Il y a longtemps que l’essentiel n’est plus de participer mais de disputer, à tout prix, une « course aux médailles » frénétique et passionnée. Frénétiques, les Chinois le sont, pour démontrer leur puissance. Ils « fabriquent » leurs athlètes comme le faisait, en son temps, l’Union soviétique. Passionnés, les Anglais, depuis leur désignation, utilisent tous les moyens, c’est peu dire, pour obtenir un maximum de médailles dans l’espoir que celles-ci cachent au monde leur puissance perdue. Le recours à des moyens techniques et matériels de plus en plus sophistiqués et coûteux, l’escalade des dépenses et investissements mobilisés pour « fabriquer » des athlètes, auraient pu tuer les Jeux et le Tour de France ; ce n’est pas le cas. L’olympisme demeure une philosophie. L’esprit olympique, même un peu cabossé, existe encore. Les athlètes y sont très attachés, malgré un certain nombre de décisions arbitrales qui peuvent être qualifiées de discutables, voire partiales pour ne pas dire étranges.
Toutes les grandes villes veulent un jour ou l’autre, organiser les Jeux, malgré les risques financiers que cette ambition fait courir. Les Jeux olympiques de Munich (1972) et ceux de Montréal (1976) s’étaient traduits par de lourdes pertes. Ceux de Los Angeles (1984), de Barcelone (1992) et d’Atlanta (1996) auraient été bénéficiaires, si la comptabilisation des dépenses engagées par le pays a bien pris en compte toutes les charges, ce qui est peu probable. Les Jeux olympiques de Londres de 2012 devraient, selon les organisateurs, être bénéficiaires. Avec des investissements qui ont coûté plus du double de ce qui était prévu, il est permis d’en douter. De toute façon, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de dresser un bilan sincère et véritable du coût et de la rentabilité effective de l’organisation des Jeux dans une ville et un pays. Londres devait restaurer des quartiers laissés à l’abandon et des installations sportives. La politique sportive à long terme du Royaume-Uni, l’image de la ville, le coup de fouet que les Jeux donnent à l’ensemble du pays et de sa population représentent une valeur non comptabilisable, mais incontestable. Au passif, il y a l’inévitable critique que suscite, tous les quatre ans, ce rendez-vous mondial du sport. Ce n’est pas nouveau. Celui qui ne perd jamais, c’est le Comité olympique international, très souvent critiqué – et critiquable – dans ses décisions et ses rêves de grandeur. Le richissime CIO est non seulement une puissance considérable, mais il ne cesse de développer son empire, malgré les scandales et les soupçons de corruption qui entachent son image.
Des esprits chagrins, insensibles aux valeurs du sport et aux émotions que suscitent les compétitions, instruisent, tous les quatre ans, le procès des Jeux. Ruineux, tout juste bon à attiser les nationalismes, les Jeux ne seraient que « la forme exacerbée et mondialisée du triomphe de la société du spectacle ». Le panem et circenses ( pain et jeux du cirque ) des Romains, servirait toujours à étouffer la révolte des populations exploitées. Le principe même de la compétition est jugé cruel et décadent par ces « beaux esprits » qui n’hésitent pas à l’ériger en idéologie pour mieux la dénoncer. Ils auront bien du mal à gacher le plaisir d’une très grande partie de l’humanité qui, le temps des Jeux, a besoin d’oublier les soucis, de respirer et d’admirer les exploits des sportifs de très haut niveau.
