La première des 21 questions que posait « L’Avenir », le numéro de collection consacré au XXIe siècle conçu par les rédactions du Monde et de France Info, en 1999, avait pour titre : « Un nouvel ordre climatique ? Sous l’effet de serre, notre planète se réchauffe dangereusement. »
Sous la signature de Jean Paul Besset, l’article expliquait que la température moyenne pourrait augmenter de 2 à 5 degrés au XXIe siècle et que pour lutter contre cette menace, une révolution copernicienne dans l’usage des ressources énergétiques s’imposait. Le journaliste rapportait les travaux des climatologues, des océanographes, des paléontologues, des biologistes, des chimistes, des écologues, des milliers de scientifiques de toutes les disciplines et de tous les continents, qui échangeaient leurs observations, mobilisant aussi bien les ressources de l’interprétation du passé dans les glaces de l’Arctique que celles de la modélisation du futur sur leurs ordinateurs. Il soulignait l’inquiétude des politiques, des économistes et de l’opinion qui recommençait à craindre que le ciel lui tombe sur la tête.
Jean Paul Besset s’interrogeait : « Agressé » par les activités humaines, le climat de la planète était-il en passe d’être bouleversé, avec des conséquences dont nul ne pouvait encore cerner l’ampleur ? Les scientifiques, déjà, affirmaient que « les faisceaux de présomptions vont en se renforçant ». Le climatologue américain, Mike Mann, a pu établir que l’année 1998 avait été la plus chaude… du millénaire. Les calculs de Mike Mann renforçaient la crédibilité du réchauffement climatique.
El Niño, le phénomène naturel de réchauffement des eaux du Pacifique qui modifie le climat, confirmait l’hypothèse. L’épisode 1997-1998 avait été le plus violent jamais enregistré : 21 700 morts et 33,9 milliards de dollars de dégâts. Ce renforcement paroxysmique ne constitue-t-il pas lui aussi le signe d’un dérèglement du climat ? L’effet du réchauffement climatique, tout le monde est d’accord là-dessus, se traduit par une rupture des équilibres naturels, en particulier du régime des pluies, lequel provoque une exacerbation des catastrophes dites naturelles. Bien qu’aucun travail statistique comparatif n’ait été encore engagé, il semblait qu’on assistait à une accélération des « phénomènes extrêmes » : inondations et sécheresses, tempêtes et canicules.
À l’évidence, les gaz à effet de serre se concentraient de manière croissante dans l’atmosphère, au point de favoriser le réchauffement de la planète. Bref, ce faisceau de présomptions avait conduit la communauté internationale à mettre en place, sous l’égide des Nations unies, un Groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui fait travailler ensemble quelque 4 000 scientifiques internationaux en mesure d’affirmer : « Il y a une influence perceptible de l’homme sur le climat ». Autrement dit, pour la première fois dans l’histoire de l’univers, une action d’origine humaine serait responsable d’une évolution globale du climat. L’homme émettrait un « effet de serre additionnel », qui bouleverse le paysage de la planète.
La première des « 21 questions au XXIe siècle », actait le fait que nous étions « dans l’échelle des grands bouleversements de l’histoire climatique. Jamais le rythme n’avait été aussi rapide ! Il est de dix à cinquante fois supérieur à celui des dix mille ans précédents ! À cause de sa brutalité, le réchauffement risque de ne pas offrir à la planète le temps de s’adapter. La nature se trouverait en quelque sorte dépassée par le rythme de l’homme. »
Des polémiques subsistaient encore. Au Massachusetts Institute of Technology, Richard Lindzen, soupçonnait les modèles informatiques de « tripatouillages ». Sans conclusion scientifique définitive, il était inutile d’engager l’économie de nos sociétés vers des bouleversements qui pourraient être préjudiciables. On a cru un moment que la thèse du réchauffement par accumulation de gaz à effet de serre était contredite par les observations satellitaires.
