La réforme, oui ! La chienlit, non !


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Au risque d’être un peu caricatural et réducteur, il est frappant de constater qu’en mai 68, les contestataires exigeaient des réformes d’un pouvoir conservateur, alors qu’aujourd’hui, les grévistes refusent les réformes qu’une majorité de Français a demandées au pouvoir de faire, au motif qu’ils veulent conserver les avantages qu’ils ont.

Affiche contre le général de Gaulle en mai 68

Qu’espèrent la CGT et les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon ? Que le chef de l’Etat et son gouvernement renoncent à des réformes qu’une majorité de Français soutient ? Précipiter le pays dans le chaos dans l’espoir de faire enfin de la France une démocratie populaire ? Les éléments de langage des contestataires le laisseraient penser. Que disent-ils, ces grévistes de la SNCF, ces étudiants qui voudraient des diplômes sans avoir à passer les examens, ces zadistes qui ne reconnaissent pas le droit de propriété ? « Nous avons des propositions à faire. Le gouvernement ne veut pas les entendre ». C’est un peu court ! Ces propositions ont toutes en commun l’augmentation de la dépense publique et le statu quo. Certaines propositions correspondent à ont conception du service public de nature communiste, c’est-à-dire un service public à prendre ou à laisser, la cogestion, quand ce n’est pas l’autogestion, le non-respect de la démocratie parlementaire, le non-respect de la loi et de l’ordre républicain. En un mot, une autre société totalement utopique.

Ce n’est pas nouveau. Périodiquement, ce désir de renverser la table, s’exprime plus ou moins bruyamment. A la fin du XVIIIe siècle, déjà, le socialisme utopique avait ses adeptes. Fondé sur la doctrine de Charles Fourier, le « fouriérisme » avait des partisans. Ce n’était pas encore l’alter mondialisme, mais cela y ressemblait par bien des aspects.

Dans les périodes de rupture, ce courant de pensée révolutionnaire resurgit. Déjà, en 1947, après une guerre mondiale qui avait laissé le pays exsangue, la tentation fut grande de renverser un régime politique fragile.

Rappelons brièvement les événements qui auraient pu changer le cours de l’histoire.

Le général de Gaulle en mai 68

En janvier 1947, quelques semaines après que la France se fut dotée d’une nouvelle constitution, la IVe République eut un nom et un numéro de téléphone avec l’élection de M. Vincent Auriol, M. Vincent Tauriol, comme disait Jacques Duclos, le communiste tarbais qui avait tendance à abuser des liaisons phonétiques.

Le 28 janvier 1947, le président de la République nomma Paul Ramadier, président du Conseil.

Comme le craignait le général de Gaulle, les hommes politiques de la IIIe République se distribuèrent les places et éliminèrent les résistants. Les Américains, apprenant que des communistes occupaient des postes ministériels importants, dont la Défense nationale, étaient furieux. Des notes diplomatiques adressées à Washington faisaient état de la situation en ces termes : « La France est en danger imminent d’être conquise de l’intérieur par des minorités armées et bien organisées. »

Il faut dire que la coexistence pacifique entre le régime capitaliste et le système communiste devenait chaque jour un peu plus compliquée. Les historiens fixent au 11 mars 1947 le début de la « guerre froide ».

La France était dans un triste état. Les caisses étaient vides. Les crédits américains étaient immédiatement dépensés. Aucun investissement à long terme n’était possible. Le ravitaillement était de plus en plus difficile. L’inflation était galopante. Le pays était au bord de la faillite.

Dans ce contexte, le tripartisme du gouvernement ne pouvait que se disloquer. La crise politique ne pouvait qu’éclater. Les communistes contestaient toutes les décisions dans un environnement international préoccupant, notamment en Indochine. Au Palais-Bourbon, les discussions n’étaient qu’invectives et hurlements.

tract des cheminots en avril 1947

La population, qui en avait vu depuis dix ans, comprenait que la France était au bord de la guerre civile. Des rumeurs faisaient en effet état de curieux préparatifs. Rue de Bellechasse, au Ministère des Anciens Combattants, on avait découvert que plusieurs milliers de voitures, cars, camions, destinés au rapatriement des déportés et prisonniers, avaient été affectés au transport de militants communistes. Le gouvernement se demandait dans quel but les communistes avaient-ils prévu de tels moyens de transport. Le chef d’état-major des Armées appris que les communistes s’apprêtaient à paralyser le réseau ferroviaire et à interrompre les communications téléphoniques. Une grève générale de la SNCF et des PTT était en préparation.

Ramadier, vers qui convergeaient des informations alarmantes, pensait que les communistes préparaient un coup de force. Les Américains craignaient que la France, mais aussi l’Europe, tombent aux mains des communistes. Ils ont fait savoir à Paul Ramadier que les relations seraient grandement facilitées si les communistes n’étaient pas au gouvernement. Le président du Conseil se rendait compte qu’il était impossible de collaborer avec les communistes à l’intérieur des frontières et de les combattre hors des frontières. La France avait fait le choix du camp occidental, alors que les communistes français avaient choisi de suivre les consignes de Staline.

