Le 15 août 2016, j’écrivais sur ce blog que les conditions me paraissaient réunies pour que se prépare une sorte de « coup d’État démocratique », de big bang politique. La multiplicité des initiatives pour faire de la politique autrement révélait que le système politique est à bout de souffle, qu’il n’avait plus de légitimité. L’inflation d’initiatives donnait une idée de l’état de l’opinion. Cette situation ne pouvait pas durer. Des utopistes, des idéalistes, de faux intellectuels, se livraient, tous les soirs, sur la Place de la République, à un curieux « remue-méninges » que les bobos trouvaient intéressant ! Les quadras, pour forcer le destin, provoquaient, eux aussi, à longueur de journée. Emmanuel Macron, à ce petit jeu, ne s’imposait aucune limite. Ça marche, écrivais-je alors ; si vous tapez Emmanuel Macron sur Google, 244 000 réponses vous sont offertes. Depuis que le ministre de l’Économie a lancé son mouvement « En marche ! », il se prononce chaque jour sur tout et sur rien. Il s’agit donc bien d’une stratégie. Après avoir signifié à François Hollande qu’il n’était en aucun cas, » son obligé », tout le monde pensait que la fin était proche et que sa présence au gouvernement n’était plus qu’une question d’heures. Eh bien, non ! « L’homme pressé » veut montrer qu’à ce jeu, il est le meilleur et que, dans la perspective des élections présidentielles, il peut conquérir une part de marché significative.
Pour avoir une chance de rattraper Alain Juppé et Nicolas Sarkozy dans les sondages, Bruno Le Maire et Nathalie Kosciusko-Morizet, provoquaient aussi avec plus ou moins de pertinence, mais il faut émettre pour exister. La droite et la gauche n’ont plus de sens ; il faut être à la fois de droite et de gauche, pour s’adapter au réel ! C’étaient les nouveaux éléments de langage. Bref, à un an de la présidentielle, tous les coups étaient permis. Le grand chambardement était en marche.
La campagne terminée, le nouveau président de la République connu, nombreux sont ceux qui n’ont pas compris ce qui s’est passé dans notre cher pays. Ce « hold-up politique », ce « casse du siècle » ne pouvait être qu’un « coup d’État ». Ceux qui n’ont que cette explication sont traités de « complotistes ». Ils rejettent l’insulte et refont, à leur façon, l’histoire de la défaite de François Fillon, qui, me semble-t-il, avait pourtant reconnu quelques erreurs. Pour eux, dès lors que les médias et les institutions en général n’ont pas fait preuve d’indépendance et ont laissé des anomalies se produire, il y a, à l’évidence, eu un « coup d’État » Le déroulement de la principale élection la de la Ve République n’aurait, à leurs yeux, pas été régulière. Ils considèrent que la surprenante, l’inattendue, élection d’Emmanuel Macron n’était pas possible sans un « coup d’État ». Hier soir, sur les plateaux de télévision, si l’expression n’était pas employée, les insinuations étaient assez claires. Cette thèse va se développer dans les jours qui viennent pour déstabiliser le nouveau président et préparer le terrain pour des législatives de la plus haute importance.
On a tout entendu, pendant cette campagne, sur les fractures de la société française, sur la France des privilégiés, des gagnants de la mondialisation, et la France des oubliés, des déclassés. En 2002, nous avions déjà entendu les mêmes propos dans la bouche de Jacques Chirac et de son Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. La colère n’a fait que grandir. Le pays gronde. Marine Le Pen, avec une démagogie et un discours caricatural, et Jean-Luc Mélenchon, avec beaucoup plus d’habileté et de sincérité, ont su cristalliser le mécontentement qui représente 40 % du corps électoral. De quoi déstabiliser la consultation électorale.
Plus prudents dans leurs propos, certains analystes se sont contentés de dénoncer un « coup d’État médiatique », soutenu, pour ne pas dire fomenter, par les puissances financières qui monopolisent la presse écrite et audiovisuelle. C’est un grand classique, mais si l’indépendance des journalistes ne peut être mise en cause, les intérêts en jeu doivent être pris en compte. Ils sont réels. Tout le monde a peur. Les grands groupes financiers aussi !
Le fait que pour la première fois, depuis que les Français élisent leur président au suffrage universel, aucun des deux candidats qualifiés pour le second tour ne soit issu d’un des partis dits de gouvernement, accrédite cette thèse. Les dirigeants politiques, qui monopolisent le pouvoir depuis bien longtemps, n’auraient donc rien vu venir. Marine Le Pen, depuis des années, et Emmanuel Macron, depuis quelques mois seulement, auraient été les seuls à avoir l’intuition que le système allait exploser, que les Français voulaient, cette fois-ci, un véritable changement.
La France n’était pourtant pas le seul pays où les candidats des principaux partis étaient éliminés au premier tour. En Autriche, récemment, conservateur et socialiste ont été éliminés au premier tour et un candidat de l’extrême droite et le représentant des Verts, se sont affrontés en finale. La réforme de 1962 qui a institué l’élection du président de la République au suffrage universel contenait en germe le risque qui vient de se réaliser. Le quinquennat, accompagné d’une majorité parlementaire élue immédiatement après l’élection présidentielle, a amplifié ce risque. Le président s’occupe de la totalité des affaires publiques, ce qui n’était pas le cas avec le septennat. Cette concentration des pouvoirs est sans exemple dans les principales démocraties.
Emmanuel Macron semblait hier soir être très conscient de la fragilité de la situation dans laquelle son incontestable talent et la chance, qui ne lui a jamais fait défaut, le placent. Les élections législatives, en juin, vont confirmer la recomposition politique du pays ou vont lui imposer une cohabitation que l’instauration du quinquennat était destinée à éviter. Les Français savent que la Constitution fait de la France une République parlementaire dans laquelle le gouvernement tient sa légitimité constitutionnelle d’une majorité à l’Assemblée nationale. Les représentants des Républicains et du parti socialiste n’ont pas manqué, hier soir, de rappeler que leur vote pour Emmanuel Macron était uniquement destiné à sauvegarder la République et la démocratie dans notre pays. Nous ne saurons que le 18 juin si les Français ont véritablement fait le choix de bouleverser totalement le paysage politique en envoyant à l’Assemblée nationale des têtes nouvelles et une majorité présidentielle qui soutiendra le programme du nouveau président ou s’il voulait seulement donner à la France un président de 39 ans au talent prometteur mais encore un peu inexpérimenté.
La République gaullienne, née de ce que certains ne s’étaient pas privés d’appeler un « coup d’État », en 1958, sera restaurée, ou prendra fin, ironie du sort, par un « « coup d’État démocratique » qui a un petit air de « 18 Brumaire ».
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