En accès libre sur les réseaux sociaux, je reproduis la tribune que Dominique Strauss-Kahn a donnée le 11 avril au quotidien Les Echos.
L’ancien directeur général du FMI souhaite que « le Brexit ait lieu vite, quel qu’en soit le coût, pour que l’Union européenne puisse reprendre le cours de sa construction. Les tergiversations ont assez duré. Elles produisent des dégâts qui pourraient se révéler irréparables aussi bien pour le Royaume Unie que pour l’Union européenne.
Les menaces de Nigel Farage, le leader du parti Ukip, sont à prendre au sérieux. Il peut, avec les plus europhobes, saboter l’Union européenne de l’intérieur et perturber gravement la campagne pour les élections européennes qui s’ouvre au moment où les relations entre Allemands et Français se compliquent de jour en jour.
Unis jusque-là, Angela Merkel et Emmanuel Macron se sont vivement opposés lors de la dernière réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, le 10 avril. Sur le nouveau délai à accorder au Royaume Uni, la Chancelière était prête à tous les accommodements, alors que le chef d’Etat français, très agacé, s’est trouvé bien seul sur une ligne plus intransigeante. Derrière une unanimité de façade sur le délai accordé aux Britanniques, ces derniers sont en train d’atteindre leur but caché : diviser les Européens et faire en sorte qu’ils portent la responsabilité de la séparation. Beau succès diplomatique au plus mauvais moment. C’est à croire que depuis trois ans, les Britanniques n’avaient anticipé aucune difficulté tant l’objectif à atteindre était surtout de provoquer la dislocation de l’Europe.
Voici le texte de l’excellente tribune de Dominique Strauss-Kahn aux Echos.
« I am a sad Brexiter »
« J’ai trop d’admiration pour l’intelligence et les capacités des Britanniques pour sous-estimer le risque qu’ils font courir à la construction européenne et j’ai trop d’amour pour cette dernière pour la laisser détruire quand nous en avons le plus besoin.
J’ai consacré une bonne part de ma vie à contribuer, à ma modeste place, à construire une Union qui constitue la seule voie pour faire survivre d’abord, rayonner ensuite, les valeurs qui nous ont façonnés. Ce modèle européen de société existe. Il s’enracine dans l’histoire de notre continent. Il trouve aussi sa source dans la violence des divisions de l’Europe, et notamment dans l’horreur de la Seconde Guerre mondiale qui a conduit la civilisation européenne au bord de l’anéantissement : le refus de pareilles déchirures a nourri sa quête inlassable d’unité.
Les Britanniques n’ont jamais dépassé leur nationalisme.
Ce modèle européen traduit la volonté de fonder un monde de justice reposant sur l’irréductibilité de la dignité humaine. Comme tel, il est constitué de l’inviolabilité des droits de l’homme, de la culture comme moyen d’émancipation, d’un modèle de développement durable et d’une vision de l’ordre international fondé sur le multilatéralisme. Les Britanniques, dont l’histoire se confond avec celle du continent, ont partagé cette culture, mais, héritiers d’un immense empire et vainqueurs incontestés de deux guerres mondiales, ils n’ont jamais dépassé leur nationalisme et la géopolitique qui en découle.
Ma conviction est que, dans la fragmentation de la mondialisation que nous observons, ce modèle d’Union européenne, quelles qu’en soient les faiblesses politiques et les lourdeurs administratives, constitue notre patrimoine le plus précieux. Et c’est lui qui est en cause aujourd’hui.
Que le peuple britannique ait choisi de tracer sa route seul, c’est de mon point de vue une erreur, mais c’est sa liberté. Dès lors, devant l’impasse, s’il devait s’avérer que le Parlement britannique refuse de voter l’accord qui est sur la table et si un second référendum n’est pas envisageable, alors il faut se séparer et il faut se séparer vite.
Bien sûr, le « hard Brexit » sera coûteux pour l’Union, et il le sera beaucoup plus encore pour les Britanniques. Mais ce coût n’est rien comparé à celui des tergiversations que nous voyons se dessiner. L’irresponsabilité de ceux qui ont appelé au Brexit et qui ensuite ont fui les responsabilités du pouvoir, les mensonges et les incohérences de ce qui a été exposé aux électeurs et qui rend aujourd’hui le Parlement britannique incapable de donner un spectacle qui ne soit pas tristement burlesque, le cynisme de la direction des partis politiques qui ne voient que leurs intérêts de boutique, tout cela est dérisoire mais ne nous regarde pas. Ce qui nous regarde, c’est de préserver l’Union, à commencer par le Marché intérieur.
Or, depuis 1973, on ne peut pas dire que les Britanniques nous aient beaucoup aidés. Hormis une longue période travailliste qui va de 1997 à 2010, leur action n’a visé qu’au ralentissement de la construction européenne, conformément à ce qu’ils jugeaient être leur intérêt. Sans eux, l’Union serait aujourd’hui beaucoup plus loin, beaucoup plus forte, beaucoup plus unie. Les Brexiters les plus virulents montrent maintenant leur vrai visage. Ils écrivent sans honte que, finalement, rester pour un temps dans l’Union pour la saboter de l’intérieur ne serait pas une perspective sans attrait. Les masques tombent : ils sont plus europhobes que Brexiters, ils cherchent à nuire à l’Union plus qu’à servir leur pays, ils veulent continuer ce qu’ils ont toujours fait.
C’est contre ce danger mortel que nous devons nous prémunir. S’ils votent le projet de traité, ils sortiront de façon ordonnée car le travail de la Commission a été exemplaire ; s’ils revotent et ne veulent plus partir, ils resteront avec nous ; mais si aucune de ces deux possibilités ne se réalise, alors je suis un Brexiter attristé : il faut que le Brexit ait lieu vite quel qu’en soit le coût et que l’Union poursuive son chemin. Les attitudes tièdes et hésitantes, comme les reports successifs, mettent en péril ce que nous avons bâti et constitue la seule chance d’un avenir libre pour nos enfants. »
Dominique Strauss-Kahn
Moi aussi, je suis un Brexiter triste
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