Le 13 septembre, l’amiral Prazuck, chef d’état-major de la Marine, a prononcé, aux Invalides, l’éloge funèbre de l’amiral Bernard Louzeau.
« L’Alliance navale » a publié cet éloge que je reproduis.
« Nous sommes rassemblés pour rendre un dernier hommage à l’amiral Bernard Louzeau, grand- croix de la Légion d’Honneur, premier commandant du Redoutable, chef d’état-major de la marine de janvier 1987 à novembre 1990. Notre pays doit beaucoup à l’amiral Louzeau.
Lorsque le Redoutable est mis à l’eau en 1967, sous le regard du général de Gaulle, son officier de programme est le capitaine de corvette Louzeau. Lorsque le Redoutable effectue le premier tir d’un missile balistique M1 en 1971, son commandant est le capitaine de frégate Louzeau. Lorsque le Redoutable appareille pour sa première patrouille opérationnelle, en 1972, son commandant est le capitaine de frégate Louzeau.
Nos SNLE d’aujourd’hui, de la classe Triomphant, ont été conçus sous la direction du vice-amiral d’escadre Louzeau, commandant la force océanique stratégique. Leur construction a débuté sous la direction de l’amiral Louzeau, chef d’état-major de la marine.
Lorsque les SNLE de troisième génération s’élanceront à leur tour, au milieu de la décennie 2030, le recrutement et la formation de leurs équipages, leur autonomie opérationnelle, unique au monde, leur structure de commandement, du PC Jupiter à l’Elysée aux souterrains du « Château » à Brest en passant par Rosnay et France-Sud, la rémunération de leurs marins même, ne seront sans doute pas très différents des fondamentaux imaginés et construits par cet homme au destin singulier : Bernard Louzeau.
Si notre pays peut aujourd’hui dire avec confiance « plus jamais ça » et parler d’une voix indépendante dans le concert des nations, c’est notamment grâce à Bernard Louzeau.
Tous ceux qui ont côtoyé l’amiral Louzeau peuvent témoigner que ce destin extraordinaire s’est accompli par la force de deux qualités en particulier : une intelligence pénétrante et une force de caractère hors du commun. Et tous peuvent également témoigner que la force de caractère n’est pas toujours synonyme d’ascétisme, que l’humour et un abord jovial et bon vivant ne sont pas incompatibles avec la plus grande exigence intérieure.
Quand Bernard Louzeau rentre à l’Ecole Navale en 1947, il n’a pas 18 ans. Comme la plupart des officiers de sa génération, c’est le départ pour l’Indochine dès la sortie de la Jeanne d’Arc, en octobre 1950, et le baptême du feu à bord de l’aviso Annamite. Ce sont –déjà– trois commandements successifs pour le jeune enseigne de vaisseau: un chaland amphibie, le LCM 49, la 258ème section d’engins d’assaut et enfin le groupe de LCM de Hué, dans la flottille amphibie d’Indochine du Sud. Il sera cité trois fois en Indochine : deux fois à l’ordre de la division et une fois à l’ordre du corps d’armée.
De retour en métropole, l’enseigne de vaisseau Louzeau va choisir l’arme sous-marine. L’arme sous-marine, en 1952, ce sont des sous-marins à propulsion diesel, pour certains construits en France dans les années 1930, pour d’autres pris aux Allemands après la guerre. Ce sont des bateaux exigus, rustiques, inconfortables. Les accidents ne sont pas rares, et parfois mortels. La même année, la Sibylle et ses 48 marins disparaissent au large de Toulon. A bord de l’Africaine, il apprend les fondamentaux de la navigation sous-marine. Lieutenant de vaisseau, breveté ASM en 1954, il embarque sur le Narval, premier sous-marin construit après la guerre, dont il devient le premier officier en second à 25 ans. De 1958 à 1963, il commande deux sous-marins, le Laubie, ancien U-766 allemand, et le Dauphin, sister-ship du Narval. C’est d’ailleurs ce même sous-marin Dauphin qui sera transformé en 1984 en bâtiment d’expérimentation pour préparer les équipements acoustiques des futurs SNLE de la classe « Triomphant ».
Dès 1960, en parallèle de sa carrière de sous-marinier « classique », le jeune lieutenant de vaisseau Louzeau prend en précurseur le train de l’énergie nucléaire, comme élève, puis comme professeur, à l’école des applications militaires de l’énergie atomique à Cherbourg. A l’époque, la France travaille au développement d’un sous-marin à propulsion nucléaire ; Gerboise Bleue vient à peine de détoner dans le Sahara. Nous sommes loin, très loin du sous- marin à propulsion nucléaire, lanceur de fusées intercontinentales à têtes atomiques [on dit « engin » à l’époque], qui appareillera pour sa première patrouille opérationnelle moins de 12 ans plus tard.
A la sortie de l’Ecole de Guerre, en 1965, ce n’est pas sous l’angle technique ou scientifique que le capitaine de corvette Louzeau aborde le programme dit « G252 » de futur sous-marin nucléaire lanceur d’engins. C’est à travers la question fondamentale de la constitution des équipages des futurs SNLE. C’est à la direction du personnel militaire de la marine, en qualité de secrétaire du comité du personnel des sous-marins, qu’il va, dans les deux années qui suivent, faire inlassablement la tournée des ports, pour inciter les sous-mariniers à rejoindre Le Redoutable. Le sens de la mission est un puissant facteur de motivation. La fascination pour l’objet technologique, le plus complexe que sait produire la France des Trente Glorieuses, en est un autre.
