Je n’avais pas l’intention d’écrire ce que je pense du débat très français sur la déchéance de nationalité, mais une conversation, en fin d’année, avec mon ami d’enfance Jean-Paul Benoit, avocat, ancien député européen, dirigeant politique, m’a poussé à écrire ce que je pense sur le sujet.
Quelle cacophonie ! Une annonce au Congrès sous le coup de l’émotion, un besoin irrépressible de communiquer sans une sage réflexion préalable, Messieurs Hollande et Valls qui, sous Nicolas Sarkozy, considéraient que cette mesure n’était pas conforme aux valeurs de la République, la justifient aujourd’hui en raison des attentats, une Garde des Sceaux qui annonce l’abandon de cette mesure qu’elle sera chargée de défendre dans quelques jours, des commentaires qui disqualifient ceux qui les expriment, des références historiques de la part d’individus qui connaissent mal l’histoire, cela fait beaucoup, beaucoup trop !
Les dirigeants de Daech se frottent les mains. L’effet retard des attentats dépasse leurs espérances. Déstabiliser les sociétés occidentales, c’est leur but affiché. Les attentats, dans un premier temps, rassemblent la population. Dans un deuxième temps, les décisions prises opposent les citoyens les uns contre les autres. L’avocat Daniel Soulez Larivière a raison d’écrire dans le Huffington Post que c’est la « déchéance de la communication » qu’il faudrait mettre en œuvre.
Perdre les pédales au point d’utiliser des références comme : « Heures les plus sombres », « Vichy », « jeu du FN », « fasciste », est honteux. Prétendre que la constitutionnalité de la déchéance de nationalité, dans le cas très précis de crime terroriste, va créer deux catégories de français n’est pas faux du point de vue juridique, mais très exagéré dans les faits. Les forces spéciales tuent en Syrie des djihadistes français, les tireurs d’élites du RAID mettent hors d’état de nuire, en direct à la télévision, des individus français qui se livrent à des actes terroristes, mais la déchéance de la nationalité, comme peine accessoire et symbolique, après une condamnation pour crime en dernier ressort, non ce n’est pas possible, ce serait contraire à nos valeurs. L’idée même que le droit puisse rattraper les faits est insupportable. Pour eux, ceux qui terrorisent les Français, qui reconnaissent n’avoir d’autre but dans la vie que de nous tuer au nom d’une idéologie sectaire, sont (et doivent être) des Français comme les autres.
Les Français, à 95 %, ne s’y trompent pas ; ils ne comprennent pas les arguments, qu’il faut pourtant entendre, des juristes, constitutionnalistes et intellectuels (de gauche, surtout) ; ce qu’ils veulent c’est être protégés. Dans la hiérarchie des menaces pour notre pays et la cohésion nationale, tout se passe, ces jours-ci, comme si la déchéance de nationalité, avec toutes les garanties constitutionnelles qui l’accompagneraient, constituait une menace pour l’unité nationale beaucoup plus grande que celle que les terroristes font peser sur nos concitoyens. Les institutions ont le devoir de protéger les Français. Les valeurs, les croyances, ne suffisent pas.
Après les fêtes de fin d’année, les Français font une indigestion de déchéance de nationalité. Est-ce que le « roi » de la synthèse, l’expert en compromis, a mis fin à la polémique, dans ses vœux du nouvel an, en chargeant la représentation nationale de dire le droit dans sa grande sagesse ? C’est habile, une nouvelle fois, mais le chef de l’État ne sortira pas indemne de cette affaire.
Des voix s’élèvent, parmi ses plus proches amis, pour conseiller au chef de l’État de trouver une solution qui évite la polémique. Hier soir, il s’y est refusé. L’indignité nationale, c’est-à-dire « la déchéance des droits civiques, civils et sociaux », proposée par les avocats Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoit, ainsi que par le constitutionnaliste, ancien député européen, Olivier Duhamel, serait sans doute une meilleure solution. La « déchéance pour tous », formule plus radicale, qui éviterait la limitation aux binationaux qui pose problème, est une autre solution. Elle ne nécessiterait pas de révision constitutionnelle. Une modification du Code civil suffirait pour qu’elle entre en vigueur.
Pour protéger les Français, comment faut-il sanctionner efficacement des personnes qui ont commis des actes incompatibles avec leur citoyenneté ? Telle est la question.
En règle générale, il ne faut toucher à la Constitution qu’avec beaucoup de précaution. Le souvenir du « principe de précaution », introduit dans la Constitution sous Jacques Chirac, doit servir de leçon.
Attendons le débat à l’Assemblée nationale et au Sénat qui devront se mettre d’accord sur un même texte avant qu’un Congrès soit convoqué pour modifier la Constitution. Espérons que, sous le regard du monde entier, ce débat sera digne. Dans le cas contraire, l’image de la France, consolidée, après le succès diplomatique de la COP 21, pourrait bien reculer de trois cases !
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