Le festival du cinéma américain de Deauville offre chaque année l’occasion de découvrir et de tenter de comprendre l’Amérique qui a voté Trump. Cette Amérique dont Hillary Clinton avait dit imprudemment : » pour généraliser grossièrement, vous pouvez mettre la moitié des partisans de Trump dans le panier des pitoyables, des racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes. À vous de choisir. » Ses excuses, le lendemain, en reconnaissant que » Généraliser grossièrement n’est jamais une bonne idée « , n’avaient pas suffi à corriger la gaffe. Le propos de campagne était injurieux et laissa des traces. Quatre ans auparavant, le républicain Mitt Romney avait commis la même gaffe en parlant des deux électorats américains : les makers (ceux qui » font « ) et les takers (ceux qui » prennent « ). Ces derniers, (47 % de la population), étaient à ses yeux, des assistés. Ces propos malheureux avaient eu pour effet d’accentuer l’avance de Barack Obama.
Cette Amérique pauvre apparaît dans des films qu’il faut voir pour comprendre comment vivent les Américains qui ont voté Donald Trump et continuent de le soutenir. C’est dans cet esprit que l’année dernière, j’étais allé voir Comancheria, un film réalisé par l’Écossais, David Mackenzie. Deux frères, braquaient des agences de la banque qui détenait une hypothèque sur la ferme familiale. Le film mettait en présence ces deux frères, un peu minables, et un Texas Ranger désabusé (Jeff Bridges), sur le point de prendre sa retraite, et son adjoint, un impassible comanche, régulièrement harcelé et insulté par son patron. Dans un paysage aride à l’histoire violente (avec les indiens Comanches, les Mexicains, les pionniers), les armes, aux poings des braqueurs, des habitants excédés et de l’équipe constituée autour du shérif pour traquer les hors-la-loi, remplacèrent vite les paroles. J’avais écrit su ce blog, il y a un an, que dans cet ancien territoire Comanche, fait aujourd’hui de fermes abandonnées, d’usines fermées, de villes désertes, « ce n’était pas seulement un paysage texan, c’était aussi un paysage politique où s’éveillait une certaine empathie pour des personnages assez désespérés de cette classe moyenne qui se sent abandonnée par l’Amérique.
Cette année, je suis allé voir « The Rider », un film réalisé par Chloé Zhao qui traite de la vie des cowboys. Brady, un jeune cow-boy, champion de rodéo, est gravement accidenté au cours d’une compétition. Il a compris qu’il ne pourra plus dresser des chevaux et concourir, mais, c’est sa passion, il ne peut l’admettre. Que faire, chez lui, dans la réserve de Pine Ridge, une réserve indienne du Dakota du Sud, avec son père et sa sœur handicapée mental ? La vie n’a plus aucun intérêt. Le crâne abîmé, plusieurs fonctions atteintes, il rêve de la vie d’avant et tente d’accepter sa nouvelle condition, celle de ses semblables qui ne sont pas champions de rodéo.
Auprès de Lane, un de ses meilleurs amis, victime, comme lui, d’un accident de rodéo, il prend conscience de la fragilité de l’existence. Lane, dans une chambre d’hôpital, est handicapé profond. Incapable de parler et de marcher, il passe son temps devant son écran à regarder en boucle ses exploits passés. Brady va devoir, comme les autres, comme ceux qui ne sont pas des champions de rodéo, trouver un petit boulot et regarder les autres dresser des chevaux.
Lorsque son cheval, gravement blessé à une jambe, doit être abattu, Brady résume sa situation en quelques mots : « Un animal aurait été blessé comme je l’ai été, on l’aurait abattu. Moi, je suis obligé de vivre… »
Chloé Zhao, excelle dans l’art de faire vivre le spectateur au plus près des personnages. Dans les paysages arides du Dakota du Sud, on ne se plaint pas, on ne s’épanche pas, on ne philosophe pas sur les difficultés de l’existence. Le quotidien de ces déshérités de l’Amérique est dur. Brady Jandreau, Tim Jandreau, Lilly Jandreau, ne sont pas des professionnels. Ils n’ont donc aucune difficulté à exprimer la réalité de cette partie de la société américaine. Ils sont pauvres, blancs, machos, sexistes, homophobes, sans doute, comme dirait Hillary Clinton, mais profondément humains. Une immense douceur ressort des silences. La scène au cours de laquelle Brady tente de réapprendre à Lane à monter sur un petit cheval d’arçons en bois, est admirable de finesse. New York, Los Angeles, le rêve américain, sont loin de ce monde de cowboys blancs, aussi pauvres que les Indiens de la réserve. L’expression « colère de l’homme blanc », souvent entendue pendant la campagne de Donald Trump, prend ici tout son sens.
De passage à Cannes, au moment du Festival, Chloé Zhao avait accordé une interview à COURRIER INTERNATIONAL. Au cours de cet entretien, elle avait raconté dans quelles circonstances elle avait rencontré Brady qui travaillait sur un ranch de la réserve indienne de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. « Il était tellement doué avec les chevaux que j’ai tout de suite pensé à monter un film autour de lui, même si je ne savais pas encore quelle histoire je voulais raconter. C’est alors qu’en avril 2015, Brady a reçu un coup de sabot en pleine tête. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire [et contre l’avis des médecins], il essayait déjà de se remettre en selle. C’est là que j’ai su que je tenais mon histoire, celle d’un jeune garçon prêt à mettre sa vie en danger pour rester fidèle à l’idée qu’il se fait de son identité. »
Chloé Zhao précisait que le Dakota du Sud est l’un des rares États américains à être resté, au moins en partie, figé dans le temps […] Tout n’est pas constamment rénové ou remplacé, comme dans les villes. Donald Trump a récolté 61,5 % des suffrages dans le Dakota du Sud. Hillary Clinton, 31,7 %.
Trump a très bien compris que ces gens veulent garder leur identité, un sens à leur vie.
Les critiques, pour exister, trouveront probablement qu’il y a trop de handicapés, trop de chevaux, trop de chapeaux de cowboy, trop de collines pelées, trop de poncifs, pas assez de subtilités, dans ce film. L’autre Amérique trouvera sans doute que les relations de Brady avec son père, veuf, qui claque son argent aux machines à sous, et son frère, sont cousues de fil blanc. Il est exact que ce n’est pas le cinéma américain habituel ! C’est pour cette raison que j’avais fait le choix de voir ce film.
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