Mais le capitaine de corvette Louzeau ne néglige pas pour autant les autres facteurs, plus prosaïques : les doubles équipages, leur rémunération… Ça aussi, les sous-mariniers d’aujourd’hui les doivent à l’amiral Louzeau.
Et puis, en 1967, cette triple compétence, opérationnelle, technique et humaine, acquise au fil de vingt ans d’expérience, conduit la marine à choisir le capitaine de corvette Louzeau, qui n’a que 37 ans, pour diriger les travaux de construction du Redoutable, puis commander son premier équipage, l’équipage bleu, un an plus tard.
Pendant cinq ans, aux côtés de son alter ego l’ingénieur général de l’armement André Gempp, il va, avec le mélange de persévérance et de bonhomie qui le caractérise, concevoir l’outil complet qui, depuis 1972, assure sans discontinuer la permanence de la dissuasion océanique et la défense, depuis les profondeurs, de notre pays et de notre indépendance.
Bernard Louzeau prend le commandement du Redoutable comme capitaine de corvette ; six ans plus tard, il est capitaine de vaisseau, onze ans plus tard, il est officier général. Il va consacrer l’essentiel des vingt années suivantes aux enjeux politico-militaires de notre pays, notamment à l’état-major particulier du président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, à la division « Forces Nucléaires » de l’état-major des armées, comme amiral commandant la force océanique stratégique, comme major général des armées, et enfin comme chef d’état-major de la marine pendant près de quatre ans, de janvier 1987 à novembre 1990.
Dans cette seconde partie de carrière parisienne et politique, il conservera toujours un lien très fort avec les opérations navales, notamment comme commandant de la frégate lance-missiles Suffren de 1976 à 1977, à la tête de l’escadre de la Méditerranée, engagée au Liban en 1982, puis, comme chef d’état-major de la marine, avec l’opération Prométhée en 1987-1988, qui verra plus de trente bâtiments de combat français engagés pendant 415 jours autour du porte-avions Clemenceau pour la protection de nos bâtiments de commerce dans le détroit d’Ormuz.
Ultime victoire stratégique, comme chef d’état-major de la marine, en 1989, il assiste à la chute du mur de Berlin, à la fin de la Guerre Froide et à l’extinction de la menace du Pacte de Varsovie, succès auquel il aura personnellement œuvré sans relâche sur les mers et surtout sous les mers pendant plus de quarante ans.
Après quarante-trois ans de service, l’amiral Louzeau est finalement admis dans la deuxième section des officiers généraux en 1990. Il pourra alors profiter plus souvent de ce Jura qu’il aimait tant, et se consacrer à la musique, et notamment à la pratique – virtuose – du violon. Il continuera à servir la cause de la Marine et des armées pendant plusieurs années, comme conseiller-maître en service extraordinaire à la Cour des comptes, ainsi qu’à l’Académie de Marine. Il poursuivra son engagement désintéressé au service de grandes causes, fil conducteur de toute une vie, avec la présidence de l’œuvre d’Orient de 1992 à 2008.
Au risque de me répéter, je ne pense pas surestimer l’admiration immense de la marine d’aujourd’hui envers l’amiral Louzeau :
– envers ses engagements opérationnels d’abord, du Mékong au détroit d’Ormuz en passant par les profondeurs de l’Atlantique Nord ;
– envers son extraordinaire vision de long terme, sans laquelle le porte-avions Charles de Gaulle et les SNLE type Triomphant ne navigueraient pas aujourd’hui,
– enfin, envers sa bienveillance naturelle, de tous les instants, envers ses prochains.
L’amiral Louzeau aura, pour toujours, une place spéciale dans le cœur des marins, pour avoir de manière décisive contribué à l’indépendance et à la sécurité du pays, à sa manière, avec calme, sourire et persévérance. Et pour que sa mémoire reste vive parmi nous, je proposerai à la ministre des Armées qu’un bâtiment de combat puisse un jour porter son nom. »
Amiral Christophe PRAZUCK
Je présidais l’association des auditeurs de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, en 1999, quand l’Institut a célébré son 50e anniversaire. A cette occasion, la Revue Défense avait publié le témoignage d’un certain nombre de personnalités qui avaient conservé des souvenirs d’une richesse inestimable de leur passage à l’IHEDN. Parmi ces témoignages, il y avait celui de l’amiral Bernard Louzeau que je reproduis également.
Privilège de la fonction, j’ai eu l’honneur de le rencontrer dans le cadre de réunions de sa session, la 30e, (1977-1978). Avec mes partenaires de golf à Villacoublay, mes très chers amis l’amiral René Hugues et l’amiral Jacques Bisson, ses camarades de promotion à l’Ecole navale, nous parlions souvent de Bernard Louzeau, un excellent camarade, qui gardait un très bon souvenir de l’IHEDN.
Laisser un commentaire