Je termine une série d’articles sur l’époque que nous vivons. Est-ce une « Belle Époque », comme le pensent certains, en particulier le président Barak Obama, ou est-ce une époque qui donne le vertige, comme le pense l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, qui, le samedi 9 octobre dernier, a, dans son discours de lancement de son parti « Horizons », disserté sur « les quatre vertiges », les « quatre transformations incroyablement rapides, incroyablement massives » que nous connaissons. »
Selon lui, le premier est le « vertige démographique ». « En 1970, quand je suis né, il y avait 3,7 milliards d’êtres humains sur Terre. En 2021, nous sommes 8 milliards. Tout indique qu’en 2100, nous serons entre 10 et 11 milliards d’humains sur Terre » a-t-il rappelé. Cette explosion démographique va avoir, inévitablement, des conséquences : « d’un côté, la population sur le continent africain va être de plus en plus nombreuse et rajeunir, celles de l’Europe et de la Chine vont décliner et vieillir. »
Le deuxième « vertige », pour Édouard Philippe, est environnemental. Comme tout le monde, il observe que « Nous sommes en train de faire une Terre où il y a de plus en plus d’humains et de moins en moins d’animaux ».
Le troisième « vertige » est géopolitique, avec le basculement de puissance, le poids de la Chine dans le monde, la « périphérisation » de l’Europe et la mise à mal de valeurs sur lesquelles avait été bâti le système occidental : Remise en cause de la démocratie, de la liberté et du multilatéralisme, notamment. « L’essor de la Chine était inimaginable il y a trente ans. » C’est, selon lui, « un des événements les plus fondamentaux de l’histoire de l’humanité. »
Le quatrième « vertige » est scientifique, technique, technologique. Il donne le tournis et le sentiment que nous prenons du retard. Édouard Philippe rappelle que « La Chine et l’Inde produisent chaque année un million d’ingénieurs, la Russie 400 000 et la France 40 000 ». L’intelligence artificielle fait peur. Des notions sont remises en cause ; de nouveaux concepts apparaissent, qui donnent le vertige, comme l’« Homme augmenté ». De nouvelles menaces surgissent : cyber, biologique, numérique.
Pour prendre la mesure de l’ampleur, de la complexité et de la nature de ce – ou ces – vertige, il suffit de suivre l’actualité. Sur tous les sujets, les faits et des chiffres donnent le vertige. Voici, en vrac, quelques exemples d’informations qui laissent songeur.
Dans le domaine des sciences et techniques, d’abord.
La téléphonie mobile, l’ordinateur portable, la tablette numérique, l’accès à l’internet, avec leur infinité de contenus et de services, les réseaux sociaux, les plateformes numériques, ne sont pas seulement des avancées technologiques. C’est un basculement de civilisation dont nous ne percevons pas encore toutes les conséquences, mais qui marquera l’histoire de l’humanité.
En janvier 2020, on dénombrait 5,19 milliards d’utilisateurs de mobile dans le monde, ce qui représentait 67 % de la population totale. En 2000, le mobile existait, mais n’avait encore que peu d’utilisateurs. C’est en 2007, avec le lancement de l’iPhone et de la tablette IPad (2 010), que le mobile et la tablette sont devenus les produits les plus essentiels et représentatifs de ce début du XXIe siècle. En 2000, il n’y avait que 250 millions d’utilisateurs d’Internet dans le monde. En 2020, ils étaient 4,54 milliards sur 7,75 milliards d’individus. Près d’un individu sur deux, dans le monde, utilise régulièrement les réseaux sociaux (49 %). 60 % des Français sont des utilisateurs des réseaux sociaux.
Il y a quelques jours, Facebook et ses services associés, Instagram, WhatsApp et Messenger, ont cessé d’apparaître sur les écrans. La panique s’est installée ! Réparée six heures plus tard, la panne, et les explications, est incompréhensible pour le commun des mortels.
