Une récente enquête Ipsos-Sopra Steria pour le journal Le Monde, l’Institut Montaigne et Sciences Po, révèle que notre système politique, notre démocratie, fonctionne » de moins en moins bien » pour 77 % des personnes interrogées. À l’évidence, notre pays traverse une crise démocratique qui se manifeste par l’abstention, le rejet des partis politiques et des institutions en général et une défiance qui tend à s’accroître vis-à-vis des acteurs de la vie politiques.
Faut-il en conclure, comme le font les commentateurs de ce sondage, que nous assistons à un « moindre attachement au régime démocratique ». Un tiers des personnes interrogées pense que » d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie « . Ce point de vue, en nette évolution, repose sur l’idée que les élections ne servent à rien, que ce qu’il faudrait faire sur de nombreux sujets, n’est jamais fait. En clair, l’attachement au régime démocratique est en baisse. Les partis politiques, les syndicats et les médias seraient responsables du blocage de la société française.
Cette tendance est observée dans la plupart des pays occidentaux. Ce qui s’est passé cette nuit aux États-Unis devrait conduire les dirigeants politiques, mais aussi les médias, les politologues, à s’interroger sur les conséquences de la mondialisation, de l’immigration et sur le fossé qui sépare les élites du reste de la population. La colère qui s’exprime très fréquemment, lors des consultations électorales, révèle le mépris que ressent une majorité de la population de la part de ceux qui ont été élus pour les représenter.
Aux États-Unis, au petit matin, un homme d’affaires excentrique qui s’honore de ne pas payer les d’impôts qu’il devrait payer, qui prend en permanence des libertés avec la vérité, tient des propos douteux sur le racisme, la xénophobie, qui n’avait jamais élu, va devenir le 45e président des États-Unis. Ahurissant, impensable, il y a encore quelques jours, quelques mois que le successeur de Barack Obama, exemple d’élégance, d’éducation, d’intelligence, puisse être un homme d’affaires vulgaire comme Donald Trump.
L’Amérique, sous le coup de la colère, en a décidé ainsi. Elle estime qu’elle n’a rien à perdre à faire le choix de l’aventure. Sous le choc, l’Ambassadeur de France à Washington a déclaré : « Un monde s’effondre sous nos yeux ». Le nouveau monde est imprévisible. Le directeur du journal Le Monde a raison d’écrire ce soir que, si « on peine encore à distinguer les contours mais dont une caractéristique est d’ores et déjà avérée : dans ce monde-là, tout ce qui était réputé impossible, ou irréaliste, devient désormais envisageable. »
Cette campagne, avec deux candidats contestés et une montée aux extrêmes dans la violence des échanges, aura été une caricature de démocratie. La preuve, s’il en est, que la démocratie est en danger. Imprévisible, allons donc ! Depuis longtemps, et notamment depuis la crise des subprimes de 2008, ceux qui voulaient voir avaient observé la montée des périls, une vague de protestation qui grossissait. Les élites ont sous-estimé le nombre de ceux qui rêvent de devenir M. Trump plutôt que gouverneur de la Banque central. Le rêve américain est toujours présent. La mécanique populiste qui consiste à séduire les non-diplômés, les oubliés, qui forment la base des partis de gauche, a une nouvelle fois fonctionné. L’expérience de Mme Clinton n’aura pas pesé lourd en face d’une casquette rouge pour rallier les suffrages.
Dans un article récent, j’ai rappelé ce qu’avait écrit Alexandre Soljénitsyne en février 1980 sous le titre : « L’erreur de l’Occident ». Il faut relire également « Comment les démocraties finissent » (Grasset 22.40 € EAN 9782246286318), un livre que publia Jean-François Revel en 1983. Dans cet ouvrage, Le philosophe essayiste « posait le problème du destin des démocraties ; ces régimes bénis qui pourraient bien apparaître très bientôt comme de minces et précaires parenthèses à la surface de notre histoire ». Il s’interrogeait : « Et si la démocratie n’était qu’une infime péripétie ? Et si notre Occident s’avérait n’être qu’un accident ? Et si, non point par la force ni les chars seuls, mais par une sourde entropie dont nous serions les acteurs, le totalitarisme devenait le destin même de la planète ? »
L’irrésistible ascension de Donald Trump illustre la fragilité des démocraties. Comme Marine Le Pen et quelques autres sur la planète, il défie l’establishment politique, se moque des médias, des analystes et des instituts de sondages. Son discours nationaliste, protectionniste, a été entendu. Ses propos sur l’OTAN, sur les immigrants mexicains, qualifiés de « violeurs », son projet de bâtir un mur pour stopper l’immigration ou de saisir le pétrole irakien, n’inquiètent pas ceux qui ont massivement voté pour lui. La colère plonge ses supporters dans l’irrationalité ; c’est la caractéristique première du populisme qui se répand en toute innocence sur l’Occident.
Le souvenir de ce qui s’est passé à Londres le vendredi 24 juin dernier est dans tous les esprits. Comment oublier la clameur qui retentit sur Trafalgar Square quand Boris Johnson apparut les cheveux en bataille en faisant le » V » churchillien de la victoire et en déclarant : » Mes amis, je vous l’avais promis : nous reprenons enfin les commandes de notre formidable pays. Je proclame aujourd’hui l’an I du Royaume-Uni indépendant ! » La présidente de la Commission électorale, Jenny Watson, venait de proclamer les résultats : 53,4 % des électeurs britanniques avaient voté en faveur d’un départ de l’UE.
Ce n’est sans doute pas fini !
Soixante-dix ans après la Seconde Guerre mondiale, les peuples semblent malheureusement avoir oublié les causes de cette épouvantable guerre, les régimes autoritaires au pouvoir en Europe dans les années 1930 et la faiblesse des démocraties dont parlait W. Churchill quand il disait qu’elle « est le pire des régimes, à l’exclusion de tous les autres. »
L’autoritarisme ne fait plus peur. À l’opposé, ceux qui pensent que » d’autres systèmes sont aussi bons que la démocratie « sont sans doute ceux qui, au nom de la démocratie, remettent systématiquement en cause les décisions prises démocratiquement. Les exemples se multiplient. La démocratie participative généralisée, dans un pays comme la France, est une utopie. La Suisse est un cas très particulier. Imaginer un instant qu’un régime politique dans lequel les décisions feraient le bonheur des peuples, est une illusion. Ceux qui l’ont promis ont généralement conduit leur peuple au désastre.
Pourtant, pendant ce temps, le directeur du quotidien d’opposition turc Cumhuriyet affirme « qu’il luttera jusqu’au bout pour la démocratie et la liberté » malgré l’arrestation de plusieurs de ses journalistes.
Laisser un commentaire