Les politiques, cependant, semblaient avoir pris conscience de la gravité du phénomène. Mais, « les intérêts du court terme ne font pas bon ménage avec les nécessités du long terme. Les ambitions géostratégiques, les vanités nationales, les pressions des lobbies économiques brouillaient le débat. »
À Kyoto, en 1997, tout le monde s’était mis d’accord pour une réduction des émissions (-5 % en 2010 par rapport à 1990) mais, finalement, seuls une vingtaine de pays avaient ratifié le traité. Que faire, dès lors que « les combustibles fossiles qui sont la force motrice du réchauffement de la planète sont aussi celle de l’économie mondiale. » ?
En conclusion de son article, Jean-Paul Besset écrivait que la question climatique recouvrait un enjeu qui révélera le vrai visage de la mondialisation : ou bien les nations se détermineront selon une vision du monde qui n’obéit qu’aux lois d’une compétition acharnée, ou bien chacune s’engagera dans un processus négocié et équitable dans la perspective d’un avenir commun. On a là en raccourci deux conceptions de la société mondiale qui nous attend.
Vingt-deux ans plus tard, il faut se rendre à l’évidence. L’actualité confirme chaque jour les inquiétudes exprimées dans « L’Avenir », le numéro de collection consacré au XXIe siècle conçu par les rédactions du Monde et de France Info, en 1999. La multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes est probablement une conséquence directe du réchauffement climatique. Les émissions de gaz à effet de serre augmentent à la fois leur intensité, leur durée et leur fréquence. Le constat n’est plus contestable.
Il parait loin le temps où Claude Allègre, ancien ministre, qualifiait le réchauffement climatique, de « foutaise ». Le géologue de réputation mondiale ne niait pas que la température varie parfois. Il admettait l’existence de phénomènes extrêmes, canicules ou pluies torrentielles, mais était convaincu que l’activité humaine n’y était pas pour grand-chose. Le ministre de l’Éducation nationale climatosceptique, qui appelait à « dégraisser le mammouth », avait publié dans Le Point, en 1995, l’année du deuxième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui conduira au protocole de Kyoto, une chronique intitulée « Effet de serre : fausse alerte », qui fit beaucoup de bruit et contribua à retarder la prise de conscience par une grande partie de l’opinion publique qui doutait. En 2006, encore, dans un billet intitulé « Neiges au Kilimandjaro », Claude Allègre affirmait que « les causes de la modification climatique » restaient inconnues. En 2010, dans L’Imposture climatique, un ouvrage d’entretiens, il avait qualifié le GIEC de « système mafieux » ayant essayé de faire passer un « mythe » pour un fait scientifique aux yeux de l’opinion. La riposte fut vive, mais le doute persista dans l’intérêt et l’esprit de certains.
Il n’était pas le seul. Avec son livre The Skeptical Environmentalist, publié par les Cambridge University Press en 2001, le statisticien danois Björn Lomborg, ancien militant de Greenpeace, avait jeté un pavé dans la mare. Selon lui, le catastrophisme en matière de démographie, de sécurité alimentaire, de ressources énergétiques ou de lutte contre le réchauffement climatique serait totalement infondé.
Ces derniers jours, le réchauffement climatique se manifeste sur toute la planète. “Oak Fire”, le premier mégafeu californien de la saison sévit au sud-ouest du parc de Yosemite. Alors qu’une très forte chaleur affecte des dizaines de millions d’Américains, les six magistrats conservateurs de la Cour suprême des États-Unis, qui disposent de la majorité, viennent de rendre un arrêt qui pourrait compliquer tous les efforts de régulation de l’État américain. La haute juridiction a estimé le 30 juin que l’Agence pour la protection de l’environnement ne pouvait pas édicter de règles générales pour réguler les émissions des centrales à charbon, qui produisent près de 20 % de l’électricité aux États-Unis. Le président américain, Joe Biden, a aussitôt dénoncé une décision « dévastatrice » et s’est engagé à continuer « à utiliser les pouvoirs dont il dispose pour protéger la santé publique et lutter contre la crise climatique ».
