la plume, surtout qu’il se l’approprie également. Le discours modifié par tous les conseillers et le directeur du cabinet peut être renvoyé à la plume pour que cette dernière reprenne tout ça. Encore faut-il qu’on la considère comme étant une bonne plume, ayant assez de poids. C’est le cas pour Henri Guaino, on ne retouche pas. A l’inverse, lorsque j’étais petite main à l’Elysée, si le secrétaire général modifiait mon texte, je n’y pouvais rien. Mais en théorie, c’est au directeur du cabinet d’avoir le dernier mot » .
Celui que l’entourage appelle le « PR », le président de la République, est croqué sans fascination particulière, sans obligation d’apologie et sans flagornerie non dénuée d’arrière-pensées. Le lecteur retrouve chez Nicolas Sarkozy, ses petites manies, son goût pour les chouquettes et le chocolat, ses vraies et fausses colères, l’indifférence, mais aussi les attentions, dont il est capable, ses lunettes de soleil de grande valeur, sa proximité avec les puissants de la planète devenue une drogue. Les scènes de la vie quotidienne complètent élégamment celles que Bruno Le Maire a déjà si bien racontées. C’est une femme libre qui s’interroge sur le pouvoir et raconte, non sans malice et cruauté maîtrisée. Sur son style, sans concession, elle confie : « « Un diplo (un conseiller diplomatique) raille un jour mon éloquence sèche. Je ne nie pas, me réjouis même d’avoir réussi cela. Pour moi, ne pas mentir, c’est ne pas faire de pathos. » Elle a son honneur professionnel, sa déontologie à laquelle elle tient par-dessus tout.
Un passage exprime particulièrement bien la relation entre le « PR » et sa plume : « En de rares fois, je l’entends se plaindre de la charge qui lui incombe. Après la dernière prise de parole d’une journée où il a prononcé un nombre invraisemblable de discours techniques, que je lui avais tous écrits au prix d’une semaine de souffrances, il s’approche de moi et me souffle avec douceur : « On en a fait des discours aujourd’hui, hein ? » Je suis touchée par ce « on » qui nous associe en un bizarre attelage. J’avais effectivement eu l’impression de trimer comme une bête, mais n’avais à aucun moment pensé à lui, au fait que ce monceau de textes impliquait que lui aussi allait souffrir en les prononçant, et encore n’avais-je pas non plus pensé au travail de décision et d’arbitrage que ces discours recouvraient. « Oui, dure journée, monsieur le président. »
Marie de Gandt offre à ceux qui ont envie de découvrir le monde politique de l’intérieur, un récit sincère, modeste, rare et bien écrit.
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