L’histoire des Jeux est ponctuée de controverses et d’affrontements. Le premier boycottage des Jeux eut lieu en 424 avant J.-C., au cours des guerres du Péloponnèse, quand Athènes excluent les Spartiates. Les historiens ont établi que vers 1500 avant J.-C., des jeux athlétiques avaient eu lieu en Elide. L’année 776 avant J.-C., est retenue comme la date du début de l’ère officiel des Jeux olympiques. Ce n’était que la renaissance d’une tradition plus ancienne des jeux pan helléniques. Des quatre réunions traditionnelles : à Isthme, à Némée, à Delphes et à Olympie, c’est cette dernière qui affirma sa suprématie. Tous les quatre ans, aux alentours du solstice d’été, les Hellènes venaient de partout et même de la Sicile, de l’Asie Mineure et des colonies les plus lointaines, dans le but d’admirer les dieux du stade et de communier ensemble dans le sentiment d’appartenir à un peuple supérieur. Les Anciens venaient voir triompher les meilleurs, loyalement, sans tricherie et dans le culte des valeurs communes. L’athlète devait se surpasser, mais la défaite n’était humiliante ni pour le vaincu, ni pour la cité à laquelle il appartenait. Les Jeux d’Olympie constituaient la Trêve des dieux. Les Jeux, qui duraient cinq jours, déplaçaient une foule considérable. Les premiers Jeux ne comportaient qu’une seule épreuve : la course du stade (192 m). A partir de 724 avant J.-C., quinze épreuves furent organisées : la course, la lutte, le pentathlon, le pugilat, le quadrige, le pancrace, les courses hippiques, le disque, le javelot, les sauts. Au début, les vainqueurs reçurent des cadeaux et, à partir de 752 avant J.-C., une couronne d’olivier sauvage. C’est alors que chaque cité s’employa à remporter le plus grand nombre possible de victoires pour affirmer sa puissance. Dès lors, l’esprit olympique commença à être bafoué, la corruption fit son apparition, les rivalités entre les cités s’exacerbèrent. Vinrent les marchands du Temple, les Barbares, l’occupation romaine, qui sonna le glas des Jeux. En l’an 394 de notre ère, Théodose le Grand, empereur chrétien d’Orient décida de mettre un terme à la célébration des Jeux olympiques qui avaient duré mille deux cents ans.
Pierre de Coubertin, le rénovateur des Jeux en 1896, ne se faisait pas d’illusions quand il confiait : « On oublie que les Jeux ne sont pas des lieux de super-championnats et encore moins une kermesse. » Les mêmes causes produisirent les mêmes effets. Mais comment lutter contre la dégénérescence de l’esprit olympique, dénoncer l’ « athlète marchandise », le professionnalisme ? L’amateurisme intégral n’a jamais été qu’une « vieille et stupide histoire ». Les Jeux ne pouvaient que devenir de gigantesques « machines à sous. »
Les valeurs du sport seraient-elles un mythe ? Vecteur d’éducation et d’éveil à la citoyenneté pour certains, vecteurs des valeurs dominantes de notre époque, la compétition, la recherche de la performance, l’individualisme, les objectifs économiques ou politiques ne seraient, pour les autres, que des perversités du sport. Ou se situe la vérité ? En réalité, le sport n’a pas de valeurs spécifiques, les valeurs dont il s’agit, sont communes à la famille, à l’école ou à l’entreprise. Le dépassement de soi, l’esprit d’équipe, la performance individuelle, le goût de l’effort, ne caractérisent pas seulement le sport. Ils doivent s’accompagner des valeurs universelles que sont : l’honnêteté, la modestie, le courage, la tolérance, l’honneur. Force est de constater, malheureusement, que le racisme, le dopage, le nationalisme, la corruption, la tricherie, sont trop souvent l’autre face de la médaille.
Il ne faut pas être naïf, la trêve « sacrée et respectée de tous dans toute la Grèce, durant les Jeux Olympiques antiques », n’est plus, aujourd’hui, qu’un appel symbolique des Nations Unies et du CIO. « La cessation universelle des hostilités à partir du septième jour précédant l’ouverture des Jeux Olympiques jusqu’au septième jour suivant leur clôture », n’a pas été entendue à Damas. « La recherche de moyens de dénouement pacifique dans des zones de tension », n’est entendue ni à Tel Aviv, ni dans la bande de Gaza.
Les Jeux sont ce qu’ils sont, une grande et belle fête du sport. 13 000 athlètes représentent 205 pays et participent à 33 disciplines. Pour le reste, il ne faut pas être trop exigeant !
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