Partout, en Europe du Sud, au nord de l’Eurasie, en Australie, en Amazonie, en Sibérie, au Canada, des forêts flambent. En France, les incendies ravagent les forêts de pins de Gironde ainsi que les monts d’Arrée, dans le Finistère. Ces dernières semaines, ils ont touché le Var, le Gard, les Cévennes, les Pyrénées-Orientales et même la Normandie. Le feu a détruit des centaines de milliers d’hectares en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Turquie. Le dérèglement climatique va sans doute entraîner de plus en plus de méga feux sur la planète dans les prochaines décennies.
Selon les projections de Météo France, sur la période 2081-2100, dans un scénario pessimiste d’émissions de gaz à effet de serre, la saison des feux durera plus longtemps (deux à trois mois dans le sud de la France contre un mois aujourd’hui).
Les épisodes caniculaires sont de plus en plus fréquents. L’ensemble de l’Europe occidentale a été touché. Le Royaume-Uni a subi une canicule sans précédent, avec des températures qui ont dépassé 40 °C. Dans toute la France, de nouveaux records de chaleur battus mardi.
La température a atteint 50,7 °C en Australie Occidentale, un nouveau record. Dans les Alpes, le dérèglement climatique provoque le recul des glaciers, l’écroulement de roches. Le réchauffement climatique est particulièrement alarmant dans l’Arctique, où il est survenu ces dernières décennies à un rythme trois voire quatre fois supérieur au reste de la planète. La calotte glaciaire du Groenland a perdu 4 700 milliards de tonnes depuis 2002. La Sibérie est en proie à des incendies aggravés par des vents violents dans la région de Krasnoïarsk.
Le décalage entre la prise de conscience, bien réelle, et la trop faible réponse des États, des citoyens et des politiques, est préoccupant. Les opinions publiques (une enquête menée sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre que plus de 80 % des Français estiment que le changement du climat est un problème grave et que le pays doit prendre des mesures), ne comprennent pas que les États et les banques centrales (25 000 milliards de dollars de quantitative easing en treize ans) soient capables de mobiliser des milliards quand survient un krach, comme en 2008, une pandémie, comme en 2020 ou pour aider l’Ukraine à se défendre, mais s’avèrent incapables de planifier le financement des investissements nécessaires (infrastructures, équipement bas carbone) pour se passer des énergies fossiles et économiser l’énergie, alors que la planète est en danger et que les solutions à mettre en œuvre sont vitales pour l’humanité. L’enquête de l’OCDE montre que les habitants, dans le monde entier, quelle que soit leur origine, sont très majoritairement convaincus de la nécessité d’agir. Les habitants des pays émergents le sont encore plus que ceux des pays riches. Si nous tardons à réagir sérieusement, le ciel va nous tomber sur la tête !
L’historien Christophe Bonneuil rappelait récemment, dans une tribune au « Monde », que l’alerte remonte au 16 juin 1972, date à laquelle se clôturait à Stockholm la Conférence des Nations unies sur l’environnement humain, premier sommet onusien de la Terre, avant celui de Rio, en 1992. La forte augmentation du PIB mondial et le quadruplement des échanges mondiaux depuis 1950, la généralisation de l’utilisation de l’énergie fossile, l’urbanisation, le développement de l’automobile, d’une agriculture motorisée et des produits chimiques polluants, menaçaient déjà les équilibres des forêts, des océans, des zones humides et altéraient le cadre de vie et la santé des urbains.
Que s’est-il donc passé depuis cinquante ans, écrivait l’historien, pour que, malgré des centaines de sommets, conférences, traités et conventions environnementales, les dérèglements planétaires ne cessent de s’aggraver ? Christophe Bonneuil rappelle que les multinationales suivaient de près la question du réchauffement climatique dès les années 1960. Les dirigeants du pétrolier Exxon, comme ceux d’Elf (Total) avaient averti dès juillet 1977 que « l’humanité influence le climat global », mais ce n’était pas à eux d’agir, ils avaient des intérêts à protéger !