La progression de la recherche et du développement, dans ce domaine, laisse pantois. Quelques exemples, en vrac. Les véhicules sans pilotes vont révolutionner le transport des hommes et marchandises. Le ciel va être envahi par les drones, militaires, mais aussi civils, pour de nombreux usages tels que l’observation des feux de forêts, ouragans, tempêtes, tsunamis, etc. Bientôt, avec l’intelligence artificielle, des logiciels permettront de faire tomber la barrière de la langue avec les conséquences sociologiques que ce progrès aura sur les relations entre les humains sur la terre. L’impression 3D a déjà commencé à révolutionner l’industrie. Elle permettra de relocaliser des usines en France et de faire des économies de production et de transport. Dans le domaine de la santé, des appareils connectés faciliteront le diagnostic et le suivi médical avec un coût moindre pour la Sécu. Enfin, le « big data », avec la capacité croissante des ordinateurs à traiter des masses de données, va offrir des possibilités encore inimaginables aujourd’hui, notamment en matière de formation, d’éducation et d’apprentissage.
La révolution numérique est l’œuvre et fait la fortune des GAFAM à l’appétit insatiable tant les possibilités de développement sont quasi illimitées. Plus puissants que de nombreux États, ils ont accumulé des milliards de dollars et ne cessent d’imposer leurs services et de menacer la souveraineté des États. Quelques chiffres : Amazon, Microsoft et Google détiennent 57 % de part de marché du Cloud. Microsoft et Apple détiennent 95 % du marché des systèmes d’exploitation pour ordinateur de bureau. Avec Google Chrome et Microsoft Edge ou Internet Explorer, Google et Microsoft se partagent près de 80 % du marché des navigateurs. La messagerie électronique est dominée par Google, Microsoft et Apple qui détenaient déjà, en 2016, 85 % du marché. Il en est de même des applications les plus téléchargées. Le moteur de recherche de Google a 93 % de part de marché au niveau mondial. Avec 80 % de part de marché, Apple, Google et Amazon dominent le marché du téléchargement de musique payant ; Intel a présenté une nouvelle version de sa puce neuromorphique, contenant un million de neurones artificiels ! Chacun de ces neurones est 5 000 fois plus rapide qu’un neurone biologique. Microsoft et Facebook ont installé un câble sous-marin de fibre optique reliant les États-Unis et l’Europe qui représente à lui seul la moitié de la capacité de tous les câbles de l’Atlantique. Les GAFAM posséderont 90 % des câbles sous-marins dans les prochaines années.
La capitalisation boursière et la trésorerie cumulée des GAFAM sont à peu près équivalentes au produit intérieur brut de l’Allemagne et à celui de la Suède. Le 3 janvier 2020, les cinq multinationales ont franchi le seuil des 5 000 milliards de dollars de capitalisation boursière, soit 2.4 fois la valeur du CAC40. En août 2020, la valeur d’Apple était supérieure à celle du CAC40.
Le poids – et le quasi-monopole – de ces entreprises commence à poser un problème.
La Commission européenne réfléchit aux mesures qui pourraient être prises pour freiner les pratiques anticoncurrentielles d’Amazon ; les États-Unis aussi. Microsoft, depuis trente ans est régulièrement l’objet de poursuites judiciaires pour abus de position dominante et pratiques anticoncurrentielles, en raison des pressions exercées pour imposer Windows aux fabricants d’ordinateurs ainsi que de lier l’utilisation du système d’exploitation à ses propres logiciels.
Le démantèlement des GAFAM, comme ce fut le cas de la Standard Oil Compagnie, au début du XXe siècle, et de AT & T, au début des années 1980, est-il imaginable, comment, quand ? Philippe Escande dans Le Monde, s’est interrogé sur ce sujet. « Le poids des GAFAM, 20 % de l’ensemble des entreprises cotées aux États-Unis à la fin 2020, est si important que les démanteler représente un risque systémique pour la stabilité économique du pays, notamment sur les retraites et la monnaie. »
Les réseaux sociaux, aussi, pose un problème. S’il n’est pas résolu, il finira par mettre en péril les régimes démocratiques en raison de la masse d’informations personnelle collectée par les GAFAM et leur capacité d’influer sur la politique d’un pays et d’installer une nouvelle forme de souveraineté.
Que deviendront les libertés, la liberté d’entreprise, d’expression, la liberté d’opinion, la liberté de pensée ?
Oui, le monde à venir est vertigineux !
