« Je peux dire quelques mots » !


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19 heures étaient passées quand Michel Barnier a enfin pu prendre la parole. Gabriel Attal, son prédécesseur, visiblement frustré, mais chaleureusement et surtout très longuement applaudi par ses équipes, venait de faire durer le plaisir d’avoir été, pendant trop peu de temps, à ses yeux, le plus jeune locataire de l’Hôtel de Matignon.

« Je peux dire quelques mots ! », lança Michel Barnier, avec un léger sourire, pour mettre fin aux applaudissements. Le nouveau Premier ministre, sans transition, a tenu à montrer qu’il avait été attentif au discours de son jeune prédécesseur. Il a repris quelques passages qu’il avait « bien aimés » : « J’ai bien aimé la manière dont vous m’avez donné des leçons, enfin, les enseignements, même si ça n’a duré que huit mois, que l’on apprend quand on est Premier ministre ».

Les commentateurs ont immédiatement exprimé leur étonnement. L’humour n’est pas le principal trait de caractère de Michel Barnier. Ils se sont trompés. Ce n’est pas de l’humour, c’est de l’esprit, comme le réalisateur Patrice Leconte en avait si bien montré la différence dans son très réussi film Ridicule, sorti en 1996.

Pour ma part, j’ai aussitôt pensé à Robert Schuman, MRP, président du Conseil à deux reprises, considéré comme l’un des pères fondateurs de la construction européenne et à Georges Bidault président du CNR à la suite de la disparition de Jean Moulin, un des fondateurs du Mouvement républicain populaire (MRP), président du Conseil, en 1949, qui avait la réputation de boire sans modération.

Jacques Fauvet le célèbre journaliste du journal Le Monde, raconte, dans La IVe République, publié chez Fayard en 1968, un échange que je restitue, tant je le trouve savoureux.

M. Robert Schuman est de ces hommes dont, à les voir, on imagine mal qu’ils aient pu avoir vingt ans. Mais, à les connaître, on découvre qu’à soixante-dix, ils ont une fraîcheur d’esprit que n’a plus la jeunesse. Une atmosphère d’humilité enveloppe tout son personnage : son maintien, strict et courbé, sa démarche contenue, sa parole sourde et calculée. Il entre dans l’hémicycle comme un religieux gagne sa stalle dans le chœur. À la tribune, il pèse longuement ses arguments comme un vieux pharmacien ses pilules. L’auditoire ne s’impatiente pas, il s’endort. Si pour le ranimer, il pousse sa voix jusqu’à se faire entendre, alors l’accent, dont il ne peut se défaire, prend le dessus et divertit, ou le dessert. « C’est un moteur à gaz pauvre » dit de lui M. Georges Bidault. C’était bien trouvé. La réplique ne tarda pas :  « Tout le monde ne peut pas avoir un moteur à alcool », confia M. Robert Schuman à qui voulut bien le rapporter. »


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Commentaires

2 réponses à “« Je peux dire quelques mots » !”

  1. Avatar de Gilles Cristoforoni
    Gilles Cristoforoni

    Cher Michel,
    Pour votre information, quelques années après Jean-Pierre Raffarin, à nouveau un Premier Ministre formé comme votre serviteur à l’ESCP (Ecole Supérieure de Commerce de Paris).
    Ces deux illustres personnalités, nées en politique des événements de mai 68, étaient dans la promotion 1972 et nous nous sommes croisés sur les bancs de la Grande Ecole de l’Avenue de la République d’où je suis sorti deux ans plus tard…
    Comme quoi, une formation commerciale peut conduire certains aux plus hautes fonctions de l’Etat, dès lors qu’ils en ont les capacités et et l’envie !
    Bien amicalement.

    1. Avatar de Michel Desmoulin
      Michel Desmoulin

      Bonjour Gilles
      « Si vous tombez sur un premier ministre qui vous dit qu’il va faire des miracles, méfiez-vous. Moi, je ne suis pas là pour raconter des histoires aux gens… Mais sans faire des miracles, on peut faire des progrès. Demandez-moi de faire des progrès. » La réponse de Michel Barnier, hier, à des journalistes, résume assez bien l’homme qu’il est.
      Jean-Pierre Raffarin et Michel Barnier ont en commun une bienveillance, une humilité, une modestie, un humanisme, qui les rend sympathiques et explique leur popularité. Jean-Pierre Raffarin a évoqué récemment devant Darius Rochebin sur LCI, les relations amicales que les deux hommes entretiennent depuis leurs années passées dans la grande école de l’avenue de la République. Dans mes fonctions à l’IHEDN et à EuroDéfense, j’ai eu l’occasion de les rencontrer à plusieurs reprises depuis le début des années 2000. J’ai le souvenir d’avoir rendu visite à Michel Barnier à Bruxelles, en 2003, si mes souvenirs sont bons, quand le président de la Commission européenne lui avait confié la présidence du groupe de travail sur la défense européenne dans le cadre des travaux de la Convention sur l’avenir de l’Union présidée par Valéry Giscard d’Estaing. Il s’est par la suite continuellement intéressé aux questions de défense. J’ai beaucoup de considération également pour Jean-Pierre Raffarin avec qui j’ai échangé quand il était PM. Je participe régulièrement au Forum du Futuroscope qu’il préside. La 19e édition vient de se tenir le 6 septembre sur le thème : « Les États-Unis : peut-on encore compter sur eux ? » C’était passionnant ! Ce sont deux hommes de grande qualité. L’empreinte ESCP probablement !
      Avec ma fidèle amitié
      Michel

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