Le déni s’atténue, mais la résistance demeure active. Il faut dire que les États-Unis ont montré le mauvais exemple. En 2001, après les attentats du 11 septembre, le président, George W. Bush, avait décidé d’abandonner le protocole de Kyoto. Fidèle à sa promesse de campagne, Donald Trump, élu en 2016, est sorti de l’accord de Paris qu’il qualifiait de « mauvais accord », « nocif pour l’économie américaine », « mal négocié » (par Barack Obama) et « injuste pour le peuple américain ». « L’Amérique d’abord » …
Le 29 septembre 2003, Vladimir Poutine avait opposé une fin de non-recevoir aux demandes pressantes faites à la Russie par l’ONU et l’Union européenne de ratifier au plus vite le protocole de Kyoto visant à lutter contre les gaz à effet de serre. Le protocole de Kyoto ne pouvait entrer en vigueur que si un ensemble de pays représentant 55 % des émissions de gaz le ratifiaient. La Russie, qui en compte 17 %, se trouvait en position de faire pencher la balance
L’allocution de Jacques Chirac devant l’assemblée plénière du sommet de Johannesburg avait marqué les esprits. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. »
La canicule de 2003 ne fut pas une surprise.
Dans son éditorial du 16 juillet dernier, Le Monde alerte. « La maison brûle de plus belle, au point que personne ne peut plus désormais regarder ailleurs. Vingt ans après le discours prononcé à Johannesburg par Jacques Chirac lors du IVe Sommet de la Terre, dans lequel il avait mis en garde contre une apathie mortifère face à la catastrophe qui s’annonçait déjà, la nouvelle canicule subie par la France témoigne d’une sombre normalisation.
Les Français voient en effet s’installer un dérèglement climatique dans lequel l’exception devient progressivement la règle. Ils ne sont pas les seuls. Partout en Europe et au-delà, les mêmes causes produisent les mêmes conséquences : l’accumulation de chaleur liée aux activités humaines rend progressivement les villes inhospitalières, pèse sur la santé et les ressources essentielles, soumises à des stress inédits. Partout la maison brûle, souvent littéralement.
Les négationnistes du réchauffement climatique ont certes perdu la partie, comme en témoigne la progression spectaculaire, bien que tardive, d’une prise de conscience des menaces structurelles liées au réchauffement, mais leur déroute n’est qu’une piètre consolation face à la multiplication des crises. Deux combats doivent désormais être menés de front au lieu d’un seul : la diminution des émissions de CO2 comme la lutte contre les effets déjà dévastateurs de leur concentration. »
Il est significatif de constater que les conclusions du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le lundi 28 février, sont passées relativement inaperçu en raison de l’invasion de l’Ukraine quatre jours auparavant. Le GIEC considère que le réchauffement climatique, en provoquant la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes (ouragans, inondations, sécheresses, etc.), a déjà entraîné des « effets négatifs généralisés » et causé des dégâts irréversibles à l’ensemble des sociétés et de la nature. Sur les 7,9 milliards d’humains peuplant la Terre, précise le GIEC, entre 3,3 et 3,6 milliards vivent dans des « contextes (…) hautement vulnérables au changement climatique ». En France, près de deux habitants sur trois sont déjà exposés à des risques climatiques.
« L’urgence des mesures destinées à lutter contre le réchauffement est une question de survie », a récemment déclaré Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU. Il en va aussi de la paix dans le monde ! Quatre ONG (Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot), qui avaient déposé en mars 2019 un recours devant le tribunal administratif de Paris pour « carence fautive » de l’État, ont réussi à faire condamner l’État à verser un euro symbolique aux quatre associations requérantes pour « le préjudice moral » résultant des « carences fautives de l’État à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixés ». Pour les besoins de cet article, je leur emprunte le nom de leur mouvement : « L’affaire du siècle ».
Il faut se faire à l’idée que le réchauffement s’accélère. Les trois dernières décennies sont « probablement » les plus chaudes depuis au moins 1 400 ans, et dix-sept des vingt premières années du XXIe siècle sont les plus chaudes jamais enregistrées.
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