Il n’y a pas que les GAFAM, les ambitions de la Chine, dans ce domaine, sont également inquiétantes. Ce pays semble vouloir former, et contrôler, les cerveaux. La Chine fait déjà partie des pays où le quotient intellectuel moyen est supérieur à 105, ce qui est nettement supérieur à celui de l’Amérique du Nord et de l’Europe. La Chine communiste a l’ambition d’utiliser l’intelligence artificielle pour que le pays devienne la première puissance scientifique, technologique, industrielle et militaire en 2049, à l’occasion du centième anniversaire du Parti communiste (PCC). Est-ce qu’en contrôlant ses technologies, la Chine va demain contrôler le monde ? De là à craindre une troisième guerre mondiale, il n’y a qu’un pas, qui donne le vertige !
Comme si tout cela ne suffisait pas, Facebook, il n’est pas le seul, veut créer sa propre monnaie, Google veut supprimer la mort, Elon Musk veut également changer les cerveaux, Amazon veut construire des stations spatiales, Les sciences et techniques transforment le monde sous nos yeux ébahis qui observent la compétition entre deux courants de pensée aux manettes : le libéralisme américain et l’autoritarisme chinois. Qui sortira vainqueur ?
Et l’Europe dans tout cela ? Elle s’est construite pour garantir la paix, pas pour conquérir le monde ! Elle a donc pris du retard. Thierry Breton pense qu’il est possible de rattraper ce retard dans un certain nombre de domaines et même de prendre de l’avance. Rendez-vous dans dix ans !
L’avenir de la planète, le réchauffement climatique, aussi, donne le vertige.
À la veille de la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques − COP26 −, le dernier rapport du GIEC affirme que le pire est à venir. Six ans après l’Accord de Paris qui limite la hausse à 2 °C, il alerte sur les conséquences du réchauffement climatique qui s’aggrave malgré les mesures prises. Il préconise d’accélérer dans deux domaines en particulier : l’hydrogène vert et le stockage de l’électricité ». Transformer en trente ans l’économie mondiale, apparaît surhumain et un peu utopique. La Chine apporte sa contribution. Elle a commencé à construire un nouveau parc solaire et éolien de 100 GW dans le désert. C’est plus que la capacité installée de l’Inde tout entière dans le domaine des énergies renouvelables. La transition vers une société neutre sur le plan climatique est l’un des principaux défis mondiaux, et, en particulier, de l’Europe avec la stratégie à long terme 2 050 et le Green Deal. Un projet européen « TAKE-OFF », qui a démarré en janvier 2021, vise à produire du carburant synthétique renouvelable pour l’aviation à partir de CO2 et d’hydrogène (H2). Nous n’avons pas encore les connaissances scientifiques et les compétences techniques sur toute la chaîne technologique, mais, c’est possible à partir de l’électrolyse de l’eau, l’hydrogène est extrait puis utilisé pour convertir le dioxyde de carbone, en « oléfines », déjà utilisées dans l’industrie chimique, qui seront ensuite transformées en kérosène par polymérisation catalytique. Le carburant aviation synthétique ainsi obtenu, aurait une empreinte carbone plus faible que le kérosène traditionnel grâce à l’origine non pétrolière des matières premières.
Le climat s’assombrit, le ciel aussi…
Que va devenir le ciel avec tous ces satellites ? Il est prévu d’en envoyer plus de 40 000 d’ici 2040. Les besoins de données sont immenses dans tous les secteurs (agriculture, transports, etc.) avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. Que faire des débris pour éviter que le ciel ne nous tombe sur la tête ? Il y en a déjà des millions.
La pandémie a accéléré la recherche dans de nombreux domaines. Dans celui de l’immunothérapie, en particulier. Nous savons depuis longtemps que les anticorps jouent un rôle central dans la défense de notre organisme. Ils joueraient également un rôle dans la défense de notre organisme contre les tumeurs. Des stratégies thérapeutiques anticancéreuses sont en cours d’élaboration. Scientifiques et médecins fondent de grands espoirs, le cancer est la deuxième cause de décès dans le monde.
Cet article est trop long ! Je continuerai demain… ou après-demain !
Les effets que produit le vertige sont aussi importants, peut-être même plus, que le vertige lui-même. Notamment, sur la campagne présidentielle en France et sur l’état d’esprit des Français. Je les évoquerai dans ce dernier article sur cette « Époque Vertigineuse ».
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