Georgette Elgey raconte dans « La République des illusions » ce que furent ces journées.

M. Ramadier convoque le ministre de l’Intérieur, M. Depreux :

–  Si les communistes partent, y a-t-il un risque de putsch ?

–   A mon avis, depuis le retour de Thorez, et le désarmement des milices patriotiques, il n’y a plus de danger communiste.

Il est exact que Thorez a toujours condamné, en des termes d’une extrême violence, les grèves qui mettaient en cause la politique gouvernementale. « Les typographes parisiens, disait-il, sont des anarchistes qui se sont déshonorés pendant la guerre ! Jamais je n’ai entendu parler d’un ouvrier du livre qui ait refusé d’imprimer le Parizer Zeitung ! »

La Une du Monde le 6 mai 1947

Jules Moch, le ministre des Travaux publics, faisait état de « renseignements sûrs ». Les communistes vont profiter du défilé du 1er mai pour organiser des troubles et tenter de s’emparer par la force de bâtiments nationaux.

L’épreuve de force était engagée. Dans toute la France, les commandants des régions militaires reçurent l’ordre de « préavis de dispositif d’alerte »

« Le jeudi 1er mai, à six heures du matin, dans la cour de l’Ecole militaire, des éléments blindés, venus de Rambouillet, étaient prêts, soigneusement camouflés », raconte Georgette Elgey.

Le 4 mai, la situation étant devenue intenable, le président du Conseil révoqua les ministres communistes. Maurice Thorez n’en croyait pas ses oreilles : « Je savais que Ramadier préparait un mauvais coup, mais jamais je n’aurais pensé qu’il irait jusque-là… »

Certes, l’emprise politique du PC sur la CGT était constante, mais les dirigeants du parti communiste jouaient le jeu de la solidarité gouvernementale. «  Nous avons beau être près de six millions de syndiqués à la CGT, il y a quarante millions d’habitants en France et il y a d’autres couches de la population que la classe ouvrière. Et nous savons bien, par de douloureuses expériences, que, quand la classe ouvrière lutte seule contre le reste de la population, elle est régulièrement battue », disait Benoit Frachon.

Déjà, à cette époque, la direction de la CGT avait bien du mal avec la base. La politique de déflation et d’austérité drastique, provoquait en permanence des mouvements sociaux dans les chemins de fer, la métallurgie, les mines et les banques. Il était fait état de sabotages dans les chemins de fer.

Le 4 mai 1947 a été un moment décisif dans l’histoire de la IVe République, écrit l’historienne.

Les temps ont changé.

Aujourd’hui, la gauche la plus radicale appelle à « la convergence des luttes » pour bloquer la politique menée par le gouvernement en bloquant le pays. Les électriciens et les gaziers de la CGT appellent même à couper l’électricité des entreprises qui licencientLes neuf syndicats représentant la fonction publique ont lancé un appel unitaire pour un nouveau rassemblement le 22 mai et appellent également à soutenir tous les mouvements de contestation qui ont lieu dans les services de la fonction publique (hôpitaux, ministère de l’économie et des finances, MétéoFrance…).

Affiche en mai 68

La CGT est jusqu’au-boutiste, sans doute pour maintenir une unité de façade au sein de son organisation. Les dirigeants sont tournés vers la contestation, plus que sur la construction de compromis.      » Ils sont toujours contre tout », observe M.  Soubie, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.

Cette absence de culture de la négociation, de capacité de diagnostics partagés, ne peut conduire qu’aux rapports de force, au désordre et à la violence. Exiger, comme ils le font depuis longtemps, car c’est de cela qu’il s’agit, une cogestion du réseau ferroviaire, voire de la RATP, d’EDF, de l’Éducation nationale et de bien d’autres secteurs, retarde et empêche le redressement du pays.

Les étudiants, enfin quelques étudiants, une poignée, ne sont pas en reste. Même si la fête est finie dans « la Commune libre de Tolbiac », le mouvement est soutenu par un certain nombre d’enseignants politisés qui soutiennent que l’université n’a pas pour mission de sélectionner et d’évaluer, mais  de dispenser des contenus pédagogiques, de transmettre des savoirs et de former l’esprit critique des étudiants. Ils accusent les gouvernements qui les ont conduits à exercer leur métier dans des conditions très difficiles. Ce n’est pas faux !

Comme toujours dans les mouvements étudiants, le folklore n’est jamais absent. La vidéo qui met en scène trois étudiantes masquées et un chien derrière une grande table, a eu beaucoup de succès, mais a été très critiquée. Le bruit a couru qu’on avait découvert un mec caché dans le sous-sol qui vivait en autosuffisance depuis le blocage anti-CPE de 2006. Il hurlait « Villepin démission ! C’est plus drôle que de réclamer l’« abolition du capitalisme ».

Pour l’instant, les Français, qui ont confirmé aux législatives, le choix qu’ils avaient fait d’un jeune chef de l’Etat déterminé à mener à bien des réformes, continuent, dans les sondages, de le soutenir.

La réforme, oui ! La chienlit, non !


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